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Radicalisme: le nouveau mot fourre-tout

On n'est pas obligé d'être d'accord, mais force est de reconnaître que l'histoire est pleine de cas où briser la loi fut nécessaire et légitime: de la lutte à l'esclavage, à la résistance sous occupation nazie, en passant par le suffrage universel.
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La semaine dernière, l'Office national de l'énergie décide d'annuler les audiences publiques concernant l'évaluation du pipeline Énergie Est. Dans son communiqué, elle porte le blâme sur les perturbations d'activistes lors du premier jour d'audiences, qu'elle qualifie de violentes. Parce que les activistes ont fait du bruit. Lise Ravary est certaine qu'il s'agit de radicaux alors ça doit être vrai.

Ce glissement sémantique n'est pas nouveau. De la création du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV) aux mesures draconiennes de l'État d'urgence en France, nos gouvernements profitent des attentats de l'État islamique pour tenter de marginaliser la dissidence politique sous toutes ses formes.

Le CPRMV, ou «pas de chicane dans ma cabane»

D'abord, on ratisse large. Non satisfait de s'attaquer seulement à l'intégrisme religieux, le CPRMV fait d'une pierre deux coups pour réduire une multitude de discours et de pratiques complexes au seul «radicalisme», comme si tout cela équivalait. Dans sa typologie des «types de radicalisation», le Centre met sur un pied d'égalité les intégristes religieux, les néonazis, «l'extrême-gauche» et oui, des environnementalistes... qui utiliseraient «la violence pour défendre leur cause». C'est un rapprochement dangereux et intellectuellement malhonnête, mais bon, les conservateurs l'ont fait en premier.

Ce flou s'explique peut-être du fait que le CPRMV ne définit jamais ce qu'il considère comme violent. Est-ce que briser une vitre, c'est violent? Est-ce que faire du bruit, comme prétend l'ONÉ, c'est violent? Et lorsqu'un membre de l'EI fait sauter une bombe, est-ce aussi grave que lorsque des activistes pour les droits des animaux libèrent des belettes en cage? C'est ce qu'on présume, non?

Tandis que le Code criminel du Canada qualifie surtout de violence une atteinte à l'intégrité physique d'une personne (i.e. blesser réellement quelqu'un), ce manque de clarté de la part du Centre témoigne soit d'incompétence, ou alors, et plus probable: du projet volontaire de marginaliser, voire de profiler pour ensuite criminaliser les gens qui ont d'autres positions que celle du gouvernement.

Bien sûr, ce gouvernement qui fait la guerre aux pauvres, lui, il n'est pas radical, il n'est pas violent. La compagnie minière financée à même nos impôts, celle qui s'enfuit avec le minerai, pollue l'eau et empoisonne la population, elle n'est pas radicale, elle n'est pas violente. Mais si des victimes de ces injustices se mobilisent pour faire valoir leurs droits humains, ce sont elles, les dangers publics? Vous voulez rire?

«Tous nos droits ont fait l'objet de luttes sociales et politiques et les activistes d'aujourd'hui le savent très bien.»

Que veut dire le mot radical?

Vous savez peut-être que j'ai passé plusieurs années de ma vie à étudier l'écologie radicale au Québec. Dans mon mémoire, j'ai donné la parole à quelque dix collectifs actifs entre 2001 et 2007. Dans ma grille d'analyse, pour qu'un groupe soit radical, il devait être 1. informel et autonome 2. non financé par l'État et 3. exprimer des valeurs environnementales et anti-capitalistes. Voilà tout. Pour ces groupes, l'étiquette «radical» n'était pas perçue comme une insulte, mais une qualité, un gage de franchise. La question était surtout celle du compromis, à savoir s'ils allaient compromettre leurs valeurs au profit de gains symboliques, comme font des grosses organisations environnementales, ou aller droit au but, aux racines du problème... d'où le mot radical, qui vient du latin radix, pour racine.

Parlons-en de la violence. Tous les groupes que j'ai étudiés se définissaient comme non-violents au sens où ils n'allaient pas blesser des personnes ou des animaux (je n'ai d'ailleurs jamais rencontré de cas où une action directe environnementale au Québec ait blessé qui que ce soit). Le fait d'occuper un espace illégalement, même saboter une machine n'était pas considéré comme quelque chose de violent, plutôt une stratégie parfois nécessaire pour contrer la destruction de l'environnement qui, elle, a de vraies conséquences sur des êtres vivants, c'est-à-dire les communautés et les écosystèmes.

On n'est pas obligé d'être d'accord, mais force est de reconnaître que l'histoire est pleine de cas où briser la loi fut nécessaire et légitime: de la lutte à l'esclavage, à la résistance sous occupation nazie, en passant par le suffrage universel. Tous nos droits ont fait l'objet de luttes sociales et politiques et les activistes d'aujourd'hui le savent très bien.

Célébrer le statu quo, mourir lentement

Lorsqu'interrogé à propos des gens qui vont combattre contre l'EI en Syrie, le CPRMN brille de toute sa splendeur analytique. «Vouloir quitter le Québec pour combattre en Syrie, pour n'importe quel groupe armé, est considéré comme de la radicalisation.»

Vraiment? Mais saviez-vous que George Orwell est allé se battre contre les fascistes de Franco durant la Guerre d'Espagne? Serait-il un méchant radical, alors? Et que faire d'Albert Camus et Jean-Paul Sartre qui participaient à la résistance sous occupation nazie? Et toutes ces femmes kurdes qui se battent contre l'EI, souvent elles-mêmes survivantes de viol et d'esclavage sexuel, devrait-on les dénoncer également?

C'est le problème quand on met tout le monde dans le même panier: un moment donné, on ne sait plus de quoi on parle. Ici, c'est plusieurs de nos mouvements sociaux (ex. étudiants, travailleurs, femmes, environnementaux) qui sont susceptibles d'entrer sous ce grand portemanteau. C'est la définition même du profilage politique, chose d'ailleurs proscrite dans la Charte des droits et libertés.

Bien sûr, aujourd'hui notre gouvernement peut investir quatre millions dans ce genre de moulin, mais c'est un cycle qui s'entretient. Prétendre lutter contre un radicalisme épouvantail démontre déjà une foule de préjugés. Référer à un éternel «centre» à partir duquel tout est toujours «trop» est non seulement une négation de la réalité socio-politique complexe du Québec, c'est aussi une excellente façon de cristalliser les rapports de force qui existent déjà dans notre société. En niant la légitimité des groupes progressistes et environnementaux, par exemple, on cherche à sacraliser une espèce de stabilité qui n'existe pas, un statu quo où, dans la réalité, les plus vulnérables souffrent déjà des inégalités sociales et de la destruction de l'environnement. C'est ajouter l'insulte à l'injure.

Parce qu'en bout de ligne, seule la justice, une justice sociale et environnementale, peut réellement nous donner la paix.

Roman cyberpunk de Bruno Massé, finaliste du prix Jacques-Brossard: M9A. Il ne reste plus que les monstres.

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