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Violences contre Charlie Hebdo: la mondialisation des imbéciles

La différence entre Charlie Hebdo et Dieudonné, c'est que Charlie rit des terroristes là où Dieudonné rit avec les terroristes. C'est la différence entre l'humour et la haine, entre faire respirer la démocratie et vouloir la tuer. Que des journalistes anglo-saxons, des internautes ou de jeunes enfants ne fassent pas cette distinction est inquiétant.
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Ainsi donc, après avoir tué à Paris, d'autres fanatiques tuent et brûlent des Églises au Niger pour un dessin de pardon qui n'a rien d'une « provocation gratuite » et tout d'un acte de courage en réaction à ce massacre.

La mondialisation de la folie n'est pas nouvelle. Elle nous tend un piège bien connu. Blâmer des dessinateurs français d'avoir répondu pacifiquement à un crime quand il faut évidemment blâmer ceux capables de tuer pour des dessins... Qu'ils n'ont probablement pas vus.

Le droit au blasphème milite pour la laïcité. Or c'est justement ce manque de laïcité qui explique ces pogroms religieux pouvant s'enflammer au moindre prétexte comme au Niger. Le pape y a-t-il seulement pensé avant de comparer le fait de moquer la foi à une insulte justifiant de répondre par « un poing dans la gueule » ? Au Pakistan, c'est au nom de cette « philosophie » obscurantiste que des chrétiens sont mis en prison, comme Asia Bib. Le seul fait d'énoncer sa foi est vécu comme une insulte à la religion des autres, majoritaires, et peut valoir d'être jugé pour « blasphème ». Charlie défend le droit au blasphème et donc Asia Bibi, contrairement au pape dont la déclaration encourage les violents de façons irresponsables.

Mais les vrais responsables sont bien ceux qui commettent ces violences. Ces réactions sont restées pour l'heure ultra-minoritaires au sein de ceux que certains commentateurs appellent très rapidement LE monde musulman, alors qu'il est divers et réagit à 99% plutôt pacifiquement. Quelques centaines de manifestants fanatisés au Niger, en Algérie, au Sénégal ou au Pakistan. C'est trop mais cent fois moins qu'à la fin des années 80 contre le livre de Salman Rushdie... Et bien moins qu'en 2006, lorsque la publication de dessins danois avait servi de prétexte pour brûler des ambassades et tuer plus de 150 personnes.

Le fait de tenir bon a un prix, mais ce prix a un sens. Combien de vue et de libertés perdrons-nous si nous cédions ? C'est la question qu'il faut se poser. Au lieu de renverser les procès en « irresponsabilités ».

Des terroristes mal intégrés ?

En parlant d'irresponsabilité, on reste sans voix devant les clichés déversés outre-Atlantique sur la France à l'occasion de ce drame.

Ne parlons pas de Fox news qui a confondu les zones d'urbanisation prioritaires avec des zones de non-droit entièrement musulmanes rappelant Bagdad ou Kaboul, ni de carte de zones « no go zones » tracées en rouge, ni de son pseudo-exert qui aura eu au moins le mérite de nous faire rire dans un moment pareil.

Mais Fox news n'est pas la seule chaîne à faire des raccourcis terriblement indécents. Obama, qui n'a pas trouvé le temps de venir en France, a frôlé l'indécence en nous expliquant que le terrorisme est lié au manque d'intégration des musulmans... Si réussie aux États-Unis. Comme si aucun terroriste américain n'avait jamais existé. Peut-on se permettre de lui rappeler que la discrimination sociale explique rarement, et n'excuse jamais, le terrorisme ?

Était-ce vraiment parce qu'il était « mal intégré » que le milliardaire Oussama Ben Laden a commandité les attentats du 11 septembre et souhaité ceux de Charlie Hebdo ? Parce qu'ils étaient mal intégrés que les islamistes algériens des GIA ont ensanglanté l'Algérie pendant toutes les années 80 ? Ou que des jihadistes irakiens et syriens ont créé l'État islamique ?

Comment peut-on dire dans la même phrase que les musulmans sont les premières victimes du terrorisme, ce qui est vrai, tout en expliquant le terrorisme par le manque d'intégration des musulmans ? C'est donc parce qu'ils ne sont pas assez intégrés dans les pays musulmans que les musulmans se tuent eux-mêmes ? Les musulmans seraient donc racistes envers les musulmans et ce racisme expliquerait la naissance de l'Islam politique radical en Égypte et au Pakistan ?

Est-ce parce qu'ils sont nés en France que les frères Kouachi ont voulu faire le jihad contre les Américains après Abu Graïb et une guerre américaine contre le terrorisme plus dévastatrice qu'efficace ? Est-ce vraiment à cause d'un dessin -- que la presse américaine ne montre pour ne pas « offenser » -- que la propagande jihadiste marche si bien ou à cause de ses images d'Abu Graïb... Qu'il n'aurait pas fallu montrer pour ne pas « offenser » ?

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La vérité, c'est que le terrorisme islamiste comme la guerre fournit un sens et de l'adrénaline à tous les frustrés qui rêvent de tirer à la kalachnikov et d'avoir des esclaves sexuelles. L'explication hormonale, patriarcale, est bien plus valable que l'explication sociale. Ce qui ne veut absolument pas dire qu'une meilleure politique sociale n'est pas souhaitable pour faire baisser la tentation hormonale. Quant au sens, la réponse au terrorisme ne se trouve pas dans l'excuse mais bien dans le fait de tenir bon en matière d'idéal. Et c'est là où la censure de Charlie Hebdo par certains journaux américains et anglais est si grave.

