Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Saint Dallaire (partie 5)

Comme nous l'avons vu jusqu'ici, la vraie mission de Roméo Dallaire au Rwanda semble avoir consisté davantage à aider le Front patriotique rwandais qu'à maintenir la paix.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Ce billet est le cinquième d'une série de six textes du même auteur sur Roméo Dallaire et le génocide du Rwanda. Pour lire tous les autres billets, cliquez ici.

Comme nous l'avons vu jusqu'ici, la vraie mission de Roméo Dallaire au Rwanda semble avoir consisté davantage à aider le Front patriotique rwandais qu'à maintenir la paix. Il ne faut donc pas s'étonner que, pour préserver son auréole, Dallaire ait besoin de raconter encore aujourd'hui beaucoup d'histoires à dormir debout. Par exemple, il affirme qu'en 1994, les « grandes puissances » auraient abandonné les Rwandais sous prétexte que leur pays n'avait aucun intérêt stratégique ou économique.

Le simple fait que Kigali serve aujourd'hui de « base d'opération » à Dallaire en Afrique, notamment pour se rendre au Soudan du Sud, illustre bien l'importance stratégique du Rwanda pour Washington et ses alliés, en particulier Israël, qui considère depuis longtemps le Soudan comme un ennemi. Paul Kagame a fourni un grand nombre de soldats à la force de l'ONU au Soudan, et le ministre Maxime Bernier s'est même trouvé en présence là-bas du responsable présumé de l'assassinat du père Guy Pinard, Karenzi Karake.

Sur le plan économique, les États-Unis ont cartographié depuis longtemps l'immense potentiel minier de l'Afrique, y compris celui de la République démocratique du Congo (RDC), pays voisin du Rwanda, d'où est provenu d'ailleurs l'uranium du projet Manhattan, qui déboucha sur le bombardement d'Hiroshima et de Nagasaki. Des minières ayant pignon sur Bay Street connaissent très bien ce potentiel, elles aussi. Elles l'exploitent à l'instar des chefs de guerre de Kagame omniprésents dans l'Est de la RDC, sous des étiquettes comme CNDP ou M23, avec la complicité du vassal Joseph Kabila. Les hommes de Kagame sont même intégrés à l'armée congolaise et continuent d'y perpétrer leurs multiples crimes revêtus d'un nouvel uniforme.

En formant Paul Kagame à Fort Leavensworth et en l'aidant à prendre le pouvoir à Kigali, Washington s'assurait d'étendre sa zone d'influence en Afrique, au détriment de la France. D'ailleurs, en 2008, le Rwanda de Paul Kagame a abandonné le français comme langue officielle au profit de l'anglais. Washington a mis le paquet pour renverser Juvénal Habyarimana et se débarrasser des Frenchies. Si Roméo Dallaire avait été un agent des États-Unis au Rwanda, en 1994, il n'aurait pas agi autrement. Pendant son séjour là-bas, il s'est employé à désarmer l'armée rwandaise, alors que le FPR infiltrait secrètement des milliers de combattants dans la zone démilitarisée de Kigali et faisait entrer sur le territoire rwandais des tonnes d'armes (Musabyimana, Gaspard, Rwanda, le triomphe de la criminalité politique, p. 235).

Une énième finauderie de Dallaire : les Hutus ne voulaient pas partager le pouvoir

À bien des égards, la version du drame rwandais propagée par Dallaire est une inversion complète de la réalité. Prenons, par exemple, cette déclaration :

Toute l'idéologie du génocide, ceux qui ont inventé l'idée, ils ont dit : « Nous autres, on veut pas partager le pouvoir. Puis, avec cette gang-là, on risque d'être obligés de le partager peut-être plus qu'on veut avec l'accord de paix. Donc, la solution, c'est qu'on va éliminer les 1,2 million, et puis, de cette façon-là, on aura plus de problèmes. »

Dallaire essaie de faire croire au public que les « extrémistes hutus » ou le président Habyarimana ne voulaient pas partager le pouvoir. Or, c'est plutôt à Paul Kagame qu'il faudrait adresser ce reproche. Habyarimana avait enchâssé le multipartisme dans la Constitution dès 1991. Conformément aux accords de paix d'Arusha négociés en 1992 et 1993, un gouvernement de transition devait être formé, et des élections devaient avoir lieu.

Ce ne sont pas les Hutus qui bloquaient l'application des accords de paix, en 1994, mais bien le Front patriotique rwandais (FPR), qui pratiquait la politique de la chaise vide. Tous ceux qui étaient présents au Rwanda à l'époque le savent. Le colonel Luc Marchal rappelait encore récemment le dernier échec de la mise en place des institutions de transition à cause du refus du FPR. Évidemment, le supérieur du colonel Marchal à l'époque, qui s'appelle Roméo Dallaire, a très bien vu, lui, aussi, le comportement du FPR (comme en fait foi le chapitre 7 de J'ai serré la main du diable), mais son récit actuel en fait abstraction.

