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Une voix pour la communauté trans*

En tant qu'activiste trans*, j'aimerais répondre à l'article «La transidentité, prochaine révolution sexuelle», de Laurent McCutcheon, publié dansdu 10 juillet 2014.
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En tant qu'activiste trans*, j'aimerais répondre à l'article «La transidentité, prochaine révolution sexuelle», de Laurent McCutcheon, publié dans Le Devoir du 10 juillet 2014. Je salue cette tentative d'un membre de la communauté gaie d'aborder des enjeux trans* et de prononcer le T, souvent muet, dans LGBT. Néanmoins, l'article comporte un certain nombre de problèmes.

Si l'auteur annonce une « révolution » dans le titre, il est difficile de savoir ce qu'elle contient, sauf une utopique société sans genre. On ne voit presque nulle part les traces de nos luttes réelles.

Certes, le projet de loi 35 a été adopté en décembre dernier, comme l'auteur le rapporte, mais sept mois plus tard, nous attendons toujours des résultats concrets. Rien ne bouge. En février, lorsque j'ai contacté les services du Directeur de l'état civil, on m'a promis du mouvement d'ici juillet; maintenant, peut-être en septembre.

Mais nous avons d'autres enjeux, notamment pour l'accès aux espaces séparant hommes et femmes - toilettes, vestiaires, dortoirs, prison, refuges pour sans-abris, etc. - où il est fréquent que les personnes trans* voient leur identité niée, à leur risque et péril.

Des femmes trans* sont encore parfois placées dans des prisons pour hommes malgré le genre reconnu sur leurs documents, comme c'est arrivé à Avery Edison en Ontario en février dernier. Cela frappe lourdement les personnes trans* des classes défavorisées, plus à risque d'aller en prison ou de devoir se réfugier dans un abri.

Nous sommes aussi victimes de harcèlement et de violence. Pendant le mois de juin, alors qu'on célébrait aux États-Unis le mois de la fierté, quatre femmes trans* de couleur ont été assassinées. Triste fierté.

Similairement, l'article décrit mal les expériences des personnes trans*. Donnons quelques exemples.

L'auteur utilise souvent une notion de « sexe biologique » dont le sens est peu clair. Il affirme notamment que les personnes trans* développent un « inconfort avec leur sexe biologique ». Si l'auteur entend dire qu'elles sont mal à l'aise avec leur corps, il est pertinent de mentionner que cela n'est pas l'expérience de toutes les personnes trans*. Certaines sont bien plus inconfortables avec le fait qu'on « habille les garçons en garçon et les filles en fille » - ce qui n'a rien de biologique.

De plus, lorsqu'il dit qu'« une personne [trans*] de sexe masculin se perçoit comme étant de sexe féminin et une personne [trans*] de sexe féminin se perçoit de sexe masculin », il invisible les personnes non binaires, qui ne se voient ni comme hommes, ni comme femme. Il en va de même des personnes bisexuelles et asexuelles, lorsqu'on lit l'orientation sexuelle peut-être « homosexuelle ou hétérosexuelle. »

Également, il parle d'une « transformation apparente vers l'autre sexe », et dit que « cela peut aller jusqu'à la chirurgie de réassignation sexuelle ». D'une part, on se demande bien ce qu'il y a d'« apparent » à cette « transformation » - d'ailleurs, on préfère généralement parler de « transition ». D'autre part, l'expression « cela peut aller jusqu'à... » donne à la chirurgie génitale le caractère d'une mesure extrême, extraordinaire, presque choquante.

Peut-être est-ce accidentel? Toujours est-il que l'idée que ce soit une mesure « extrême » est souvent utilisé dans des discours transphobes. J'en ai fait l'expérience moi-même personnellement.

On lit aussi qu'« il n'est toutefois pas possible de changer son orientation sexuelle. » Cela semble plus s'adresser aux « tenants des thérapies de conversion » (ce qui est juste) qu'expliquer la réalité des personnes trans* (ce qui devrait être le but de l'article). Plusieurs personnes trans* connaissent des changements dans leur orientation sexuelle liés à leur transition.

