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La bataille contre Uber est ahurissante. Elle témoigne d'une immense incompréhension des différents paliers gouvernementaux face à la rupture profonde entre l'économie d'aujourd'hui et de demain.
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Il y avait le ministre des Transports, le maire de Montréal, et le Bureau des taxis. Voilà que pour compléter le magnifique tableau de la coalition des conservatismes, Revenu Québec est entré à son tour dans la danse des obsédés d'Uber. Quoi de mieux en effet qu'une bonne vieille perquisition médiatisée en début de matinée pour intimider une entreprise et ses employés.

On l'a déjà écrit (et réécrit) sur à peu près toutes les tribunes. Uber est moins cher, plus rapide, plus propre, plus moderne, plus serviable, plus efficace. L'affaire est pliée. Il faut soit n'avoir jamais pris un taxi à Montréal, soit n'avoir jamais commandé un Uber de sa vie, ou soit faire preuve d'un aveuglement volontaire désolant pour ne pas admettre que l'offre de service proposée par Uber fait passer l'industrie du taxi pour un artéfact archéologique.

Mais voilà bien le cœur du problème, le nœud neuronal qui semble paralyser la matière grise des intelligences qui nous gouvernent. Au lieu de raisonner en fonction de la satisfaction et de l'intérêt des citoyens, les différentes administrations impliquées dans cette vendetta ont pour point de départ et pour point d'arrivée la satisfaction de la règlementation en vigueur. Ce mode de fonctionnement tautologique n'a rien d'inhabituel. Il est caractéristique des bureaucraties, de leur autocentrisme et de la recherche permanente des différentes façons de justifier le maintien de leur existence. On comprend en effet que le succès d'Uber ne menace pas simplement les vieilles Toyota et les suspensions défoncées des véhicules de taxi, mais également la survie de l'administration en charge de les superviser...

Avant de faire le procès d'Uber, on devrait ainsi commencer par demander des comptes au Bureau du taxi de Montréal et à ses bataillons de fonctionnaires. La nature ayant horreur du vide, si Uber a pu si facilement s'introduire sur le marché du transport des particuliers c'est parce que la liste des innovations et des améliorations portées par l'administration montréalaise à ce secteur économique au cours des dernières décennies s'apparente à une immense feuille blanche. Cette incompétence est d'autant plus remarquable qu'au lieu de chercher à corriger cette inaction (après tout mieux vaut tard que jamais), l'administration semble au contraire s'enorgueillir de ce bilan famélique. Après avoir appliqué avec beaucoup de constance (et un succès notable) la recette de l'immobilisme et de la mauvaise gestion à l'entretien des égouts et des routes, la ville semble déterminée à vouloir faire prendre à Montréal le même retard dans ses infrastructures technologiques. On repassera pour la ville intelligente si chère à Denis Coderre...

Le silence entourant la responsabilité des compagnies de taxi dans cet échec industriel est également assourdissant. Ces dernières ne sont pas des organisations humanitaires. Taxi Diamond ou Taxi Coop ne sont pas des programmes sociaux. En prélevant aux chauffeurs une part importante de leurs revenus, ces compagnies avaient la responsabilité, en contrepartie, de veiller au développement et à la modernisation de leur modèle d'affaires. Au contraire, assises confortablement sur leur monopole et leur situation de rentières de la règlementation, elles ont superbement ignoré les risques liés à la transformation technologique de leur environnement. Plutôt que d'être en colère contre Uber, les chauffeurs devraient en vouloir à l'immobilisme des dirigeants de leurs compagnies.

On ne peut évidemment ignorer le sentiment d'injustice qui habite les chauffeurs de taxi. Ces derniers ont payé une licence et font l'objet d'une règlementation lourde et contraignante. Cependant, aucune compagnie et aucun individu n'est propriétaire d'un monopole professionnel (fût-il chèrement acquis). Une profession règlementée se développe dans le cadre d'un contrat de confiance avec la société. En échange des avantages du monopole consenti, les professionnels s'engagent à travailler dans l'intérêt du public et à développer un savoir spécifique. Autrement dit, un monopole n'est qu'une délégation de pouvoir provisoire. Malgré tout le respect que l'on peut avoir envers les chauffeurs de taxi, il n'y a strictement rien dans l'exécution de ce métier qui nécessite aujourd'hui l'acquisition et la protection d'un savoir particulier. Lorsque les coûts du monopole dépassent les avantages rendus à la population, le monopole ne se justifie plus. Cette règle s'applique aux comptables et aux avocats, comme elle doit s'appliquer aux taxis.

Il faut donc en tirer les conséquences. Le monopole des licences de taxi a perdu beaucoup de valeur à l'ère du numérique. Au lieu de se battre contre Uber, les administrations concernées devraient réfléchir à la façon de compenser les chauffeurs de taxi pour cette perte dont elles sont largement responsables. Déjà frappé par un taux de croissance misérable, l'austérité budgétaire, les hausses de taxe de la ville, ce n'est pas au citoyen de faire les frais de cette incompétence en payant son taxi deux fois plus cher que ce qu'il devrait lui en coûter réellement... Et à tous ceux qui auraient la mauvaise idée de vouloir travailler plus pour gagner plus, soyez avertis. On ne vous laissera pas faire. La mobilisation anti Uber pourrait se justifier sans peine à Cuba ou dans la Roumanie des années 50. Elle n'a aucun sens dans une société comme la nôtre qui repose sur la prise de risque et la création de valeur ajoutée.

En définitive, la bataille contre Uber est ahurissante. Elle signale une immense incompréhension des différents paliers gouvernementaux face à la rupture profonde entre l'économie d'aujourd'hui et de demain. Uber n'est qu'une préfiguration de l'émergence d'une nouvelle organisation du travail, beaucoup plus efficace et spontané, et d'une redéfinition fondamentale du concept de profession. Qu'on n'en doute pas, cette révolution du travail et du partage de services aura lieu envers et contre tout. Il y aura, comme à l'issue de toutes les révolutions, des gagnants et des perdants. Force est de constater que les pouvoirs publics semblent pour le moment résolus à choisir le camp des perdants.

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