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Le Québec est chaque jour davantage déchiré entre la défense d’une identité nationale commune et la volonté d’ouverture à la différence.
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Comment dépasser cette nouvelle opposition stérile entre identitaires et inclusifs?
sarote pruksachat via Getty Images
Comment dépasser cette nouvelle opposition stérile entre identitaires et inclusifs?

«Identité ou ouverture?», demande-t-on au Québec. «Identité et ouverture», répondrait Hubert Aquin.

Le Québec ressent «une certaine difficulté d'être», écrivait Hubert Aquin en 1962. Aujourd'hui, ce constat retrouve sa pleine actualité. Depuis la crise des accommodements raisonnables, le Québec est chaque jour davantage déchiré entre la défense d'une identité nationale commune et la volonté d'ouverture à la différence, et le débat ne semble trouver aucune résolution satisfaisante.

Comment dépasser cette nouvelle opposition stérile entre identitaires et inclusifs? Pour le premier billet de cette chronique, j'ai cru bon tenter de répondre à cette question qui s'annonce l'un des sujets de débat principaux de la prochaine campagne électorale.

Et pour y répondre, je crois que la pensée de l'écrivain indépendantiste Hubert Aquin est utile. Car face à une division semblable, au début de la Révolution tranquille, Aquin proposait une troisième voie. Chez lui, en effet, l'épanouissement de l'identité propre n'est pas seulement compatible avec l'ouverture à l'Autre: elle en est la condition essentielle.

Une pensée portée vers l'Autre

Nulle part, sans doute, ne peut-on mieux observer la pensée d'Aquin sur l'identité qu'en son article: «La fatigue culturelle du Canada français». Publié en 1962, celui-ci répond directement au texte de Pierre Elliott Trudeau «La nouvelle trahison des clercs», critiquant le nationalisme au nom du progrès et de la paix universels.

D'emblée, Aquin y place son raisonnement sous le signe de l'ouverture à l'Autre. Sa réplique à Trudeau est une invitation au dialogue (et, à cet égard, il peut être utile de rappeler que le futur Premier ministre n'offrira jamais de réponse). En effet, «l'adversaire peut découvrir autant de vérité et peut comprendre autant de réel que celui qui est de "mon" côté ou de "ma" tendance», affirme-t-il.

En ce sens, Aquin fait sienne l'idée de Trudeau, considérant le nationalisme fermé sur soi comme porteur de plusieurs dangers. «Le nationalisme [...] a souvent été une chose détestable sinon même innommable», écrit-il. Il faut prendre garde de ne pas figer la définition des nations, qui sont aujourd'hui des ensembles multiethniques, y compris le Québec. Il ajoute: «Si quelques attardés rêvent encore d'un sang pur canadien-français, considérons-les tout bonnement comme des délinquants intellectuels!»

Ce nationalisme étroit ne tend pas seulement à la fermeture à l'Autre.

Ce nationalisme étroit ne tend pas seulement à la fermeture à l'Autre. Il condamne également celui qui le pratique à une fermeture «à soi», à une identité immobile et folklorique. Il porte à se voir «avec les yeux, avides d'exotisme, des étrangers qui passent deux semaines au Québec» et à faire de son identité une caricature. Si l'on avait à identifier La Meute à un camp, ça pourrait être le bon à choisir.

Une pensée portée vers soi

Par ailleurs, Aquin est tout aussi critique d'une autre posture: celle d'un idéalisme abstrait, détaché des identités particulières et concrètes. Pierre Trudeau, par exemple, prétend que les identités nationales représentent une phase transitoire de l'Histoire, et qu'elles sont la source des guerres. Au nom du progrès universel, il faudrait donc s'engager résolument à les dépasser.

Pour Aquin, ce raisonnement s'appuie sur des arguments convaincants, mais cache une faiblesse, voire un piège logique.

Pour Aquin, ce raisonnement s'appuie sur des arguments convaincants, mais cache une faiblesse, voire un piège logique. Car, accéder à la «paix mondialisante» en escamotant le particulier des cultures du monde serait sauter une étape du processus. Pour «dépasser» les nations, il faut d'abord les reconnaître.

En effet, est-ce bien juste de conclure qu'il faille dévaloriser les cultures nationales parce qu'elles ne sont pas éternelles? Pourtant, la vie humaine est transitoire. Le Canada, voire la planète, le sont sans doute tout autant. Alors, est-ce exact de dire que le nationalisme en tant que tel est la cause des conflits entre les peuples? Non plus.

On peut en effet dire la même chose des empires et grands ensembles qui ont historiquement imposé leur ordre par la force. Considérant cela, il est en fait possible de considérer certains nationalismes comme volonté de se soustraire à une forme de conflit créée par les grandes puissances, et d'établir la paix. Ils peuvent représenter, par conséquent, une forme d'idéalisme concret.

À l'opposé, nier les identités «transitoires» pour mieux s'ouvrir au monde peut s'avérer rétrograde, car cela «ne libèr[e] jamais tout à fait l'individu de son identité première et lui interdi[t], en même temps, la pleine identité à son milieu second. Privé de deux sources, [...] il est deux fois apatride». Voilà le camp d'une certaine gauche anti-nationaliste qui cherche aujourd'hui à s'affirmer. Voilà ce qui cause, pour citer le premier ministre Philippe Couillard, un «exil intérieur».

Une volonté de rencontre

Certes, pour l'auteur, l'humanité est engagée dans un rapprochement des cultures. Mais ce rapprochement ne peut être le produit d'une fusion forcée. Il doit s'incarner dans un «projet d'amour», une réconciliation de la diversité et de l'unité, des peuples et du monde. Pour Aquin, cela passe nécessairement par l'indépendance du Québec.

Une certaine pensée, héritière de Pierre Trudeau, voudrait au contraire faire taire notre identité pour mieux nous ouvrir à la différence.

Une certaine pensée, héritière de Pierre Trudeau, voudrait au contraire faire taire notre identité pour mieux nous ouvrir à la différence. Or, pour Aquin, «[p]lus on s'identifie à soi-même, plus on devient communicable, car c'est au fond de soi-même qu'on débouche sur l'expression. [L]e dialogue est d'autant plus riche que les deux protagonistes sont plus profondément et plus spécialement eux-mêmes.»

Pour la prochaine élection, et pour les prochaines années, alors qu'un autre Trudeau règne, je crois essentiel que le Québec s'inspire de cette leçon s'il ne veut pas renverser le progrès social et le métissage culturel dont il est le lieu fécond depuis 50 ans.

La nouvelle ère politique qui s'ouvre devant nous exigera de notre société qu'elle sache, à la fois, préserver une identité confiante et unie, et cultiver un rapport harmonieux et ouvert avec la diversité. Elle y parviendra seulement si elle comprend, comme Hubert Aquin, que «l'Un» est la condition incontournable de «l'Autre».

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