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La crise du mouvement environnemental (1/2)

50 ans après son émergence, le mouvement environnemental arrive à la croisée des chemins. Malgré une présence mondiale et un pouvoir considérable, on constate que les verts ne réussissent pas à freiner la dégradation de la planète. Comment expliquer cela? Est-ce la fin de l'environnementalisme ou le début de quelque chose d'autre?
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Cinquante ans après son émergence, le mouvement environnemental arrive à la croisée des chemins. Malgré une présence mondiale et un pouvoir considérable, on constate que les verts ne réussissent pas à freiner la dégradation de la planète. Comment expliquer cela? Est-ce la fin de l'environnementalisme ou le début de quelque chose d'autre?

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la situation de l'environnement ne s'améliore pas. Sous le vernis du marketing et des relations publiques, la destruction est réelle, physique, factuelle. Les chiffres ne mentent pas. Les changements climatiques augmentent sans résistance significative. Il en va de même pour la pollution, les problèmes de santé environnementale, la perte de biodiversité.

Ce sont ces problèmes que le mouvement environnemental, ou mouvement vert, cherche à combattre depuis son émergence dans les années 1960. Il est devenu un des trois grands mouvements sociaux de la planète, à côté du mouvement pour la paix et du mouvement des femmes. Aujourd'hui, l'environnementalisme forme une nébuleuse, complexe et diversifiée, tant dans le discours, qui varie grandement d'un organisme à l'autre, que dans les pratiques employées, allant du lobbyisme à l'action directe non violente..

De plus en plus d'activistes et de chercheurs en sciences sociales essaient de comprendre pourquoi la situation globale dégénère en dépit des efforts titanesques déployés depuis un demi-siècle.

Constat d'un échec

Récemment, plusieurs figures emblématiques ont effectué des sorties publiques pour déclarer l'échec du mouvement environnemental.

Pensons notamment au témoignage de Harvey Mead, véritable pionnier du développement durable au Québec, dont il fut le premier commissaire. Mead perçoit sa longue carrière d'environnementaliste comme un échec. « Le changement de paradigme n'est pas survenu » confie-t-il à un journaliste du Devoir. « Le seul objectif qui prévaut aujourd'hui est encore celui de la croissance. »

Lorsqu'on lui demande son opinion sur le virage à l'économie verte (le groupe Switch, qui allie certains groupes comme Équiterre et les alumineries, en est un bon exemple), Mead est catégorique : « Il est trop tard pour cela. On n'a plus le temps ».

David Suzuki, figure emblématique du développement durable au Canada, arrive aussi à un constat plutôt sévère. Pour lui, la bataille est perdue tant que le mouvement cherche des gains en surface. Il ne faut plus s'attaquer aux symptômes, mais bien à la cause : la mentalité anthropocentriste. Suzuki plaide donc pour une vision biocentriste.

Ce constat d'échec, venant d'ardents promoteurs du développement durable, est extrêmement significatif dans l'étude du mouvement social environnemental. Il témoigne d'une grande humilité. Mais la critique que Mead, Suzuki et leurs pairs offrent au mouvement n'est pas nouvelle, loin de là.

La critique du mouvement environnemental

En tant que chercheur en sciences sociales, j'ai eu la chance d'étudier la frange radicale du mouvement environnemental québécois entre 2001 et 2010, c'est-à-dire tous ces groupes qui ne sont ni incorporés, ni financés et qui privilégient la démocratie directe et les actions directes pour s'opposer, immédiatement, à la destruction de l'environnement.

Si ces groupes radicaux ont jailli de façon informelle, c'est notamment parce qu'ils ne croyaient pas que les organisations « mainstream » comme le World Wildlife Fund ou le Sierra Club existent vraiment pour protéger l'environnement. Celles-ci feraient plutôt partie du problème. Les radicaux leur reprochent de s'allier au pouvoir en place, de vendre une bonne conscience et de légitimer le système capitaliste (voir : greenwashing) qui crée les problèmes environnementaux. D'emblée, ces organisations semblent trop conciliantes, inefficaces, hypocrites et déconnectées de la réalité.

