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Madame Ravary, j’espère que vous ne remettez pas en question la place des femmes dans la profession médicale!

Honnêtement, est-ce que vous aimeriez vraiment être soignée par un médecin en burn-out, déconcentré et irrité? Moi, non.
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Cela fait quelques jours que je repense à votre éditorial, Mme Ravary, car cela me pèse lourdement sur le cœur. Ce billet qui porte sur la productivité des jeunes médecins, particulièrement celles qui ont des ovaires ayant déjà produit des enfants.

Ce qu'il faut savoir sur les fameux «jours travaillés» de la RAMQ c'est que comme toute statistique, les journalistes et politiciens peuvent en dire ce qu'ils veulent. Il s'agit d'une statistique très incomplète qui n'a jamais été validée comme mesure de la productivité des médecins. En fait, les dés sont pipés: une journée de travail ne compte qu'à partir d'un montant minimal facturé. Si un médecin travaille 16 heures en ligne, une seule journée sera comptabilisée. Si le médecin fait une demi-journée, aucun jour travaillé ne sera pris en compte (les demi-journées ne sont pas additionnables). Plusieurs tâches non facturables n'y sont pas répertoriées comme les journées de paperasse, l'enseignement, la chefferie de département et la gestion de clinique. De plus, cette statistique inclut les médecins en arrêt maladie, en congé parental ou en préretraite. Les chiffres plus réels sur le terrain démontrent qu'un omnipraticien au Québec travaille en moyenne 53.9 h/semaine (et non 4 jours/semaine).

En médecine, il y a un préjugé qui continue à être largement véhiculé en 2018 : «Un médecin à temps plein, ça travaille 70-80h/semaine».

Je vais maintenant vous expliquer quelque chose que vous ne savez peut-être pas. En médecine, il y a un préjugé qui continue à être largement véhiculé en 2018 : «Un médecin à temps plein, ça travaille 70-80h/semaine». Ça, Mme Ravary, ça fait en sorte que quand un médecin dit qu'il travaille à temps partiel, c'est sérieusement parce qu'il ou elle travaille 40 à 50h/semaine. Je ne niaise même pas.

Depuis quelques années, je me suis beaucoup intéressée sur la situation des médecins au Québec. Un médecin sur deux fera un épuisement professionnel (burn-out). Les médecins ont un taux de suicide deux fois plus élevé que la population générale. L'épuisement et le nombre de suicides des médecins ne cessent d'augmenter au Québec. Ça, Mme Ravary, ça m'inquiète beaucoup plus que le travail médical à «temps partiel». Parce qu'un médecin mort, ça a beau avoir eu des études payées en partie par la société, quand il est mort, il ne sert plus personne. Et parce que derrière ce médecin mort, il y avait un humain et tous ses patients et ses proches qui en sont affectés. Si des médecins qui ont fait un burn-out ou souhaitent l'éviter travaillent moins de 70h/semaine, tant mieux pour ces médecins et leurs patients à qui ils continuent de donner des soins. Honnêtement, est-ce que vous aimeriez vraiment être soignée par un médecin en burn-out, déconcentré et irrité? Moi, non.

Tous les jours, j'ai des gens qui pleurent dans mon bureau. Parfois, on pleure avec nos patients. Parfois, on se ronge les sangs à propos d'eux. On s'attache, on veut les aider. Vous avez peut-être déjà lu sur l'épuisement par compassion, Mme Ravary. Les médecins ne sont pas à l'abri de cela. Pour pouvoir bien soigner et écouter leurs patients, ils ont besoin de nourrir leur être. Ils doivent se reposer, diminuer leur niveau de stress et entretenir des intérêts autres que leur travail. Cela les rend plus productifs et concentrés lorsqu'ils sont au travail et leur permet de prolonger leur carrière à long terme, ce qui finalement, sert leurs patients. Les médecins tentent ainsi d'appliquer les conseils qu'ils prêchent comme bouger, manger mieux, diminuer le stress, améliorer leur sommeil.

Savez-vous combien de gens ont émis le regret de ne pas avoir travaillé assez pendant leur fin de vie en 7 ans de pratique, Mme Ravary ? Aucun.

Je fais aussi des soins palliatifs dans ma pratique. Savez-vous combien de gens ont émis le regret de ne pas avoir travaillé assez pendant leur fin de vie en 7 ans de pratique, Mme Ravary ? Aucun. La plupart des mourants veulent simplement voir leurs proches. Ce qui rend les gens heureux, c'est d'entretenir des relations avec leurs proches et d'avoir une utilité dans la vie. Sur ce 2 point, les médecins y sont choyés, mais le «doctor bashing» des dernières années mine considérablement le moral des troupes. Je vais vous le dire, Mme Ravary, en toute franchise, mes collègues et moi souffrons énormément de cette dévalorisation sur la place publique.

Le Québec s'est pourvu d'un excellent programme de congé parental pour les travailleurs. Quand les femmes médecins sont enceintes sans complication, elles vont souvent travailler jusqu'à 35 ou 36 semaines de grossesse. Parfois, elles ont besoin de diminuer la cadence rendue à la fin de leur grossesse ou quand elles vomissent dans les poubelles de la clinique au premier trimestre. Des collègues qui ont pris un an de congé maternité, j'en connais assez peu, Mme Ravary. Et quand ces femmes médecins reviennent travailler avec un bébé de 6 mois, pensez-vous qu'elles travaillent 5 jours/semaine? Ces médecins-là, ça se peut qu'elles fassent «seulement» 35 heures/semaine. J'espère sincèrement que vous ne remettez pas en question la place des femmes dans la profession médicale!

J'espère sincèrement que vous ne remettez pas en question la place des femmes dans la profession médicale!

Enfin, je ne vais sûrement pas vous dévoiler un grand secret, mais les médecins qui sont des parents de jeunes enfants, eux aussi se lèvent la nuit pour leurs petits. Ils ont aussi des semaines de «gastro familiale». Et c'est fou, mais je vous le dis, ils doivent aussi faire l'épicerie, jongler avec les rendez-vous de dentistes/coiffeurs/rencontres d'école et faire du taxi entre les activités des enfants. En 2018, le gouvernement a le même défi que toutes les entreprises: comment conjuguer avec les travailleurs qui visent une meilleure conciliation travail-famille? Mme Ravary, si vous détenez LA solution pour l'épuisement des médecins et sur la conciliation «travail médical-famille», nous serons plus de 20 000 intéressé(e)s à vous l'acheter.

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