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T'es pas à l'abri

Belle maison, beau char, grosse job, beau linge et diplôme universitaire. Les enfants habillés en Gap et chez Clément, bien peignés. Un chum beau et attentionné, qui travaille tout le temps. Exactement comment tu avais imaginé ta vie dans la trentaine. Pas comme ton amie Karine, monoparentale avec trois enfants, à essayer de joindre les deux bouts.
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Belle maison, beau char, grosse job, beau linge et diplôme universitaire. Les enfants habillés en Gap et chez Clément, bien peignés, qui font des cours de danse et du hockey la fin de semaine. Un chum beau et attentionné, qui travaille tout le temps, mais faut bien payer la grosse maison. Exactement comment tu avais imaginé ta vie dans la trentaine. Pas comme ton amie Karine, monoparentale avec trois enfants, à essayer de joindre les deux bouts.

T'sais, la vie parfaite.

Puis ton chum, un dimanche matin, après le cours de danse de la plus vieille, t'a dit que le problème ce n'était pas toi, que c'était lui, que la routine, les enfants, le ménage, ben il était plus capable. Ce n'était pas de ta faute, mais il est parti pareil. Le début de la fin de la perfection.

Ce que tu n'avais pas prévu, c'est que toute seule, deux enfants, avec une grosse job, c'est de l'ouvrage en maudit. Ta famille qui habite loin ne peut pas t'aider. Sans oublier ta mère qui est malade. Rajoute à ça ton ex qui te brise le cœur et ton boss qui devient de plus en plus exigeant puis c'est la recette pour craquer.

Mais toi, tu ne craques pas. T'essaies de t'organiser. Tu cries de plus en plus après les enfants. Hier, t'as même lâché un «Vos yeules, crisse». Du temps, t'en as plus. De l'énergie, non plus. Tu pleures de plus en plus. Tu ne manges plus et tu ne dors plus.

Ton ex ne s'occupe plus des enfants la fin de semaine. Il n'a pas encore payé de pension. L'hypothèque est en retard. Aujourd'hui, ton boss t'a dit que ça ne marche plus, tu dois voir le médecin. Le médecin te met en arrêt de travail. Les pilules.

Les sacres ont été remplacés par des claques. T'en peux plus. Les enfants se battent tout le temps. Même la télé n'arrive plus à les calmer. Tu sais plus quoi faire. Tu brailles tout le temps.

L'école a appelé parce que ton gars a envoyé chier le prof. T'as pas la force de rencontrer la direction. Tu annules la rencontre. L'école rappelle, mais tu ne réponds pas.

Ta fille pleure souvent. Elle dit qu'elle veut mourir.

Tu as de la misère à t'occuper de toi. Imagine, t'occuper d'eux autres. Mais à qui demander de l'aide? Il n'y a pas grand monde autour de toi. Et dire que tu n'es plus capable de t'occuper de tes enfants, c'est la honte. Ça ne peut pas t'arriver à toi. Toi, t'es pas de même.

T'as toujours été une bonne mère. La DPJ, c'est pour les tout croches. Tes enfants ne peuvent pas être des kids de la DPJ, voyons!

C'était trop, il t'a envoyé chier toi. Tu l'as poussé. Il est tombé sur le coin de la table. La tête fendue. L'urgence. Les questions. Ton gars qui a dit que tu l'as poussé, les claques, les « Vos yeules » les journées devant la télé, il a tout dit à l'infirmière.

Le Centre jeunesse, puis les questions. Le Centre jeunesse c'est un beau mot pour dire DPJ. Tu pleures. T'as besoin d'aide. Pleure, pleure, ils vont t'aider. T'es plus toute seule.

Mais tu as honte. T'as toujours été une bonne mère. La DPJ, c'est pour les tout croches. Tes enfants ne peuvent pas être des kids de la DPJ, voyons!

Tes enfants vont aller dans un centre, le temps que tu penses à toi. Ils comprennent que c'est pour que tu t'occupes mieux d'eux autres ensuite. C'est pas pour longtemps. Mais faut le faire.

Tu es une bonne mère. Il ne faut pas que tu aies honte. Avoir besoin d'aide, c'est normal, c'est humain.

Puis le temps a passé. Tu es redevenue, en moins de six mois, celle que t'étais. Tes enfants sont revenus. La vie suit son cours.

T'as de l'aide. Une travailleuse sociale de la DPJ, des ressources, un psy; là, tu es épaulée pour continuer ta job de mère. Quand tu y penses, t'avais juste besoin d'aide.

Des « Vos yeules », des sacres, des claques, la violence, c'est pas toi. C'était une mauvaise passe. Même avec du cash, un diplôme et ta vie parfaite, tu n'étais pas à l'abri. Et là, tu le sais. Et c'est correct.

Avoir besoin des services de la DPJ, des Centres jeunesse, c'est pour tout le monde. Personne n'est à l'abri.

Bianca Longpré est mère de trois enfants du Centre Jeunesse de Montréal et impliquée auprès de la Fondation du CJM. Écoutez son entrevue avec Benoît Dutrizac au 98.5 FM.

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Mai 2017

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