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Lac-Mégantic: je n'ai pas oublié

Si je suis élue députée de Sherbrooke, le 19 octobre, je me battrai jusqu'à ce que le transport ferroviaire soit encadré de façon responsable et sécuritaire par le gouvernement fédéral.
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Le 11 juillet 2013, j'étais en compagnie de collègues journalistes de La Tribune sur la terrasse d'une microbrasserie du centre-ville de Sherbrooke. Une ancienne gare métamorphosée en haut lieu du houblon. La voie ferrée, elle, n'avait pas changé de vocation.

Tout à coup, notre discussion a été interrompue par les cris stridents d'un convoi qui approchait. À une dizaine de mètres de notre table, les wagons-citernes aussi sombres que leur contenu ont commencé à défiler devant nos yeux.

Autour des tables voisines, le malaise était palpable.

Le vacarme insoutenable du train s'était emparé de moi. Mon âme sursautait à chaque bruit de klaxon. J'étais paralysée d'effroi. J'ai détourné le regard.

«Ça va, Caro?», m'a demandé ma collègue.

J'ai fait signe que non. Ça n'allait pas. J'ai éclaté en sanglots, là, à cette table, tout près de la voie ferrée, le dos tourné à cette bombe sur rails qui poursuivait sa route vers je-ne-sais-où.

Le choc

Cinq jours plus tôt, le samedi 6 juillet, j'étais l'une des premières journalistes arrivée sur les lieux de la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic.

C'est moi qui était «de garde» cette fin de semaine, comme on dit dans le jargon. Un patron m'avait téléphoné tôt le matin.

«Un train a explosé», m'a-t-il annoncé.

Un train? Explosé comment? Ça n'était sûrement pas si grave...

Sur la route en direction de Lac-Mégantic, la colonne de fumée causée par l'incendie qui n'était toujours pas maîtrisé était visible à des kilomètres de distance. Le photographe qui m'accompagnait a alors pris ses premiers clichés d'un drame que nous n'avions pas encore saisi.

Premier arrêt: le centre hospitalier. À l'extérieur, un homme avec un bras pansé fumait une cigarette. Je me suis approchée.

«Savez-vous ce qui s'est passé cette nuit?», lui ai-je demandé.

«Oui, j'étais là», m'a répondu ce résidant, qui venait tout juste de quitter le Musi-Café lorsque le train a déraillé devant ses yeux. C'est en voulant porter secours qu'il avait été blessé.

«Je ne pouvais pas m'approcher, il y avait du feu partout. D'après moi, plusieurs personnes n'ont pas été capables de sortir», pensait-il, avec raison.

Du feu partout? Ça restait difficile à imaginer. Mais plus j'approchais du périmètre de sécurité, plus les témoignages concordaient.

«Tous mes amis sont morts.»

«J'ai peur pour mes locataires, une jeune femme et ses enfants, je n'ai pas de nouvelles d'eux.»

Le lundi, le monde entier avait appris ce qui s'était produit à Lac-Mégantic. De mon côté, j'effectuais une tournée de la ville pour mesurer l'impact de l'événement sur les commerçants. Le dépanneur était littéralement pris d'assaut, les fournisseurs faisaient des pieds et des mains pour acheminer assez d'eau et de nourriture, les copies des journaux s'envolaient comme des petits pains chauds.

Puis, j'ai eu l'idée de visiter la fleuriste, à l'entrée de la ville. Normalement, quand on apprend la mort de quelqu'un, on s'empresse d'offrir des fleurs aux proches. Les Méganticois en étaient-ils rendus là?

La boutique était déserte et la propriétaire a tôt fait de m'accueillir.

«Je n'ai eu aucun client depuis samedi, sauf ce matin. Une dame que je connais est venue acheter des ballons pour ses petits-enfants, pour qu'ils puissent les envoyer à leur père qui est au ciel», m'a raconté la fleuriste.

Derrière mes lunettes fumées, j'avais les yeux pleins d'eau à imaginer ces enfants chercher leur papa à travers les nuages... en vain.

La chute

Ce soir-là, quand j'ai arrêté de couvrir la tragédie, je cumulais 40 heures de travail en trois jours. J'avais fini par craquer, quelques heures plus tôt, juste après mon passage chez la fleuriste.

«Mon fils est là-bas (dans les décombres)», m'a dit une dame rencontrée sur le trottoir.