On peut aussi retracer cette critique plus loin dans le temps. Dans 30 ans au RQGE : une histoire dissidente du mouvement écologiste citoyen au Québec, de 1982 à 2012, Philippe Saint-Hilaire-Gravel documente nombre de dissensions qui ont existé, et qui existent encore, entre les groupes écologistes communautaires autonomes (plus critiques, mais aussi fragilisés par l'État) et les grandes organisations professionnalisées. Celles-ci sont perçues, encore une fois, comme étant instrumentalisées, hiérarchisées, corporatives.

Et ça ne s'arrête pas là. L'étude du sociologue Jean-Guy Vaillancourt dénotait déjà dans les années 1970 une grande variété dans des discours du mouvement environnemental, allant des anarchistes aux conservationnistes.

Ultimement, c'est la raison même du mouvement environnemental qui est interpellée. Voulons-nous une transformation sociale qui permette un mode de vie écologique, ou souhaitons-nous mettre toutes nos énergies à polir le système actuel, alors qu'il est fondamentalement antisocial et « écocidaire »?

Le développement durable : un contrat faustien

Si on cherche à retracer le moment exact où le mouvement environnemental s'est divisé, où il a perdu sa force pour sceller l'échec qu'on constate aujourd'hui, c'est dans l'avènement du développement durable.

Véritable paradigme de l'environnementalisme corporatif, le concept de développement durable, mis en place en 1987 par le rapport Brundtland, a été consacré lors du deuxième Sommet de la Terre à Rio, en 1992. À cette époque, le mouvement environnemental prenait de l'ampleur et devenait une réelle menace pour l'ordre établi. Les leaders industriels et les chefs d'État le redoutaient parce que ce mouvement était le seul des grands mouvements sociaux à nécessiter un renversement du système économique en place.

Le développement durable s'est installé par le haut (top-down) avec la promesse d'un compromis : il serait possible de sauver l'environnement tout en maintenant le système capitaliste. Par cette contorsion sémantique, il n'y aurait plus de conflit. Les écologistes n'auraient plus de raison de critiquer le capitalisme, et en revanche, les décideurs mettraient en place des politiques plus vertes. Une réconciliation, ou l'apparence de!

Le nouveau paradigme s'est installé rapidement dans la majorité des institutions publiques et privées, réussissant à séduire non sans traumatismes une grande partie du mouvement environnemental qui s'y est identifiée. Intégrant pleinement le discours du développement durable, souvent avec les meilleures intentions possible, ces organismes sont devenus à leur tour les défenseurs et les porte-voix du capitalisme vert.

L'avantage était clair : il devenait maintenant possible de paraître comme un interlocuteur « rationnel » face à l'État et aux compagnies. Un avantage concurrentiel particulièrement intéressant pendant que les autres groupes (écologistes, citoyens, communautaires, critiques) qui n'avaient pas « acheté » cette vision se mobilisaient pour la confrontation sans compromis.

La division fut marquée et elle persiste encore aujourd'hui. Et si vous n'avez jamais entendu ces critiques à l'égard du mouvement environnemental et du développement durable auparavant, c'est justement parce que les groupes qui se sont portés en contestation ont été marginalisés, réprimés, tournés en bourriques par les médias, et plusieurs sont disparus. Certains ont eu leur financement coupé, et d'autres ont été la cible de poursuites-baillons et de profilage politique.

Vers un renouveau?

Ce qui est différent, c'est que les grandes organisations environnementales, ayant signé le contrat faustien du développement durable, réalisent actuellement que leur pari a complètement échoué. Même avec quelques petites victoires symboliques, le portrait global s'aggrave continuellement et cette stratégie de conciliation, qui était déjà faible, s'effondre devant la réalité empirique. Du développement durable il n'y a finalement que le développement industriel.

La population fait confiance aux environnementalistes, mais dans l'absence de gain significatif, les problèmes environnementaux ont atteint des proportions telles que même des scientifiques proposent la révolte comme seule solution possible. Dans cette nouvelle conjoncture, les grandes organisations prennent conscience que leurs diverses campagnes, soit dans les revendications ou dans les moyens employés, ne collent pas à la réalité.

La dissonance cognitive a atteint son paroxysme et le mouvement n'a plus le choix, il doit s'éteindre ou devenir autre chose.

Dans mon prochain billet, j'explorerai quelques pistes de solution.

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