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Si Xavier Dolan était un drapeau

Quand nous, Québécois, brandissons notre fleurdelisé, que disons-nous, au juste? La fierté ne nous envahit que sporadiquement, par exemple quand Xavier Dolan est à la télé.
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En voyant Xavier Dolan hésiter à admettre qu'il vise la Palme d'or au prochain Festival de Cannes, lors de la dernière de Tout le monde en parle, j'ai poussé un soupir d'exaspération. Je me suis retrouvée pendue à ses lèvres et à l'intérieur je lui criais : «Vas-y, vas-y! Dis-le que tu veux gagner!»

Ce qu'il a fini par faire après avoir reçu quelques encouragements et après avoir justifié sa réticence en évoquant le fait que nous, les Québécois, avons un problème avec les gens qui ont du succès. C'est mal vu, surtout s'il faut en parler, alors là, attention à la manière de le dire!

C'est là que j'ai pensé au drapeau américain.

(Eh non, ceci n'est pas une critique contre un cinéaste québécois talentueux qui a été gêné de dire haut et fort que oui, lui, il think big, contrairement à la majorité de ses compatriotes, par peur, peut-être, de passer pour des prétentieux.)

Chaque année, je passe du temps aux États-Unis, que ce soit au Massachusetts, en Floride, dans le Maine, à New York, à Las Vegas. Lorsqu'on se déplace d'un point A à un point B, pour s'amuser un peu avec mon fils, on compte parfois les drapeaux américains aperçus çà et là, que ce soit sur le perron d'une maison ou devant une école. Qu'ils soient aussi petits qu'un autocollant sur le derrière d'une voiture ou grands comme... comme c'est difficile de savoir combien c'est grand au juste, tellement c'est grand.

On n'a qu'à faire quelques kilomètres, dans n'importe quelle ville un tant soit peu significative, on en dénombre des dizaines et des dizaines. Devant un concessionnaire automobile, par exemple, on aura du mal à les recenser tous à moins de rouler à basse vitesse. Pourquoi mettre un seul mât de 30 pieds avec un drapeau quand on a de la place pour en installer 22? C'est une bonne question à se poser.

Et les Américains se posent ces questions-là et mettent des drapeaux partout. C'est un simple constat. Ils s'habillent aussi parfois avec.

Mais pourquoi? Pour éviter aux touristes d'oublier où ils sont? Parce qu'ils reçoivent un crédit d'impôt pour chaque pouce de drapeau exposé sur la place publique?

Non. Les Américains plantent des drapeaux américains parce qu'ils sont fiers d'être Américains. Aussi bête que ça.

Au sujet de la signification des éléments constitutifs du Star-Spangled Banner, le président George Washington avait expliqué : «Nous prenons les étoiles du ciel, le rouge de notre pays d'origine (l'Angleterre), avec des bandes blanches en guise de séparation montrant ainsi que nous nous sommes séparés d'elle, et les bandes blanches passeront à la postérité comme symbole de liberté.»

Une interprétation prophétique, puisque 240 ans plus tard, après avoir été plantées sur la Lune et hissées sur l'île d'Iwo Jima, ces étoiles et ces bandes de couleur revêtent toujours le même symbolisme. Les origines coloniales (l'Angleterre), l'indépendance (les bandes blanches) et les ambitions (les étoiles) de ce pays. Ce drapeau rappelle aux Américains ce qu'ils ont accompli, qui ils sont et ce à quoi ils tiennent et aspirent, et tout ceci se résume en un mot : la liberté.

Parce qu'ils think big

Les Américains sont fiers d'être Américains et d'exposer cette identité devant chez eux, sur leur maillot de bain, dans leurs parcs, au centre commercial. Partout.

En y repensant, c'est aussi peut-être une façon d'éviter toute confusion aux touristes et aux étrangers en général : ici, on est aux États-Unis. Think big, parce que nous, on think big. Et c'est vrai, qu'ils think big. C'est vrai que tout est plus big, aux États-Unis, et pas juste les formats de frites chez McDonald's. Et si tu l'oublies, regarde par-là, mon ami, un drapeau va te le rappeler.

