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Réintroduire l'humain, la nature et la morale dans la gouvernance de l'État

Plutôt de s'abreuver à la fontaine des théoriesdes économistes et de formuler des politiques sur la base d'équations comptables de banquiers, le gouvernement Couillard serait bien avisé de porter attention aux enseignements de philosophes, sociologues, géographes, écologistes...
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Les mesures d'austérité adoptées par le gouvernement Couillard (qui contaminent ce qui pourrait être une rigoureuse, mais juste politique de redressement budgétaire) entraînent le Québec dans un recul historique de son modèle de social-démocratie. Ceux qui ont porté le parti Libéral au pouvoir le 7 avril 2014 n'avaient certes pas à l'esprit de confier ce mandat à l'équipe Couillard. Le projet de société juste et durable est mis à mal.

Plutôt de s'abreuver à la fontaine des théories courtermistes des économistes et de formuler des politiques sur la base d'équations comptables de banquiers, le gouvernement Couillard serait bien avisé de porter attention aux enseignements de philosophes, sociologues, géographes, écologistes... pour réintroduire des préoccupations sociales, culturelles et environnementales au cœur de la rationalité économique et financière. Voilà, les mots anathèmes sont lâchés. J'entends nos grands stratèges de l'État glousser derrière les portes de leurs officines: «Qu'a-t-on à faire de ces préoccupations de pelleteux de nuages ? Les vraies affaires sont l'équilibre budgétaire (au sacrifice des services publics), la croissance économique (au sacrifice de l'environnement), la sauvegarde des privilèges des nantis (au sacrifice des ambitions légitimes des jeunes générations).»

La santé et l'éducation : des gisements de coupes budgétaires

Formé à la pratique du bistouri plus qu'à la démarche préventive et à l'écoute du patient, le ministre de l'intervention médicale (plus que de la santé), Gaëtan Barrette, a entrepris un ensemble de réformes guidées par le seul objectif de gains à réaliser dans les « coûts de systèmes », peu sensible aux conséquences sur la qualité des soins.

Suite à la centralisation des structures organisationnelles et du pouvoir décisionnel, le ministre a mis au point une méthode de quotas attribuant à chaque patient une valeur quantitative selon sa maladie ou son handicap afin de déterminer le temps qui lui sera accordé par le médecin dans son cabinet ou à l'hôpital. Le ministre espère ainsi régir le nombre cible de patients (autour de 1500) que devra suivre le médecin et assurer de cette façon l'accessibilité aux soins de santé pour tous. Oups! Sur les 535 M$ d'augmentation des dépenses en santé pour 2015-2016, près des deux tiers, soient 329 M$, seront accaparés par les augmentations de salaire consenties aux médecins. L'austérité fait de bien étonnantes exceptions dans son application !

Dans le domaine de l'éducation, les économies à réaliser semblent illimitées : coupes dans les CPE, les commissions scolaires, les cégeps, les universités, les centres de recherche, les bibliothèques, les clientèles en difficulté d'apprentissage, les bureaux régionaux, etc.

Le développement régional, ce mal-aimé

La fracture qui se creuse entre le Québec des métropoles et le Québec de la périphérie a deux causes principales : 1. nos élites dirigeantes sont obsédées par la croissance des aires métropolitaines de Montréal et de Québec perçues comme locomotives économiques et sociales exclusives du Québec; 2. Ces mêmes élites entretiennent une méconnaissance désolante des mécanismes de développement des régions et de leur contribution à l'identité et à la prospérité de la société québécoise tout entière.

En région, le développement repose très largement sur les PME. Or, pour naître et croître, celles-ci requièrent des milieux qui soient attractifs en termes de cadre de vie et d'accès à des services diversifiés et de qualité aux familles, et compétitifs en termes d'infrastructures, d'équipements et de services offerts aux entreprises. Les PME se développent en symbiose avec leur milieu.

