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Les selfies nous viennent de l'espace

Du cosmonaute Youri Gagarine, premier homme dans l'espace à bord de la capsule Vostok 1 jusqu'à la sonde New Horizons autour de la planète Pluton, la conquête spatiale se construit par l'image.
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Conquête spatiale et conquête de soi passent par l'image. Depuis l'après-guerre, l'espace devient « imageable » grâce à la technologie. De la même façon, le phénomène du « selfie » offre à l'individu hypermoderne la possibilité de cartographier son quotidien à travers un « self » (soi). C'est alors tout l'art de multiplier les poses dans l'espace et le temps.

Sur Terre, le « selfie »: une nouvelle image de soi...

D'un point de vue esthétique, le « selfie » semble se placer dans la tradition de « l'autoportrait », et naturellement du « portrait de l'artiste par lui-même », qui se pratique depuis l'Antiquité, avant son réel déploiement à la Renaissance. Créé en pleine révolution numérique, le terme « selfie » figure aujourd'hui dans le dictionnaire d'Oxford. Dans la société anomique, il se fait le parangon d'une mythologie contemporaine, là où chaque homme est un artiste (Joseph Beuys) et peut connaître un quart d'heure de célébrité (Andy Warhol).

Ainsi, tout comme la Renaissance réalise l'émergence d'une Humanité autonome et désormais centrée sur elle-même, la société du loisir de masse produit, quant à elle, l'individu post-moderne. Cet Homo numericus se libère alors de ses « chaînes » et de tout esprit de gravité. Pour lui, rien n'est désormais plus essentiel que son « bien-être-là ».

... Et dans l'espace, un symbole prométhéen

Du cosmonaute Youri Gagarine, premier homme dans l'espace à bord de la capsule Vostok 1 jusqu'à la sonde New Horizons autour de la planète Pluton, la conquête spatiale se construit par l'image. Fidèle à l'incrédulité de Saint-Thomas, l'image produit un « vu » qui valide un « su », tout comme le « su » donne alors toute son ampleur au « vu ».

Au-delà des enjeux scientifiques, les missions spatiales sont également l'occasion pour les astronautes de prendre la pose. Les portraits dans l'espace donnent alors à voir un « j'y suis », à l'instar des innombrables « selfies » pris à chaque instant sur Terre. La dimension cosmique de ces représentations de soi exprime un même désir de garder un souvenir ou de partager son expérience. Mais elle se révèle également l'expression hypermoderne du mythe de Prométhée, la tentation de tenir la Terre dans le creux de la main et d'être immortel!

Dès lors, Buzz Aldrin, astronaute de la N.A.S.A., peut poser avec la planète bleue lors de la mission Gemini XII. Plus en aval, Karen L. Nyberg, véritable icône du « selfie » spatial, regarde son reflet avec amusement dans une bulle d'eau qui devient un miroir dans l'apesanteur. Au fond, ce que révèlent ces clichés, c'est le désir de conjurer le vertige de l'espace avec son empreinte humaine. Au cours de sa sortie extravéhiculaire, Akihiko Hoshide, astronaute de la J.A.X.A., fait du « selfie » une étonnante illustration de l'autoreprésentation contemporaine grâce à son casque réfléchissant. Un « selfie » projeté dans l'infini de l'univers.

De même, l'engin spatial peut à son tour se livrer au jeu du « selfie » au cours de la mission Viking 2. La tradition se perpétue jusque sur la planète Mars avec le rover Curiosity dans le cratère Gale, comme avec la sonde Rosetta de l'Agence spatiale européenne. Là où l'Humanité ne peut encore prendre place, seule la « machine » fait un signe depuis l'univers à travers un « selfie » incorporel.

Si l'appareil photographique est un moyen de penser le monde, le « selfie » résulte d'un « egoregard » qui proclame un « je suis là » que le « selfiste » communique immédiatement. Mais ce « je suis là » s'avère vite être un « je suis là devant », comme une maîtrise par l'image d'un univers vertigineux... et parfois dangereux.

En collaboration avec Nicolas Grenier, poète français.

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