De plus, même si une personne trans* devait aimer les femmes (et seulement les femmes) avant et après sa transition, elle changerait de catégorie d'orientation sexuelle (d'hétéro à homo ou vice versa), car les mots que nous utilisons sont fondés sur la relation de l'individu à la cible de son attraction. Une femme trans lesbienne aura pu être hétérosexuelle avant sa transition, si son attraction ne change pas, et une femme trans hétérosexuelle aura pu être gaie. Cela explique que beaucoup d'hommes trans s'identifient comme lesbiennes, car ils se sentent affiliés à la communauté lesbienne qui les a accueillis (1).

De plus, dans certains milieux très homophobes (dont certaines communautés religieuses aux États-Unis, ou encore en Iran), le transgendérisme est mieux vu que l'homosexualité, car il « guérit » une personne homosexuelle en la rendant hétérosexuelle. D'ailleurs, jusqu'aux années 1990, cette même logique a historiquement limité les traitements médicaux désirés par certaines personnes trans* à celles qui étaient hétérosexuelles dans leur genre d'identification (2).

En fin de texte, l'auteur fournit un bref historique assez problématique. Il évoque trois réussites, l'obtention du mariage gai, l'élection de Kathleen Wynne et le projet de loi 35, dont nous avons parlé. Certes, il s'agit de grandes victoires, mais les deux premières ne sont pas des victoires trans*. Il aurait été plus approprié de parler de la première nominée ouvertement trans* aux Emmy, Laverne Cox (de Orange is the New Black), que de la première première ministre lesbienne.

De plus, cette mise en relation des réussites trans* et LGB cache le fait (historique!) que le mouvement gai a souvent exclu ou mal représenté les personnes trans*. En effet, bien qu'elles aient participé dès le début au mouvement pour les droits gais, elles ont été systématiquement exclues du mouvement par le passé. Les personnes trans, les queens et d'autres personnes non conformes dans le genre, lourdement marginalisées (et souvent racisées), ont été au cœur de l'émeute mythique de Stonewall, tout de suite récupérée par les homosexuels blancs de classe moyenne, plus acceptés socialement (3).

Dès lors, exit les questions trans*, exit la non-conformité, exit les personnes les plus marginalisées, celles qui avaient le plus de raisons de se battre, celles qui avaient relancé le mouvement gai.

Certes, les choses s'améliorent - la rédaction de cet article en est une preuve -, mais pourquoi cacher cette histoire? Nos activistes gais devraient être fiers d'avoir dépassé les préjugés de leurs prédécesseurs, tout comme les féministes de 3e vague dénoncent le racisme et la transphobie qui régnait dans les milieux féministes dans les années 1970-80.

Évidemment, je suis heureuse de voir une personne gaie s'allier à nous. Toutefois, bien que j'apprécie le geste, nous n'avons pas besoin de son aide ni de l'aide de quiconque pour exprimer nos propres expériences ou nos propres enjeux.

On ne peut alléguer l'absence de personnes voulant s'exprimer. Seulement à Montréal, on compte un grand nombre d'organisations s'occupant spécifiquement de questions trans*, dont l'ASTT(e)Q, le Centre de lutte contre l'oppression des genres, l'ATQ, Enfants transgenres Canada. On compte notamment certains organismes LGBT dans ce groupe, dont Alterhéros, Projet 10 et Jeunesse Lambda. J'en oublie certainement d'autres. Enfin, les quatre universités montréalaises accueillent des groupes s'occupant de militantisme trans* (Concordia, McGill, Université de Montréal, UQÀM). S'il faut obtenir un avis sur le projet trans*, surtout pour des textes d'éducation aussi basiques, ne vaudrait-il pas mieux profiter de la vivante communauté trans* québécoise?

Laissez-nous nous exprimer. Nous savons le faire, mieux que quiconque. Nous avons notre voix et nos choses à dire.

NDLR: Le mot trans* réfère à la fois aux personnes transgenres, transsexuelles et en questionnement, l'astérisque représentant l'inclusion de toutes et de tous, sans limite ou hiérarchie des identités.

(1) Genny Beemyn & Susan Rankin, The Lives of Transgender People, New York, Columbia University Press, 2011.

(2) Susan Stryker, Transgender History, Berkeley, Seal Studies, 2008.

(3) Ibid.

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