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Une occasion de parler des vraies affaires?

Une commission sur le racisme systémique prendrait le risque de remuer, autrement que dans des moments de campagne électorale, les enjeux qui font de nos sociétés des sociétés injustes.
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Le 19 août 2016 est le dernier jour pour appuyer une pétition demandant une commission sur le racisme systémique au Québec. C'est un groupe de citoyens actifs, aux horizons politiques et militants diversifiés qui s'est rassemblé pour demander un temps de consultation démocratique sur les enjeux de racisme au Québec.

Il est vrai que pour beaucoup de Québécois le fait de s'employer à «illustrer», «discuter», «palabrer» et « mesurer » le racisme est une chose vaine, parce que de toutes façons le racisme, ça n'existe pas, tant notre société est inclusive et historiquement minorisée.

Il est vrai aussi que pour de nombreux citoyens, Autochtones ou dits racisés, «devoir justifier», «devoir décrire» des réalités humiliantes et dévalorisantes, «devoir désigner le problème systémique derrière les personnes» est une chose épuisante.

Pourtant, ce sont bien ces deux positions qui vont devoir s'entrechoquer dans une commission, qui devra faire un état des lieux et, espérons-le, ne pas faire que cela.

Les débats sur les enjeux identitaires prenant pour cibles les minorités ethniques sont souvent très lourds. La Charte des valeurs aura tout saccagé sur son passage, jusqu'à la capacité de discuter entre des personnes aux avis contraires. Ces débats, si éprouvants, nous somment de choisir des camps, des points de ralliements militants et intellectuels pour respirer et éviter les insultes émanant de toutes parts. On comprend donc la réticence à devoir encore parler de soi, des autres, de ce «qu'on ne fait pas bien» ou mal, de comment on peut améliorer cette société pour que le plus récent des arrivants se sente bien et que le plus ancien des colonisés se sente en possession de sa vie et des institutions qui le régissent. On est réticents, parce que c'est tellement gros, c'est le tout qu'il faut envisager autrement, dans des sociétés plurielles, démocratiques et ayant annoncé la fin de la «race» et l'avènement des citoyens égaux.

Effectivement la tâche est lourde et la solution n'est pas simple - ou prêt-à-porter. Le «vivre-ensemble» sur mesure, ça coûte cher de réellement le transformer. C'est pour cela qu'on utilise encore du vernis : le vernis de l'interculturel pour éviter les chicanes, le vernis des institutions consultatives, le vernis de l'empowerment entrepreneurial, le vernis de l'inclusion pour éluder des réalités socioéconomiques et ethnico-raciales, duo inséparable que les tenants de la classe d'une part et ceux de la race d'autre part regarderont toujours séparément.

Une commission n'arrêterait pas les discours haineux. Non, elle prendrait le risque de remuer, autrement que dans des moments de campagne électorale, les enjeux qui font de nos sociétés des sociétés injustes.

Alors pourquoi une consultation devrait changer les choses? Soyons honnêtes, le racisme ne s'arrêtera pas au lendemain de la commission, tout comme le patriarcat ne s'arrête pas avec l'institutionnalisation des luttes féministes. Par contre, une commission, bien conçue, peut avoir des vertus que l'on ne peut évacuer.

Premièrement, une consultation aura le mérite de «réconcilier» ceux qui croient que le racisme est un mythe et ceux qui vivent des réalités racistes. L'Histoire ne gardant que les gros titres, une commission sur le racisme fera partie de l'histoire du Québec, quelles que soient les conditions dans lesquelles elle se déroule.

Deuxièmement, l'exercice démocratique d'une commission permettra à des organisations communautaires sur le terrain depuis des décennies de parler des «vraies affaires», notamment des freins qui s'amoncellent pour certaines catégories de notre société.

Troisièmement, le choix hautement stratégique d'un ou de plusieurs commissaires devra être soigneusement discuté par l'ensemble, sans quoi il est possible de passer à côté du sérieux et de la légitimation citoyenne, nécessaire si l'on veut que les communautés qui ont le moins confiance en nos institutions participent.

Quatrièmement, la commission pourrait révéler les défaillances institutionnelles de la police, de l'école, des prisons, des syndicats, de la fonction publique municipale ou provinciale (oui c'est tout cela qui est systématiquement raciste) et donner des pistes pour une transformation radicale du recrutement, des barrières d'accès et des différences salariales, par exemple. Elle pourrait inviter ceux qui, tous les jours sans en avoir conscience, reproduisent des inégalités qu'ils n'accepteraient pas pour leurs enfants. Elle créerait un momentum pour reconnaître les inégalités vécues dans la société et penser les solutions dans les institutions.

Cinquièmement, la commission révélerait ou confirmerait à toutes ces individualités qui vivent des discriminations que le phénomène est vécu collectivement. Elle leur permettrait de comprendre que leur participation économique (à des emploi précaires, parfois dans des niches ethniques ou soumis à une insécurité durable), politique (restreints à des rôles de représentation symbolique) et sociale ne peut changer que si elle est inscrite dans une intersection des enjeux de classe et de race.

Une commission n'arrêterait pas les discours haineux des torchons quotidiens ou les cyniques sévissant sur les réseaux sociaux. Non, elle prendrait le risque de remuer, autrement que dans des moments de campagne électorale, les enjeux qui font de nos sociétés des sociétés injustes. Et ce malgré notre déni et notre bonne volonté.

J'imagine déjà ceux qui diront qu'une commission ça ne sert à rien, parce que «le Québec, ce n'est pas les États-Unis ou la France».

Il est vrai que chaque contexte est spécifique et a sa propre trajectoire historique et sociale. Chaque contexte présente un relief de domination différent. Le Québec est d'autant plus unique que la fracture linguistique est toujours en filigrane, qu'elle dichotomise sur les enjeux de racisme et qu'elle transforme les plateformes pour parler de ces questions en «pour ou contre le Quebec bashing».

J'imagine aussi ceux qui diront qu'une commission, ça ne sert à rien parce que «le système raciste privilégiera toujours les Blancs», qu'il est impossible à transformer et qu'il vaut mieux se retrancher dans le «confort» et la valorisation que l'entre-soi permet. Il est vrai que le racisme est indéniable, que les safe spaces sont très souvent niés et méprisés, alors qu'ils peuvent être une réelle bouffée d'air.

Ces deux postures nient d'abord les interactions nécessaires, mais surtout la possibilité d'agir et de converser dans la société. Les premiers ont grandement besoin d'entendre le vécu sans le traiter de victimaire et les deuxièmes ont plus que besoin de penser les actions citoyennes pour changer cette société plurielle inégale.

Enfin, quant à ceux qui croient que parler de racisme va «braquer», choquer et radicaliser les positions et qu'il vaudrait mieux attendre un «meilleur moment», ils vivent sur une autre planète où l'attentisme pourrait être une voie. Il ne peut l'être ici et maintenant.

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