Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Choisir ses seins, un exemple d'autosanté

La revendication féministe de disposer de ses seins est prise entre une réelle auto-santé et un jeunisme social. Qui choisit nos seins finalement les autres, nous-mêmes ou les normes sanitaires et sociales ?
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Se retirer les seins pour prévenir la maladie prévisible ou pour s'embellir le geste est le même geste en apparence, mais la signification est-elle identique ? Choisir ses seins n'est pas une simple décoration du corps comme pour la bimbo Nabilla pour capter les audiences et les regards. Au procès des prothèses défectueuses PIP, l'accusation porte sur la qualité du matériel implanté dans les seins de femmes, mais jamais n'est remis en cause le droit de la femme à choisir ses seins. L'acte est devenu acceptable et même valorisé pour une nouvelle estime du soi.

Une médecine réfléchie

L'autosanté est à la fois physique et psychologique. La psychologie de la santé repose désormais sur des actes physiques et plus seulement sur un accompagnement par la parole des personnes en situation de désarroi. Le cancer du sein rejoint ici le désir de santé et de beauté. Mais changer ses seins c'est dénoncer la nature physique de nos formes. La qualité physiologique est devenue, ce que nous avons appelez L'autosanté dans notre livre paru chez Armand Colin, une médecine réflexive et réfléchie par les femmes elles-mêmes. Si le protocole reste très médicalisé et coûteux, la prédiction génétique est devenue une information à partir de laquelle le sujet peut décider de son corps.

Prendre soin de soi n'est plus seulement une logique de l'apparence à la recherche d'une beauté fatale. Elle est aussi une décision de "s'auto-santer" face à une maladie prédictible et prévisible. Pour 3000 dollars aux Etats Unis, le dépistage sanguin de sa maladie a décidé Angelina Jolie de ce qu'elle appelle "mon choix médical". La course à la normalisation, si elle standardise les silhouettes et les seins dans ce qui serait le corps unique (comme on dit la pensée unique) ne doit pas nous faire oublier l'appropriation sensorielle du sein comme découverte de soi et épreuve en soi. Se sentir avant même de se sentir bien et de se sentir bien parmi les autres repose sur une bonne estime de soi. Le ré-envisagement de soi, que ce soit dans la chirurgie du sein ou dans sa reconstruction corporelle, tient à la possibilité de supporter l'affaissement, le défaut, la ride, l'entaille, la cicatrice ou la tâche qui me singularise.

Le sein est une surface esthésiologique. Sa peau est perméable, elle assure l'incorporation des sensations. Elle est un lieu de passage. Il y a des degrés de sensations qui posent le problème du seuil sensoriel de notre corps. Subjectivement, ces seuils sont extrêmement variables : l'apparence physiologique et psychologique n'est pas quelque chose d'objectif. Elle dépend de notre attention à nous-mêmes, du discours que nous tenons sur notre propre corps et du regard des autres. Mais l'évolution des techniques de coloration des seins par le soleil naturel, chimique ou électrique, agit désormais sous la surface de la peau. Ces stimulations induisent des changements métaboliques, au niveau cellulaire, en particulier au niveau des mélanocytes, responsables des changements de pigmentation.

Montrer ses seins pour en changer

Là où les Femen montrent leurs seins pour changer le monde, d'autres femmes changent de sein pour se montrer différemment. La révolution n'est plus par le corps mais dans le corps : en immergeant ses seins dans une prothèse, l'hybridation du corps biologique et du corps technologique ne crée pas un cyborg entièrement robotisé : mais un corps mixte métissant le corps naturel et le corps culturel.