Les CLD, les CRÉ, la Politique nationale de la ruralité, Solidarité rurale, etc. aujourd'hui abolis ou affaiblis par les mesures d'austérité, étaient autant de structures et d'organismes dédiés précisément à renforcer l'attractivité et la compétitivité des territoires en région, à faire émerger des initiatives de développement et à accompagner les porteurs de projets à caractère économique ou social. La création d'une entreprise en région est rarement un fait spontané ou le résultat d'une délocalisation du centre vers la périphérie. C'est plutôt le résultat d'une maturation, d'une incubation de germes issus du milieu. La responsabilité des acteurs locaux et régionaux à l'égard de ce processus est grande et il importe que ceux-ci aient à leur disposition des outils appropriés, décentralisés.

Ouvrir la « route des huiles » dans la vallée du St-Laurent ?

Bloqué à l'Ouest et au Sud, le pétrole sale des sables bitumineux trouve chez le gouvernement Couillard un allié complaisant pour ouvrir le passage de l'Est en vue de l'exportation. Pipelines, port pétrolier, parcs de réservoirs de stockage, transport fluvial et ferroviaire à très hauts débits : des infrastructures et des équipements portant chacun son lot de nuisances et de risques pour les populations et l'environnement. Aux pétrolières et aux transporteurs les bénéfices financiers, à nous les risques et les nuisances. Belle solidarité confédérale ! Alors que le Québec fait le choix de s'affranchir de la dépendance aux énergies fossiles en harnachant son exceptionnel et enviable potentiel d'énergies renouvelables, il prend à sa charge les inconvénients des hydrocarbures de l'Ouest canadien en ouvrant la « route des huiles » dans la vallée du Saint-Laurent.

Une pensée de John Maynard Keynes que les membres de l'Assemblée nationale devraient méditer : « La même règle autodestructrice du calcul financier régit tous les aspects de l'existence. Nous détruisons la beauté parce que les splendeurs de la nature, n'étant la propriété de personne, n'ont aucune valeur économique. Nous serions capables d'éteindre le soleil et les étoiles parce qu'ils ne rapportent aucun dividende. »

Les causes légitimes des étudiants

L'équipe Couillard a vite fait de critiquer le mouvement étudiant de ce printemps 2015 et de se réjouir de convictions et d'une solidarité prétendument moins forte qu'en 2012. Évidemment, ce gouvernement ne remet pas en cause ses choix politiques qui sont à la source des manifestations étudiantes. Il ne veut surtout pas voir, entendre et reconnaître que derrière l'humeur dérangeante de la contestation il y a une conscience mobilisée pour une société plus juste, une économie au bénéfice de l'ensemble de la population, une éducation de qualité et accessible à tous, des milieux de vie sains et durables.

Ces motivations se cristallisent autour de deux grandes questions qui expliquent le militantisme étudiant en ce printemps 2015: les effets des mesures d'austérité sur le plan social et les impacts environnementaux de l'ouverture de la vallée du Saint-Laurent au pétrole bitumineux de l'Alberta, composante de la filière québécoise contestée des hydrocarbures. Aussi légitimes qu'elles soient, ces causes ne peuvent toutefois justifier l'intimidation, la violence et le vandalisme (attribuables largement à l'infiltration de casseurs). Les affrontements musclés avec les forces de l'ordre entraînent des conséquences regrettables qui ne sauraient reléguer au second plan les motivations premières des manifestations étudiantes.

Le monde étudiant souffre-t-il du peu de grandeur de ses dirigeants politiques?

La politique n'est pas qu'affaire de comptabilité, elle doit être au service d'un projet de société guidé par une morale inspirée de justice, d'égalité, d'équité, de compassion et de générosité.

Pourquoi les qualités humanistes et intellectuelles qui ont constitué le socle du Siècle des lumières (XVIIIe) sont si peu présentes dans l'action publique actuelle, quand elles n'y sont pas carrément bafouées et dénigrées?

Les leçons et les réprimandes paternalistes et infantilisantes des Couillard, Coîteux et Blais à l'égard des étudiants, témoignent de l'arrogance de nos dirigeants au service du maintien des privilèges de la « République des satisfaits » selon les termes d'un ouvrage de John Kenneth Galbraith, économiste iconoclaste, professeur émérite à l'Université de Harvard dans les années 80 et 90.

Il ne faut pas croire que les étudiants qui lisent, voyagent, participent aux débats publics sont indifférents aux choix politiques qui sont faits et qui, largement, préparent le monde dans lequel ils vivront et élèveront leurs familles.

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