Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

De la rue à Hollywood Boulevard

Par-delà le sort des enfants des rues, véritable plaie pour une capitale congolaise peuplée de dix millions d'âmes, l'histoire du film Rebelle convoque celle, brûlante et actuelle, d'un Congo en proie aux conflits armés à répétition.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
Congolese actress Rachel Mwanza reacts after she has been awarded with the Silver Bear as best actress in the movie War Witch (Rebelle) during the awarding ceremony at the 62 edition of the Berlinale, International Film Festival in Berlin Saturday, Feb. 18, 2012. (AP Photo/Markus Schreiber/Pool)
AP
Congolese actress Rachel Mwanza reacts after she has been awarded with the Silver Bear as best actress in the movie War Witch (Rebelle) during the awarding ceremony at the 62 edition of the Berlinale, International Film Festival in Berlin Saturday, Feb. 18, 2012. (AP Photo/Markus Schreiber/Pool)

Si la réalité ne dépassait pas souvent la fiction, on serait tenté de dire que c'est le propre du septième art que de nous égrener, bon an mal an, ces destins si particuliers qu'ils nous font croire que le bonheur, foi de terrien, est à la portée du premier téméraire qui croit en sa propre étoile.

Les étoiles, Rachel Mwanza a appris très tôt à les dénombrer au-dessus de sa tête. Lorsque Kinshasa, ville impitoyable où la débrouille tous azimuts tient lieu de code de survie, lui tournait le dos pour s'assoupir du sommeil de l'indifférence. Abandonnée par sa famille qui peine à joindre les deux bouts, la petite Rachel n'a pas dix ans lorsqu'elle se retrouve à dormir à la belle étoile comme des milliers de sans-abri de Kin-la-belle, ces enfants de rue que les kinois ont surnommé les "chégué".

Je vous fais volontiers grâce des joies et misères de ces être fragiles qui doivent leur condition tant aux politiques publiques déficientes, à la démission des parents appauvris par des décennies de mal gouvernance, qu'aux mœurs pour le moins criminelles de certains pasteurs des églises pentecôtistes dites du Réveil qui ont beau jeu de les désigner comme "enfants sorciers" avant de les livrer à la vindicte populaire. Jadis bénévole dans une ONG locale créée là-bas par la famille, des comme Rachel Mwanza, j'en ai côtoyé presque quotidiennement. Après, impossible d'oublier. La moindre nouvelle qui parle d'eux vous oblige à tendre l'oreille, où que vous vous trouviez. L'occasion de découvrir leur univers vous est donnée avec Kinshasa Kids, film leur consacré par le réalisateur belge Marc-Henri Wanjberg, dont la sortie en Belgique remonte à seulement quelques jours (bientôt dans les salles en France métropolitaine). Vous aurez ainsi la possibilité, le temps d'une évasion cinématographique, de plonger dans leur quotidien. Et peut-être d'en ressortir. Indemne ? Pas si sûr.

De la rue aux étoiles

Rachel Mwanza, elle, est sortie de ce vrai-faux simulacre de vie de paria. Si elle a joué son propre rôle dans Kinshasa Kids - sorte d'écho à l'incroyable épopée du groupe congolais Staff Benda Bilili constitué essentiellement des personnes avec handicaps -, ce n'est pas ce film qui a propulsé son nom hors des frontières du Congo. Et si d'aventure vous l'aviez déjà croisée à Kin il y a trois ans, sachez que vous ne reverrez plus la petite Rachel courir le long du Boulevard du 30-Juin derrière les cylindrés des vedettes congolaises de la chanson, quémandant "quelques sous pour s'acheter de la bouffe et avoir le droit de déféquer comme le fait tout le monde dans cette ville" (sic). D'ailleurs, sans rien renier de son passé, elle ne s'exprime plus vraiment comme une "chégué", Rachel.

Par contre, si vous allez à Los Angeles pour la prochaine cérémonie des Oscars, vous avez la chance de l'apercevoir dans la salle, quelque part entre euh... Angelina Jolie et Samuel Jackson, pourquoi pas ? À moins que n'ayant pas eu le bonheur de vivre la cérémonie au cœur de ce qui sera un concentré des célébrités allant des plus adulés aux "has been" comme on dit là-bas, vous ayez attendu que les rideaux soient tirés sur la grand-messe avant de vous aventurer dans la ville. Vous pourrez alors apercevoir la timide adolescente sur Hollywood Boulevard, accrochée au bras de la chanteuse Beyoncé Knowles, son idole, qu'elle s'est fait un point d'honneur de rencontrer avant le retour à Kinshasa (approchée, l'épouse de Jay-Z aurait déjà fait savoir que cela lui ferait plaisir).