La prévention en montrant ses seins est désormais publique, même si interdite encore sur facebook ! Donner son sein, moins à boire qu'à toucher, relève d'une intimité cosmétique ou d'une consultation diagnostique, comme sur le site Boobstagram : "Montrer ses seins sur le web c'est bien, les montrer à son médecin c'est mieux". Le site web, intitulé boobstagram.fr recense des photos de décolletés plus sexy les uns que les autres. Ce sont deux Français, Julien GLT (fondateur du site) et Lionel Pourtau (sociologue), qui sont à l'origine de cette démarche de ce qu'ils appellent "prévention ludique". La campagne menée par le magazine Marie Claire (1) dans laquelle "10 stars enlèvent le haut pour le dépistage du cancer du sein" : "en montrant mes seins, j'ai protégé ma vie. Comme moi passez une mammographie". A la différence de la campagne publicitaire de l'afficheur Avenir fin aout 1981, en trois affiches, signées depuis les Seychelles par Jean-François Jonvelle, Myriam annonce enlever le haut avant de ne nous montrer le bas que de dos sous le slogan d'un "afficheur qui tient ses promesses".

Montrer ses seins n'est plus seulement un érotisme pour les autres mais un choix d'en dessiner la forme de l'intérieur. Le push up ne suffit plus. Le sein-building des salles de fitness et autres programme de musculation ne raffermit pas suffisamment. Chacune voudrait implanter une prothèse qui redessine le buste et la silhouette de l'intérieur : cette plasticité du volume et de la tenue du corps est une manière de se redessiner. Ce dessin de soi-même n'est pas un acte démiurgique mais un salut tant physiologique que psychosocial.

L'Agence nationale de sécurité du médicament a fait un bilan des explantations de prothèses Poly Implant Prothèse (PIP) à la fin juillet 2012 : 12 345 femmes, sur les 30.000 porteuses en France ont eu une explantation de leurs prothèses, 8 460 l'on fait à titre préventif. "L'explantation préventive" est par ailleurs recommandée par ANSM, "compte tenu de la fréquence et de la précocité des événements indésirables observés anormalement chez les porteuses d'implants PIP. Les retraits préventifs avaient débuté dès mars 2010 mais se sont accélérés depuis janvier dernier, à la suite de la décision du ministère de la Santé" de proposer des explantations même sans signe clinique de détérioration de l'implant. 3013 femmes ont eu une rupture de prothèses PIP, et 2892 réactions inflammatoires ont été notées chez 1689 porteuses de ces prothèses, précise l'ANSM.

Choisir ses seins ?

Face aux 30.000 cancers du sein découverts en France chaque année, la mastectomie engage aussi une reconstruction par l'acceptation de la nouvelle image de son corps comme cette exposition de photos au Parlement européen à Bruxelles du 7 au 17 octobre 2008. Cette exposition, organisée sur plus de 500 m² sur les façades du Parlement et à l'intérieur du bâtiment, rassemble une cinquantaine de photographies de femmes ayant surmonté un cancer du sein. Cette visibilité est aussi une capabilité, selon Martha C. Nussbaum qui restaure la dignité de l'amazone. Continuer à me toucher moi qui suis devenue une amazone ! comme le manifeste le travail autour de la rage de vivre de Gregor Podgorski.

Ce culte d'une beauté éphémère du sein comme surface tactile fait disposer dans l'entour des tétons ou en se servant de la pesanteur d'une suspension pour procure une émotion au regard et une sensation au corps vécu. Cette sensualité tactile trouve aussi dans les techniques d'auto-massages le moyen de galber ses seins : cette découverte sensorielle de son propre corps conduit moins à l'onanisme qu'à une auto-palpation salvatrice dans le dépistage de la malignité et une auto-santé harmonieuse dans la circulation des énergies.

Mais derrière cette auto-santé qui fixe les normes esthétiques du sein volumineux et avantageux ? Est-ce la femme qui agit sur son corps ou le regard de la domination masculine ? La revendication féministe de disposer de ses seins est prise entre une réelle auto-santé et un jeunisme social. Qui choisit nos seins finalement les autres, nous-mêmes ou les normes sanitaires et sociales ?

Ces stars se sont battues contre le cancer

(1) Paul Villach, 2009, La campagne de Marie-Claire contre le cancer du sein, AgoraVox, du Jeudi 17 septembre 2009

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.