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Les versions littéraires racontent la découverte de la sexualité au risque du viol et leur succès ne se dément pas, tandis que les versions orales racontent l'initiation aux âges successifs de la vie de femme par l'apprentissage des savoir-faire féminins entre femmes au risque de leur rivalité, allant jusqu'à l'élimination physique.
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Vous connaissez l'histoire du Petit Chaperon rouge et son fameux avertissement: «petites filles méfiez-vous du loup»? La version de Charles Perrault où le loup dévore la petite fille se termine mal et celle de Grimm, où le chasseur ouvre le ventre du loup et délivre la petite fille et sa grand-mère se termine bien.

Mais connaissez-vous les traditions orales de ce conte recueillies dans plusieurs provinces françaises à la fin du 19e siècle? Probablement pas, car ces versions n'ont jamais dépassé le cercle des veillées. L'ethnologue Yvonne Verdier avait publié en 1978 cette passionnante comparaison entre tradition littéraire et tradition orale que les éditions Allia viennent de rééditer.

Dans les versions orales, on trouve deux épisodes qui leur appartiennent en propre. Lors de sa rencontre dans la forêt avec le loup, la petite fille doit choisir entre le chemin des aiguilles et celui des épingles. Le loup lui prescrit le chemin des épingles, symbole de la puberté dans la société paysanne du 19e siècle où les filles étaient envoyées à 15 ans auprès d'une couturière.

Le second épisode est celui du repas cannibale. Le loup, qui a déjà dévoré en partie la grand-mère toute crue, offre à la petite fille de manger rien de moins que la chair et le sang de sa grand-mère qu'elle va soigneusement cuisiner, acquérant par incorporation le pouvoir de procréer et celui de faire la cuisine, tous attributs des mères et des épouses. Moralité: en devenant mère, la grand-mère sera mangée.

Si les femmes se dévorent entre elles, quel rôle joue le loup?

Dans la tradition populaire, il n'a pas de statut généalogique précis; mais quand il demande au petit chaperon rouge de se déshabiller avant de se glisser au lit, scène d'initiation sexuelle, il est bien l'ennemi révélateur qui lui découvre son destin de femme. Les questions de la petite fille portent sur son aspect velu et le loup répond invariablement: «c'est de vieillesse mon enfant, c'est de vieillesse». Comme si, en vieillissant, la grand-mère perdait sa féminité, se masculinisait et manifestait clairement son désir de manger sa petite fille. Il n'empêche que le jeu se joue bien à trois, car, couchée contre le loup, la petite fille ne peut que réaliser qu'il s'agit bien du loup déguisé en grand-mère. La plupart des versions populaires se terminent bien, la petite fille réussissant à s'échapper: seule la grand-mère aura été mangée par le loup et sa petite fille.

Les versions littéraires racontent la découverte de la sexualité au risque du viol et leur succès ne se dément pas, tandis que les versions orales racontent l'initiation aux âges successifs de la vie de femme par l'apprentissage des savoir-faire féminins entre femmes au risque de leur rivalité, allant jusqu'à l'élimination physique.

Sans aller jusque là, la transmission de mère à fille n'implique-t-elle pas toujours que chaque femme sache tenir sa place en la cédant à la suivante? C'est si difficile à accepter qu'on comprend mieux l'absence de succès des versions orales!

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