C'est que Rachel Mwanza a obtenu in extremis son visa pour les Etats-Unis d'Amérique et se trouve à Hollywood pour la cérémonie des Oscars de ce dimanche. Rebelle, le film du réalisateur québécois Kim Nguyen dans lequel elle tient le rôle d'une enfant-soldat, est en nomination pour le prix du meilleur film étranger. À ce titre, la jeune comédienne qui ne parle pas un traitre mot d'anglais - mais fredonne du Beyoncé - et à qui la production du film aurait trouvé une préceptrice pour lui apprendre le français, foulera bientôt le tapis rouge dans la ville aux mille légendes. Il ne s'agit d'ailleurs pas là de sa première "intrusion" dans l'univers tout en paillettes des stars du show-bizz, puisque la jeune congolaise a déjà vu sa toute jeune carrière - Rebelle étant son premier film - couronnée par des prestigieuses distinctions qui feraient de jaloux : Ours d'argent de la meilleure actrice au festival de Berlin (2012), Prix d'interprétation féminine au Festival du film de TriBeca (New York, 2012), Prix d'interprétation féminine au Vancouver Film Critics Circle (Vancouver, 2013).

Pour l'obtention de l'Oscar du meilleur film étranger, Rebelle qui a été entièrement tourné au Congo entre juillet et août 2011, sera en compétition contre Amour (Autriche), Kon-Tiki (Norvège), No (Chili) et A Royal Affair (Danemark). Je signale qu'Intouchable (France) de Éric Toledano et Olivier Nakache, malgré son succès fulgurant, n'a pas été retenu.

L'Espoir, un luxe que seules les "âmes mal nées" s'offrent sans compter

L'on pourrait toujours dire que l'adolescente kinoise n'est pas la première dans la lignée de ces "enfants prodiges" qui, s'imposant à des réalisateurs qui n'ont pas peur de prendre des risques, réussissent à faire sauter les verrous du système pour imposer leurs tronches à la table des grands où personne ne les attendait. Ce serait on ne peut plus vrai. L'on pourrait aussi arguer qu'un Azharuddin Mohammed Ismail (le gamin qui incarne Salim enfant dans Slumdog Milionaire, le film de Dany Boyle) ou une Rachel Mwanza ne sont que de pâles exceptions qui cachent mal l'effroyable condition des enfants pauvres de Bombay et de Kinshasa. Dans ces pays où jeunesse rime souvent avec détresse, leur gloire aussi atypique que retentissante ne révèle-t-elle pas, à contre-jour, les échecs des gouvernements qui semblent avoir abdiqué devant l'ampleur de la tâche ? Poser la question, serait déjà y répondre.

Toutes choses étant égales par ailleurs, si l'élection du "premier président noir" de l'Amérique ne risque pas de changer le sort des millions d'Afro-américains, convenons toute suite que ce n'est pas une collection de distinctions glanées par Rachel Mwanza qui changera la vie des "chégués" de Kinshasa. Mais de temps en temps, l'esprit a besoin de s'éloigner du cadre macro avec ses promesses non tenues pour s'émouvoir des succès à la taille plus modeste du commun des mortels. C'est bon pour le moral, il n'y a pas de honte à le confesser. Et de me rappeler un slogan que les enfants de rue de Kinshasa aiment à répéter à l'envi comme un mantra et que tous les congolais qui parlent lingala connaissent : "Chance eloko pamba !" (La chance n'est qu'un jeu d'enfant). Pour qui en douterait, l'incroyable destin de Rachel Mwanza est là, véritable pied de nez au fatalisme. Vous avez dit "conte de fées"?

Rebelle, une fiction qui épouse des réalités congolaises

Par-delà le sort des enfants des rues, véritable plaie pour une capitale congolaise peuplée de dix millions d'âmes, l'histoire du film convoque celle, brûlante et actuelle, d'un Congo en proie aux conflits armés à répétition.

En pleine guerre civile dans un pays d'Afrique sub-saharienne, Komona, une jeune fille de 14 ans, raconte au bébé qui grandit dans son ventre les événements qui ont mené à son implication comme enfant-soldat dans une lutte sanglante pour le pouvoir politique. Enlevée à 12 ans, forcée d'abattre ses parents à bout portant et considérée comme une sorcière par les gradés de son mouvement, Komona se bat contre les troupes gouvernementales. Elle fait la rencontre de Magicien, un jeune soldat de son âge qui a la ferme intention de l'épouser. Ensemble, ils désertent afin de vivre paisiblement, tant qu'ils le pourront, leur bonheur.

Rachel Mwanza, désormais loin des démons qui ont hanté la vie de son personnage et sa propre jeunesse dans les rues de Kinshasa, vit le bonheur peu banal d'être enfin traitée comme un être humain. Sans compter celui, beaucoup plus gisant, d'être reconnue comme une artiste talentueuse et pleine de promesses. À seulement seize balais. Demain une étoile sur Hollywood Boulevard ? "Chance eloko pamba", qu'on vous dit !

<i>Rebelle</i>, de Kim Nguyen

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.