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Les chimpanzés ont-ils des droits?

Il se trouve que nous sommes des singes. Les primates humains ont découvert le langage parlé il y a seulement 3 ou 400 000 ans. Avant, nous communiquions par le langage du corps. Pour qu'un chimpanzé ait des droits, il faudrait que l'on puisse le considérer comme une personne, c'est-à-dire qu'il soit sujet de sa parole. Or, il ne parle pas! Mais comme nos enfants, nos vieillards aphasiques ou les petits autistes, ils répondent à un monde de représentations qui est leur monde mental.
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Il se trouve que nous sommes des singes.

Quand nous sommes arrivés sur Terre, il y a 3 millions d'années, nous communiquions par le moyen de nos mimiques, de nos cris et de nos postures, comme les singes. Il ne faut pas croire Lévi-Strauss quand il nous dit « qu'avant la parole le monde est un chaos ».

L'éthologie démontre sans peine qu'avant la parole le monde vivant est structuré par de rigoureuses forces biologiques et écologiques, elles composent le monde vivant auquel nous appartenons, nous les humains, comme tous les animaux. Puis, la parole ajoute l'ordre des représentations verbales à cet ordre naturel dont nous ne sommes pas coupés.

Les primates humains ont découvert le langage parlé il y a seulement 3 ou 400 000 ans. Avant, nous communiquions par le langage du corps. L'expression de nos émotions, les gestes de la main et les formes géométriques que nous donnions à notre corps quand nous nous recroquevillions dans une posture de soumission pour inhiber l'agression d'un congénère qui nous effrayait, quand nous adressions des gestes de tendresse aux petits dont nous nous occupions ou quand nous voulions séduire une femelle ou un mâle qui paraissait motivé pour la sexualité. Les singes non humains n'ont pas d'autre grammaire et nous, les singes humains, ne l'avons pas oublié puisque nous l'utilisons encore chaque jour.

C'est l'apparition de l'empreinte de l'artère sylvienne sur la face interne de l'écaille temporale gauche, qui nous fait penser que nous avons découvert le langage articulé. Nous avons vécu 2 millions et demi d'années sans savoir que nous étions capables de parler. Peut-être est-ce l'industrie du silex taillé, l'usage des lanceurs de projectiles et surtout la découverte du feu qui nous a forcés à inventer l'arbitraire du signe? Nous faisions déjà des gestes indicatifs avec la main, mais quand les outils se sont perfectionnés, il a fallu améliorer ce mode de communication, afin de transmettre le mode d'emploi de ces outils. Or, parler et fabriquer des outils entraînent le fonctionnement des mêmes zones cérébrales.

Les singes non humains n'ont pas cette empreinte de la sylvienne. Lorsqu'un abcès ou un accident stimule leur temporal gauche, ils ne parlent pas, ils lèvent le bras droit, tournent la tête et parfois vocalisent. C'est ce que nous faisons encore, nous les singes humains, lorsqu'une stimulation touche la partie supérieure de notre lobe temporal gauche que nous appelons lobule paracentral.

Les singes non humains ne parlent pas vraiment puisqu'ils n'ont pas de pharynx pour moduler les sons. Ils passent moins bien entre eux la convention des signes. C'est nous qui décidons que les sons « ba - be - bi - bo - bu » faits avec notre bouche désignent le projet d'aller boire ensemble un verre de vin rouge. Mais après tout, les singes non humains expriment eux aussi un code de cris dont la structure sonore n'est pas due au hasard. En modulant leurs sons avec leur syrinx (poche de cordes vocales), ils désignent à coup sûr d'où vient le prédateur. Une structure de cris désigne l'aigle qui vole en haut, une autre désigne le félin qui rampe sur la branche et une autre encore désigne le serpent dont nous avons tellement peur. Le singe alerté par ces cris répond au cri qui désigne le prédateur, sans regarder dans sa direction. C'est le cri qui vient à la place du danger, ce qui pourrait être une description du symbole.

Il y a 3000 ans, des singes sumériens, en Irak, ont inventé le langage écrit qui a modifié notre manière de vivre ensemble. Cette performance intellectuelle nous a fait croire que la nature humaine était surnaturelle puisqu'elle s'épanouissait dans la virtualité.

Il y a 50 ans nous avons inventé l'ordinateur qui a un effet de surlangue puisque, en un clic, il nous permet l'appropriation de l'espace et du temps. Ceci nous fait comprendre comment l'homme façonne le milieu qui façonne son cerveau.

Ceci renverse complètement la manière de poser le problème. Monsieur Neandertal qui n'avait pas de pharynx puisque son os hyoïde restait fixé sous la mâchoire à hauteur de la deuxième cervicale, parlait mal puisqu'il ne pouvait articuler que les labiales « b - p » et des dentales « d - t ». Il avait des difficultés avec les voyelles « a - e - i - o - u ». Monsieur Neandertal parlant mal, n'avait-il aucun droit ? N'avait-il pas le droit à l'affection: il l'avait dans son groupe familial; pas le droit à l'éducation: il fabriquait des outils; pas le droit à la spiritualité : il enterrait ses morts).

Quand nous avons découvert les Indiens d'Amérique du Sud qui ne parlaient pas notre langue, avions-nous le droit de les chasser, de les atteler, de les dépecer, comme nous l'avons fait? «S'ils parlent, il faut les baptiser. S'ils ne parlent pas, nous pouvons les cuisiner», pourrions-nous dire en paraphrasant « le Silence de la mer » de Vercors.

