Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Je ne serai plus infirmière

e m'étais bien préparée, j'avais révisé toutes mes notions et je m'étais habillée spécialement pour ce moment important dans ma vie. Finalement, l'entrevue pour ma carrière d'infirmière s'est déroulée dans un mini garde-robe rempli de dossiers, car aucun bureau n'était disponible. En quatre minutes, on m'a dit qu'on m'embauchait. Légère déception.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Il y a 14 ans je suis devenue préposée aux bénéficiaires, puis infirmière. Mon rêve : travailler à l'urgence. Je suis ce genre de personne qui possède de l'énergie en quantité industrielle. Je gère bien mon stress, mes émotions et j'aime me sentir utile. Devenir nurse était l'emploi idéal pour moi. Je rêvais de sauver des vies en carburant à l'adrénaline. Je suis devenue externe puis candidate à la profession infirmière. Pour réaliser mon rêve, je devais passer une entrevue pour le plus gros hôpital de Montréal.

Je m'étais bien préparée, j'avais révisé toutes mes notions et je m'étais habillée spécialement pour ce moment important dans ma vie. Finalement, l'entrevue pour ma carrière d'infirmière s'est déroulée dans un mini garde-robe rempli de dossiers, car aucun bureau n'était disponible. En quatre minutes, on m'a dit qu'on m'embauchait. Légère déception. Être infirmière, pour moi, c'était quelque chose d'important. Ce n'était clairement pas le cas de l'hôpital en question.

Le premier jour de travail, mon rêve s'est effondré en une heure. Peut-être même en 30 minutes. Déjà, en commençant, la personne qui devait m'aider pour les premiers jours avait trop de travail pour me superviser et me guider. J'ai dû m'organiser seule. Je vais me souvenir toute ma vie de la phrase d'une infirmière plus expérimentée qui m'a dit, voyant que j'étais dépassée par la tâche: « Tant que les patients crient, ils sont en vie. Slack, tu ne peux pas aider tout le monde ». Presque 15 ans plus tard, je me souviens de ce moment. J'ai failli pleurer. Je n'avais pas fait ces études pour finalement donner des soins si peu éthiques. On m'avait appris à soigner comme on voudrait être soigné. Pas à tenir du monde en vie.

En plus de m'obliger à rester tous les soirs plus longtemps, en coupant mon heure de lunch, je devais soigner d'une manière qui contrevenait à mon éthique.

J'ai démissionné.

Je suis allée travailler en CHSLD, puis comme coordonnatrice-cadre à temps partiel pensant pouvoir changer les choses. Puis de moins en moins, parce que j'ai réalisé que c'était impossible de changer quoi que ce soit. On doit toujours se dépêcher, oublier l'humain qu'on soigne, respecter à la lettre la bureaucratie interminable, faire plus avec moins, pousser le personnel déjà à bout, travailler quasiment à la chaine. Drôlement, le personnel finit par s'y habituer. Ceux qui n'y arrivent pas partent. D'autres restent et tentent à bout de bras de faire leur travail.

Je ne soigne pas comme on me l'a enseigné à l'école, je ne peux pas offrir des soins comme je voudrais en recevoir, je dois soigner comme le système débordé le souhaite. Je dois soigner dans un système clairement malade. Je dois offrir des soins qui, selon moi, ne sont pas toujours éthiques. Pire, en tant que cadre, je dois pousser les professionnels à travailler dans ces conditions, en oubliant leurs obligations familiales ou leur propre santé. Je dois les « pointer » (les obliger à faire du travail supplémentaire) alors que certains me disent les yeux pleins d'eau qu'ils sont à bout.

Bien entendu, à certains endroits, ça va bien. Mais dans la majorité des endroits, ça ne va pas. La pénurie de personnel, le manque de moyens, la clientèle qui s'alourdit font que le travail est très difficile. Trop difficile pour moi.

Ce qui fait que cette année, je ne travaillerai pas comme infirmière.

Découvrez d'autres billets de de Bianca Longpré sur son blogue personnel Moi Celestia

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Arthrite

Quelques statistiques sur la santé des Canadiens

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.