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Qatar: la parenthèse enchantée?

Ces dernières années, le richissime petit émirat du Golfe bénéficie d'une visibilité géopolitique exceptionnelle. Symbolique d'un monde en pleine mutation, ladu Qatar reste cependant encore à inscrire dans la durée.
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A view of Doha, Qatar
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A view of Doha, Qatar

Ces dernières années, le richissime petit émirat du Golfe bénéficie d'une visibilité géopolitique exceptionnelle. Symbolique d'un monde en pleine mutation, la success-story du Qatar reste cependant encore à inscrire dans la durée.

Comment expliquer l'importance actuelle du Qatar?

Si l'on osait une comparaison historique très approximative avec le Qatar, on pourrait choisir la République de Venise. Puissance économique et politique chrétienne, la Sérénissime fut des siècles durant un trait d'union entre Orient et Occident, rôle que revendique aujourd'hui Doha, quoiqu'en version musulmane.

L'ascension fulgurante du petit Qatar est en fait quasiment inédite car elle relève dans l'histoire géopolitique mondiale d'une anomalie conjoncturelle. Les circonstances lui sont en effet incroyablement favorables.

Certes, le Qatar dispose de deux atouts majeurs et bien connus : son gaz, qui lui assure une colossale source de revenus, et son émir, Cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani, qui personnifie depuis bientôt 20 ans son ambition internationale.

Mais Doha profite aujourd'hui de la crise profonde qui frappe le monde capitaliste occidental, ainsi que de l'absence notable de leadership régional fort à l'occasion des révoltes dans le monde arabe.

Depuis 2007, la crise économique partie des États-Unis sape la crédibilité des puissances sorties victorieuses de la Guerre froide. Non seulement celles-ci ont besoin d'argent, mais elles se révèlent difficilement capables d'accompagner les transitions politiques arabes.

Or, les investissements qataris ont précisément décollé en Europe avec la crise. Quant à l'influence de Doha au Maghreb et au Moyen-Orient, elle a aussi atteint son apogée depuis 2011.

À l'heure actuelle, les puissances traditionnelles de l'Atlantique au Golfe sont en net retrait. L'Égypte est en révolution permanente. L'Arabie Saoudite et l'Algérie sont des gérontocraties sous anesthésie. La Libye se cherche un avenir. L'Irak menace d'exploser, tandis que la Syrie poursuit son autodestruction.

Fort de ce constat, le sémillant Qatar s'est donc introduit dans la brèche. D'autant plus facilement que les nouveaux dirigeants arabes postrévolutionnaires sont à forte coloration religieuse. Doha a ainsi pu capitaliser sur la vigueur de ses réseaux islamistes, progressivement constitués depuis les années 1970.

Le Qatar a-t-il peur que sa situation change?

À une époque où le monde change de plus en plus vite, le Qatar est parfaitement conscient des risques. Il tient à préparer l'avenir en s'assurant une place durable sur la scène internationale.

Cela se voit par exemple dans ses projets de développement, dont l'axe principal est résumé depuis 2008 dans le programme Vision 2030. Le Qatar a notamment l'ambition de prendre de vitesse les pays étrangers dans les technologies, grâce au développement d'une économie du savoir.

Dans ses investissements, il parie sur l'avenir des énergies renouvelables et la multipolarisation croissante de l'économie mondiale. À cet égard, les Qataris s'intéressent de près au marché des matières premières, à qui l'appétit grandissant des puissances émergentes a fait plus que redonner des couleurs.

Outre les plus-values ou le prestige qu'ils peuvent apporter, les investissements à l'étranger sont aussi une garantie de sécurité nationale. Ils permettent de décentraliser la puissance financière qatarie et de se constituer un solide carnet d'adresses.

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Des images du Qatar

L'organisation d'évènements d'envergure planétaire, telle la Coupe du Monde de football de 2022, a quant à elle pour but d'inscrire en lettres capitales le nom du Qatar dans les livres d'histoire.

Une anecdote devenue courante veut en effet qu'il y a des années, le futur émir du Qatar aurait été particulièrement frustré de constater qu'un douanier contrôlant son passeport ne connaissait pas son pays!

Quelles sont les faiblesses du Qatar pour son avenir?

Elles sont nombreuses, mais de différents ordres. Le pays risque de perdre ses atouts, mais aussi de faire les frais de tout renversement de tendance qu'il ne pourra maîtriser à l'international.

Le marché gazier pourrait s'orienter à la baisse. L'essor des gaz de schiste, plus tard peut-être celui des hydrates de méthane, réduirait fortement la compétitivité du gaz qatari, dont la clientèle demeure peu diversifiée.

En outre, ses acheteurs asiatiques pourraient se tourner vers l'Australie, qui a des chances de ravir au Qatar la place de premier producteur de Gaz Naturel Liquéfié (GNL). Les acheteurs européens devraient eux s'intéresser aux récents gisements découverts en Méditerranée orientale et aux futurs projets de la Russie, avec qui le Qatar est en mauvais termes.

De son côté, il semble acté que l'émir quittera le pouvoir dans les toutes prochaines années. De santé fragile, il aimerait transmettre le pouvoir de son vivant à son fils, le prince héritier Tamim, et lui attribuer le triomphe attendu du Mondial de 2022.

Mais, d'une part, le fils n'a ni le charisme ni l'intelligence politique de son père. D'autre part, certains dans la famille princière pourraient mettre leur grain de sel. À la fois rival et éminence grise de son cousin l'émir, l'ambitieux premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Hamad ben Jassem (dit HBJ), ravalera-t-il par exemple sa fierté devant le jeune héritier ?

Il faut insister sur l'importance de ce risque interne dans un pays où les souverains ont pour coutume de s'imposer par un coup de force. Bon nombre des princes sont par ailleurs profondément conservateurs. Ils goûtent peu l'activisme et le style tapageurs de l'émir et de son épouse préférée, la Cheikha Mozah.

Mais le plus grand risque pour le Qatar est sans doute sa géographie. Petit et aride, le pays dépend quasi intégralement de l'étranger pour sa défense, ses besoins alimentaires et même sa main-d'œuvre.

En cas de conflit régional, ses installations pétrogazières bien sûr, mais surtout ses usines de dessalement d'eau de mer seraient des cibles idéales. Soumis à des parrains internationaux agacés par ses prises de liberté, le turbulent petit émirat pourrait également être mis au pas : en échange de sa sécurité, il deviendrait de fait un protectorat saoudo-américain.

Heureusement pour Doha, ce scénario n'est pas le plus crédible. Mais l'émir a eu tout loisir de méditer le précédent du Koweït, son voisin qui ne s'est jamais remis de l'invasion irakienne en 1990. Les nouvelles prises de position du Qatar dans la région lui ont d'ailleurs acquis de franches inimitiés.

Hormis le Koweït, les exemples de rêves de grandeur arrêtés en plein élan par les aléas de l'Histoire ne manquent pas. On peut citer le Liban, qui n'a jamais retrouvé son statut de « Suisse du Moyen-Orient » depuis l'éclatement de la guerre civile en 1975. Mais aussi l'extravagant Dubaï, que la crise financière a sévèrement fait redescendre sur terre en 2008.

À Doha, le plus dur reste à faire pour éviter que, telle la grenouille de la fable, la bulle Qatar finisse par éclater.

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