Nos enfants n'entrent dans le monde de la parole qu'au cours de la troisième année. N'ont-ils pas de droits avant ? Pas de droit à l'affection, pas de droit à la protection, pas de droit à l'éducation? Nos anciens quand ils deviennent aphasiques n'ont-ils plus de droits? Faut-il abandonner les comateux, ou les malades qui ne réclament pas leurs droits?

C'est nous qui avons le devoir de leur donner des droits.

La neurologie prouve que nous avons le même cerveau ancien que les chimpanzés. Nous éprouvons les mêmes émotions de peur, de joie, d'affection et de désirs. Nous avons le même cerveau limbique. Lorsqu'une encéphalite abime cette zone cérébrale, nous souffrons des mêmes troubles de la mémoire et des émotions. Lorsqu'un accident ou un hématome détruit leur lobe préfrontal ou lorsqu'un accident produit les mêmes dégâts, les chimpanzés ne savent plus fabriquer une «canne à pêche» pour aller chercher des termites et les déguster. Ils ne savent plus s'orienter dans le temps et faire un programme d'action, aller chercher la nourriture dans une cache, construire un nid de branches pour la nuit, prévoir un stock de fruits pour une faim tardive.

Puisque les singes non humains éprouvent des émotions et peuvent anticiper, nous tenons la preuve qu'ils sont neurologiquement capables de répondre à des informations qui ne sont pas dans le contexte. Ils peuvent se re-présenter, (présenter à nouveau à leur conscience) des faits, des événements tracés dans leur mémoire et réactivés pour prévoir, comme nous lors de nos apprentissages.

N'est-ce pas ainsi que nous, singes humains, donnons sens à ce qui nous arrive? Tout ce que nous percevons est connoté, imbibé du sens venu de notre histoire et de nos rêves d'avenir. En serait-il autrement pour eux? Par quelle locution pourrait-on désigner ce processus où une représentation provoque une émotion? Si nous pouvons appeler «monde mental» un tel processus, il nous faudra reconnaitre que les chimpanzés ont un monde mental.

Pour qu'un chimpanzé ait des droits, il faudrait que l'on puisse le considérer comme une personne, c'est-à-dire qu'il soit sujet de sa parole. Or, il ne parle pas! Mais comme nos enfants, nos vieillards aphasiques ou les petits autistes, ils répondent à un monde de représentations qui est leur monde mental. Les autistes démutisés, quand ils accèdent plus tard à la parole, nous expliquent qu'à l'époque où leur développement étrange ne leur donnait pas cet outil relationnel, ils pensaient tout de même. Ils pensaient même très bien puisqu'ils avaient accès à un monde d'images, de sons, et de langage mathématique où malgré l'absence de mots, ils comprenaient très bien et faisaient parfois des performances intellectuelles extraordinaires. Charlie Chaplin avec ses histoires sans paroles parvient à nous convaincre que dans un monde sans mots, on éprouve des émotions et on comprend beaucoup de choses.

Les chimpanzés ne sont pas sujets de leurs paroles, mais ils sont sujets de leurs actions, de leurs intentions et peut-être même sujets de leurs croyances. Ils nous observent afin d'anticiper notre agression, nos offrandes alimentaires ou notre mépris. Pourquoi les chimpanzés en cage font-ils des boulettes d'excréments afin de les jeter sur les visiteurs, alors qu'ils ne le font pas entre eux, dans un groupe familier? Veulent-ils se venger de leur privation de liberté? Est-ce une représaille comportementale à notre mépris? Ils témoignent ainsi qu'ils sont capables de se représenter nos représentations ce qui pourrait être une définition de l'empathie, fondement de la morale. Si un être vivant se représente les représentations d'un autre être vivant, il ne peut plus tout se permettre. Même s'il n'y a pas de lois chez les chimpanzés, quelque chose se freine en eux, s'interdit.

Les singes non humains ne revendiquent pas de droits, ils n'ont pas de syndicats pour se défendre. Mais nous découvrons qu'ils sont sujets de leur monde mental (différent d'un monde mental humain), nous comprenons qu'ils comprennent, décident, s'associent, et s'entraident. C'est nous qui serions immoraux de ne pas leur donner le droit de vivre dans la dignité.

Pour un pervers, il n'y a pas d'altérité. Pour lui, un autre est une chose, qu'il s'agisse d'un être humain ou d'un être non humain. Une femme est un objet qui provoque sa jouissance, un animal est un meuble qu'il contemple avec plaisir. Dans ces deux cas, l'autre n'est pas une personne. On peut donc le casser, le jeter, le vendre ou s'en servir sans lui reconnaître de droit. On peut tout se permettre.

Je suis émerveillé par tout ce qui est vivant. J'aime en explorer les formes infinies ce qui me permet de mieux me comprendre. Plus j'étudie les animaux, plus je comprends la condition humaine.

Le monde de l'artifice de l'outil et du verbe a fait des êtres humains les seuls animaux capables d'échapper à la condition animale (en partie seulement).

Chaque fois que nous détruisons une part du vivant, nous détruisons une part de nous même en déséquilibrant le système dans lequel nous vivons. Chaque fois que nous découvrons une autre condition du vivant, nous nous enrichissons.

Nous venons de découvrir grâce à l'éthologie, grâce aux neurosciences que notre monde mental est à la fois proche et différent de celui des chimpanzés. Chaque fois nous avons accordé des droits aux pauvres, aux étrangers, aux malades et aux enfants, nous avons gagné en humanité.

Alors un pas de plus en accordant des droits à nos frères non humains?

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