Aucun lien à faire avec la vision du colonisé dénoncée par Falardeau dans le film Elvis Gratton, attention. Je parle plutôt ici du fait que c'est surtout dans leur tête que les Américains voient grand, non pas que je pense «qu'ils l'ont l'affaire» et devraient dominer le monde économiquement, idéologiquement et culturellement.

Mais ils rêvent grand. Et ils ont l'audace de poursuivre leurs rêves. Collectivement, ils ne pensent pas que leurs idées ou leurs buts sont probablement hors de leur portée, ni même qu'ils pourraient déplaire ou paraître injustifiés aux yeux de quiconque. S'ils font ceci, c'est parce que c'est bon pour eux, point final, et en plus c'est parce qu'ils le méritent. D'autres questions?

C'est aussi vrai si un Américain s'achète une voiture luxueuse. Règle générale, il ne craindra pas que son voisin commence à le regarder de travers. Non. Parce qu'en voyant ça, son voisin se dira simplement que les choses ont l'air de bien se passer à côté. Pas que le nouveau propriétaire de Lexus a probablement «crossé» quelqu'un pour faire de l'argent. Bon d'accord, il aura aussi peut-être envie d'acquérir une voiture encore plus prestigieuse que lui, mais ça, c'est une autre affaire.

Le chaînon manquant

Ce qui nous ramène à Xavier Dolan. Comme Julie Snyder l'a rappelé lors de l'émission de Tout le monde en parle ce dimanche, il avait prononcé en 2014 un discours touchant en remportant le Prix du jury à Cannes, dont ceci : «Je pense que tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n'abandonne jamais.»

Je crois qu'il manque un chaînon à ce raisonnement presque parfait : la fierté.

Parce que c'est la fierté qui fait de nous des êtres capables de rêver plus grand. C'est la fierté qui nous donne assez de courage pour oser nous dépasser, parce qu'on a confiance. De là, on trouve un sens au travail accompli et on peut - et on veut - persévérer. Et on n'est pas gêné de nos réussites... on en est fier.

Sans fierté, le plus beau drapeau du monde perd toute valeur. Un drapeau peut faire vibrer un peuple, mais c'est d'abord le peuple qui l'investit de son pouvoir attractif. Sans lui, il n'est qu'un carré de tissu.

Et quand nous, Québécois, brandissons notre fleurdelisé, que disons-nous, au juste? Quel message avons-nous gravé sur sa peau soyeuse? Que nous sommes Québécois, ça va de soi, mais quoi d'autre? Que fait-il résonner au plus profond de nous? Qu'apprend-il aux touristes et aux étrangers sur notre évolution, nos valeurs et notre nature profonde? Dans quelle mesure nous distingue-t-il des autres nations de ce monde?

J'y réfléchis parfois. Je me demande si l'absence de cette portée unique et puissante, que nous n'avons tout simplement pas encore acquise pour nous-mêmes, nous prive de pouvoir en attendre autant de notre drapeau et de partager cette tendance naturelle de le hisser bien haut pour célébrer ce que l'on a accompli, qui nous sommes et ce à quoi l'on tient et aspire. D'être en mesure de nous dire à nous-mêmes et au reste du monde qu'ici, on est libres. Et qu'ici, on think québécois.

La fierté qu'on ne peut exhiber, cette affirmation de nous qu'on ne s'accorde pas, qu'on ne se permet pas de ressentir, un drapeau qui se suffit à lui-même parce qu'il est l'incarnation d'un peuple qui a transcendé le temps et traversé les tempêtes, d'un peuple qui regarde les étoiles briller.

La fierté qui ne nous envahit que sporadiquement, par exemple quand Xavier Dolan est à la télé et qu'on se rappelle qu'il existe et qu'il est génial, puis tout le monde l'aime, puis il va retourner à Cannes, bonne nouvelle, ce p'tit gars de chez nous, quand même, c'est quelqu'un, et les applaudissements et les louanges en témoignent. Comme si on était prêts à planter des Xavier Dolan devant chez nous... mais pas des drapeaux.

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