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En salle d'attente pour le Québec

Au fond, j'aurais surtout souhaité que les millions de Québécois réalisent qui sont ces gens qui souhaitent venir s'établir « chez eux ». J'aurais voulu qu'ils voient la volonté que ces deux-là mettent au quotidien à préparer leur arrivée au Québec.
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À 19h49, Claudia, attablée avec ses deux parents et son mari, se hâte de finir son souper. Elle doit filer pour son cours de français qui commence à 20h. Jean-Pierre, le professeur québécois, l'y attend chaque mardi et jeudi pour une leçon de 2h. Cela fait 3 ans qu'elle s'active à apprendre le français. Elle a essayé l'Alliance française, mais a fini par opter pour cette institution appelée « l'Alliance québécoise ».

En Colombie, comme dans d'autres pays, les immigrants qui souhaitent s'établir au Québec doivent se montrer aptes à la langue de Molière, quand ils ne sont pas choisis dans des pays où cette langue est la principale ou la secondaire. Claudia n'est donc pas unique. Elle n'est pas la seule. Elle fait partie de ces gens qui attendent leur résidence permanente et qui se préparent chaque jour. Claudia est même un peu déjà au Québec. Elle a déjà acheté des bottes Merrel pour les hivers qu'elle imagine rudes et froids. Elle parle autant que possible le français. Son frère qui a déjà posé ses valises en région lui en donne de bons échos. Il y a de quoi, il y est devenu médecin. Elle et son mari attendent avec impatience cette confirmation de leur départ.

La vie doit pourtant continuer à Medellín, la ville qu'elle habite et dans laquelle elle est née. Elle y occupe même un emploi plutôt bien payé. Elle conduit un VUS, dans une ville où le sentiment d'insécurité semble être aujourd'hui plus grand que l'insécurité elle-même. Elle y a ses amis et presque toute sa famille. Pourtant, sa tête et son esprit, ses rêves et ses ambitions sont déjà au Québec. Elle s'imagine au Québec, veut s'y intégrer, s'installer et vivre tranquillement avec son époux ingénieur. Sa vie ici est donc entre parenthèses. Et cette attente ne fait que les propulser vers un départ, qui signifie aussi pour tout immigrant(e) d'accepter d'être absent d'ici.

Aucun doute, Claudia est issue d'une classe sociale plutôt aisée. Sa famille l'a envoyée à l'université ainsi que ses frères et soeurs. Ils habitent les quartiers protégés de toute suspicion, de toute pauvreté et de toute insécurité. Elle a un avenir privilégié, du moins elle vit l'avenir des privilégiés.

Ce soir-là, autour d'un repas colombien, Claudia et son époux m'ont posé des questions sur les réactions des Québécois vis-à-vis des immigrants et sur l'intégration des nouveaux arrivants. Je n'ai pu m'empêcher de leur dire que l'immigration est un processus difficile et qu'il n'est pas toujours fait d'exclusion, que la plupart du temps il est fait de déclassement et que parfois la volonté sincère de cohabiter existe.

Je n'ai pas pu mentir, j'ai voulu leur éviter l'enchantement qui fait perdre du temps, car il invite à une naïveté : celle que l'accueil des immigrants sera nécessairement bon. J'ai voulu leur dire combien la rigueur, non pas de l'hiver, mais celle de toujours devoir se justifier, pouvait les éloigner soit de leur culture, soit de leur dignité. J'ai voulu leur dire combien ils entraient dans un combat, duquel ils peuvent aussi sortir plus forts. Je leur ai dit un peu de tout cela, dans le Français qu'ils aimaient écouter.

Au fond, j'aurais surtout souhaité que les millions de Québécois réalisent qui sont ces gens qui souhaitent venir s'établir « chez eux ». J'aurais voulu qu'ils viennent voir ces deux tourtereaux parler un français parfait et écouter Catherine Perrin le matin pour s'acclimater à la société. J'aurais voulu qu'ils voient la volonté que ces deux-là mettent au quotidien à préparer leur arrivée au Québec. J'aurais aimé que quelqu'un, un jour, reconnaisse cette volonté chez chaque immigrant de vouloir développer une vie avec les concitoyens d'une société, qui l'a invitée à venir. J'aurais voulu que ces instants puissent être montrés à tous pour réaliser à quel point traiter les immigrants avec un mépris, un paternalisme et une indignité n'est pas un signe de progrès.

Il n'y avait pas d'autres Québécois, j'étais seule, c'est pourquoi j'ai tenu à raconter Claudia et son amoureux, dans leur salle d'attente quotidienne en route vers le Québec.

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