Je l'ai écoutée longuement. Dans des circonstances similaires, les gens se confient parfois aux journalistes parce qu'ils les voient un peu comme des psychologues. Ils se vident le cœur avec le sentiment d'avoir devant eux un professionnel qui les comprend et qui les aidera dans leur cheminement.

Ce n'était pas le cas de cette dame. J'ai senti que pour elle, il s'agissait surtout que la vie de son fils ne soit pas passée sous silence parmi toutes les autres histoires des nombreuses victimes.

Elle m'a parlé de son fils, tout simplement, me disant combien il était beau, grand, gentil, merveilleux. Il avait 27 ans et vivait en Suisse depuis quelques années.

Elle devait déjeuner avec lui ce matin-là, juste avant qu'il reprenne l'avion après une visite de deux semaines.

Au lieu de ça, c'est un ami de son fils qui a cogné à sa porte ce samedi matin pour vérifier s'il était rentré chez elle après la fête organisée pour souligner son départ. Non, il n'était pas dans son lit. Il était déjà dans sa tombe.

J'ai pensé à mon fils, qui avait cinq ans, lui pour qui un train n'était autre chose qu'un jeu. Comment vivre sans son enfant? Comment survivre?

Pour la première fois depuis mon arrivée à Lac-Mégantic, j'ai pleuré en même temps que cette maman au cœur brisé. Je l'ai prise dans mes bras et son conjoint nous a entourées de ses bras à son tour.

Il n'y avait plus de barrières entre nous. Je n'étais plus une journaliste en train de faire son travail. Nous n'étions que trois humains affectés par le même drame, chacun à sa façon. À ce moment-là, je suis entrée dans la statistique des victimes collatérales.

Après un moment, nous nous sommes séparés, Madame Lacroix, son conjoint et moi. Mais je ne les oublierai jamais.

Le retour

Madame Lacroix, si vous me lisez, sachez ceci: je ne vous ai jamais oubliée.

Si je suis élue députée de Sherbrooke, le 19 octobre, je me battrai jusqu'à ce que le transport ferroviaire soit encadré de façon responsable et sécuritaire par le gouvernement fédéral.

Est-ce qu'une voie de contournement devrait être aménagée à Lac-Mégantic? Absolument, et je l'affirme sans hésiter. Et cette communauté ne devrait pas avoir à quêter cette paix d'esprit dans l'espoir que l'on daigne finalement accepter de faire une exception. L'exception, elle s'est déjà produite, le 6 juillet 2013, à Lac-Mégantic.

En ce qui concerne l'ensemble du réseau ferroviaire, il est impératif de déployer toutes les ressources nécessaires afin qu'il soit inspecté et entretenu de façon rigoureuse. Ce contrôle ne doit plus dépendre du bon vouloir des compagnies ferroviaires.

Le manque de transparence et l'attitude laxiste qu'a démontré le gouvernement fédéral dans ce dossier me choque au plus haut point. Ici, à Sherbrooke, alors que les trains longent nos cours d'eaux, traversent le centre-ville et notre magnifique parc urbain, les élus municipaux demeurent dans le noir quant à la situation qui prévaut sur leur territoire.

Il est urgent d'agir. J'ai honte de la vitesse à laquelle ce dossier majeur avance depuis plus de deux ans, sans compter l'indignation que je ressens devant les erreurs du passé. Des erreurs qui ont fauché 47 vies dans ma région et qui ont profondément marqué des milliers de personnes.

Pour moi, et pour le Bloc québécois, la sécurité ferroviaire, ce n'est pas négociable.

Si je publie ce billet aujourd'hui, c'est pour dire au prochain gouvernement qui sera au pouvoir à Ottawa que le dossier de la sécurité ferroviaire, j'en fais une affaire personnelle.

Que le prochain gouvernement de ce pays soit sûr d'une chose: la prochaine fois que je retournerai à Lac-Mégantic, je le ferai avec le sentiment du devoir accompli. J'irai retrouver cette dame qui m'a tant émue. Je ne serai plus qu'un témoin de sa douleur.

J'aurai alors fait la paix avec le sentiment d'impuissance qui m'habite depuis le jour où j'ai mis les pieds à Lac-Mégantic. Peut-être même que je me sentirai fière...

Comme on cherche souvent un sens aux épreuves que l'on traverse, je me suis plusieurs fois demandé pourquoi c'est moi, qui était de garde ce jour-là. Probablement parce qu'il se pourrait bientôt que j'aie le pouvoir d'agir.

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