Censure anglo-saxonne

On débat dans les rédactions, on soutient Charlie, mais les directions ont tranché... La plupart ont censuré la couverture de Charlie hebdo, comme ils avaient censuré les caricatures danoises en 2006, en expliquant qu'elles pouvaient être offensantes pour les musulmans.

Certains disent aujourd'hui pour des raisons de sécurité. C'est un progrès. Mais serions-nous en danger si tous les médias du monde avaient simplement montré ces dessins danois ou cette « une » au lieu d'en faire un tabou ? Au lieu de laisser croire qu'ils pouvaient justifier des réactions outrées ?

Ce refus d'informer révèle un fossé culturel gigantesque concernant la laïcité et la liberté d'expression.

L'Amérique a fondé sa démocratie sur la liberté de religion. Les sensibilités religieuses y sont plus sacrées que le devoir d'informer. Quant à l'Angleterre, elle n'est ni une république ni laïque, mais une monarchie parlementaire liée à une religion d'État. Cette religion privilégiée l'oblige visiblement à manier avec précaution les sensibilités d'autres religions, minoritaires, au nom d'un interdit religieux qui n'existe même pas.

Le Coran n'interdit même pas la représentation de Mahomet. Il interdit l'idolâtrie. C'est-à-dire exactement ce que font les fanatiques en le révérant et en tuant en son nom pour empêcher qu'on désacralise son image... dans Charlie Hebdo.

Quand bien même le Coran interdirait de représenter Mahomet, cet interdit n'est évidemment pas valable pour les non-musulmans et les démocraties laïques. Ou alors, il faut aller jusqu'au bout de la logique et interdire à tous, partout, toutes les représentations des prophètes de l'Islam... Comme Jésus en fait partie, il faut interdire les christs en croix dans les Églises et les films sur Jésus dans les cinémas. Et puis pourquoi se limiter aux religions ? En toute logique, pour éviter d'offenser, il faut aussi interdire les films hollywoodiens qui froissent Kim Jong Un, le dictateur Nord-Coréen. Et plus globalement importer les lois des dictateurs et des fanatiques en démocratie. C'est-à-dire l'abattre.

L'Amérique a compris cet enjeu au moment des menaces pesant sur le film « The Interview ». Elle a tenu tête à la Corée du Nord. Elle perd le Nord quand il s'agit de religion.

Ce ne serait pas si grave si ces critères anglo-saxons n'étaient pas devenus les nôtres malgré nous. Puisqu'ils régissent les nouveaux médias mondiaux que sont l'iPad d'Apple ou Facebook. Sur ces nouveaux médias mondiaux, le fait de moquer la religion ou de montrer des seins peut vous valoir d'être bloqué et censuré. Tandis que l'incitation à la haine, elle, ne fait que prospérer.

Dieudonné n'est pas Charlie

Au lieu d'œuvrer à préserver la liberté d'expression tout en combattant l'incitation à la haine, comme le fait Charlie, de grandes voix sèment la confusion. Comme Jon Stewart, le célèbre animateur humoriste du Daily Show, qui n'a rien trouvé de mieux que d'accuser les médias français d'« hypocrisie » et de prendre la défense de l'antisémite Dieudonné. Ce qui a régalé les sites d'extrême droite et/ou pro-islamistes français (et oui, les deux ne sont pas incompatibles, surtout chez les soutiens de Dieudonné).

Cette conception confuse de la liberté d'expression n'est pas seulement irresponsable et navrante. Elle sert les ennemis de la liberté.

Quand Dieudonné était un humoriste et se riait de toutes les religions, dont le judaïsme, personne ne songeait à le faire condamner à des amendes... Qu'ils ne règlent d'ailleurs pas. À l'époque, il était drôle et soutenu. Mais ce Dieudonné n'existe plus. Aujourd'hui, il est à la tête d'un parti politique, fondé avec un homme qui se définit comme « national socialiste », dont le fonds de commerce est le racisme anti-Juifs. Il ne rit plus contre les religions. Il minimise voire nie la Shoah, se moque de la décapitation et s'identifie à l'assassin d'une policière noire et des clients de l'hyper casher.

La différence entre Charlie Hebdo et Dieudonné, c'est que Charlie rit des terroristes là où Dieudonné rit avec les terroristes. C'est la différence entre l'humour et la haine, entre faire respirer la démocratie et vouloir la tuer.

Que des journalistes anglo-saxons, des internautes ou de jeunes enfants ne fassent pas cette distinction est inquiétant. Cette confusion est un poison mortel pour la démocratie. On ne pourra pas arrêter toutes les balles, mais on se doit d'urgence de chercher un antidote et s'éclaircir les idées avant de céder de nous-mêmes à ceux qui nous menacent, sans même qu'ils aient besoin de tirer.

Caroline Fourest est spécialiste de l'intégrisme musulman et de l'extrême droite, ancienne journaliste à Charlie Hebdo, auteure d'une Hors-série de Charlie Hebdo sur le Blasphème.

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