Les élucubrations désespérées de Roméo Dallaire sur l'attentat du 6 avril 1994

Le 13 avril 2014, Dallaire avait laissé entendre qu'il divulguerait des informations tenues secrètes jusque-là, prétendument parce que « les tribunaux étaient encore en fonction ». Alors, le 22 mai 2014, à la demande des journalistes rassemblés à son invitation qui voulaient savoir ce qu'étaient en fin de compte ces informations, Dallaire a dépoussiéré un mauvais article de Libération : des extrémistes hutus auraient abattu l'avion présidentiel avec des missiles Mistral fournis par la France. Incroyable! Dallaire a transformé en révélation une vieille rumeur reprise par certains suivistes médiatiques, mais immédiatement démolie par les spécialistes. La journaliste de Libération, Maria Malagardis, n'avait même pas questionné le colonel Luc Marchal, qui était chargé de l'inventaire au camp Kanombe et qui aurait pu lui dire qu'aucun missile Mistral ne s'y trouvait.

Néanmoins, Dallaire n'a pas à garder le silence concernant l'attentat du 6 avril. Rien ne lui interdit de communiquer aux autorités compétentes l'information secrète qu'il prétend détenir. Le colonel Marchal lui a même déjà tendu la main pour qu'ils réclament ensemble une enquête sur l'attentat du 6 avril. Dallaire n'a même pas daigné lui répondre. On dirait en fait que Dallaire attendait la fin des travaux du TPIR pour faire ses « révélations », de manière à ne pas avoir à se ridiculiser en faisant la lecture de mauvais articles de journaux sous serment.

Tout le monde sait que l'attentat du 6 avril 1994, dans lequel deux chefs d'État ont trouvé la mort, a été le déclencheur du génocide. Pourquoi donc le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) n'a-t-il jamais inculpé personne pour ce crime majeur? Poser la question, c'est y répondre. Le TPIR est un tribunal des vainqueurs. Aucun responsable du FPR n'y a jamais été traduit.

De forts soupçons existent concernant l'attentat du 6 avril, car des enquêtes ont eu lieu, notamment celle de Michael Hourigan, qui travaillait pour Louise Arbour et qui s'est fait ordonner par cette autre spécialiste canadienne du camouflage d'oublier la piste du FPR. Mais la principale enquête est celle du juge Jean-Louis Bruguière, dans la poursuite civile intentée par les familles de l'équipage français de l'avion abattu. Les preuves que le juge Bruguière a recueillies sont accablantes pour le FPR, de même que les circonstances de l'attentat.

À la page 40 de ses mandats d'arrêt, le juge Bruguière précise qu'au moyen des numéros de série des tubes lance-missile abandonnés sur les lieux du crime, il a pu établir que les missiles ayant abattu l'avion provenaient d'un lot de 40 missiles vendus en 1987 à l'Ouganda par l'URSS. Or, le FPR était basé en Ouganda. De plus, le juge constate qu'en octobre 1990, au cours de la guerre, le FPR a abattu des aéronefs de l'armée rwandaise, ce qui signifie que des soldats du FPR étaient formés pour utiliser ces missiles.

Le juge Bruguière a obtenu les confessions d'anciens membres du FPR, qui les ont fournies au péril de leur vie, puisque Kagame fait systématiquement assassiner les témoins gênants, comme c'est arrivé à Patrick Karegeya le 31 décembre dernier. Selon le témoignage de feu Abdul Ruzibiza, les deux tireurs de missile seraient Erik Hakizimana et Franck Nziza.

Par ailleurs, puisque le FPR n'avait aucun aéronef, les Forces armées rwandaises (FAR) ne possédaient aucun missile. Et, à part les armes individuelles, tout l'armement des FAR était entreposé sous clé dans un hangar, au camp Kanombe, à Kigali. Or, savez-vous qui détenait la clé? Mais oui, c'était la MINUAR de Roméo Dallaire. Les Casques bleus avaient fait l'inventaire complet des armes des FAR et avaient pu constater qu'il ne s'y trouvait aucun missile.

EN COMPLÉMENT :

L'attentat du 6 avril 1994 et le massacre des 10 Casques bleus belges perpétré sous le regard de Roméo Dallaire, qui préfère ne pas intervenir. Le colonel Marchal affirme, à l'instar de beaucoup d'autres observateurs avertis, que la simultanéité de cet attentat et de l'offensive du FPR ne peut être le fruit du hasard. Reportage de Peter Verlinden.

Willy Claes, ancien ministre des Affaires étrangères de la Belgique, est d'avis que Paul Kagame est « au moins en partie responsable du génocide de 1994 ».

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Roméo Dallaire

Roméo Dallaire au fil des ans

Retrouvez les articles du HuffPost sur notre page Facebook.
Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.