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Irak: la révolte sunnite consacre l'échec du pouvoir central

Depuis plus d'un mois, les sunnites irakiens manifestent contre le pouvoir du Premier ministre chiite Nouri al-Maliki, au pouvoir depuis 2006. Pour la première fois, la police a tué plusieurs manifestants le 25 janvier, enclenchant un nouveau cycle de violences.
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Sunni Muslims shout slogans during an anti-government demonstration outside the Sunni Abu Hanifa mosque in Baghdad's Adhamiyah district on January 25, 2013. Protests, which took place in several Sunni majority areas after Friday prayers, have hardened opposition against Shiite Prime Minister Nuri al-Maliki and come amid a political crisis less than three months ahead of key provincial elections. AFP PHOTO / ALI AL-SAADI (Photo credit should read ALI AL-SAADI/AFP/Getty Images)
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Sunni Muslims shout slogans during an anti-government demonstration outside the Sunni Abu Hanifa mosque in Baghdad's Adhamiyah district on January 25, 2013. Protests, which took place in several Sunni majority areas after Friday prayers, have hardened opposition against Shiite Prime Minister Nuri al-Maliki and come amid a political crisis less than three months ahead of key provincial elections. AFP PHOTO / ALI AL-SAADI (Photo credit should read ALI AL-SAADI/AFP/Getty Images)

Depuis plus d'un mois, les sunnites irakiens manifestent contre le pouvoir du Premier ministre chiite Nouri al-Maliki, au pouvoir depuis 2006.

Pour la première fois, la police a tué plusieurs manifestants le 25 janvier, enclenchant un nouveau cycle de violences.

Source Courrier International

Quelles sont les causes de la colère des sunnites?

Lorsque Saddam Hussein -un sunnite de Tikrit- était au pouvoir (1979-2003), les chiites et les Kurdes étaient particulièrement discriminés. Et même si Saddam favorisait d'abord et avant tout son clan des Tikriti, les sunnites dans leur ensemble bénéficiaient de facilités. Par exemple, dans l'accès à des emplois rémunérateurs.

Mais les sunnites irakiens sont minoritaires (moins d'un quart de la population) face aux chiites (plus de la moitié). Or, après la chute du régime baathiste il y a dix ans, c'est un système parlementaire, de nature ethno-confessionnelle, qui a été mis en place.

La majorité chiite a donc été privilégiée. Elle a obtenu la tête du gouvernement pour un des leurs. Les positions sunnites/chiites se sont finalement inversées dans la mesure où, aujourd'hui, le pouvoir du Premier ministre favorise largement les chiites et verse dans l'autoritarisme.

Y a t-il un effet "Printemps arabe" en Irak?

Il y a en a eu un en 2011. Les manifestations étaient déjà orientées contre le pouvoir autocratique de Nouri al-Maliki. Mais le clivage communautaire était volontairement moins marqué. Finalement, le gouvernement a calmé le jeu en promettant des réformes et une lutte accrue contre la corruption.

Il faut rappeler que l'Irak est un cas à part dans la région: le pouvoir en place n'a que quelques années d'existence. Bien qu'autoritaire, il n'est pas vraiment de même nature que ses voisins. Par ailleurs, la société irakienne est meurtrie par des décennies de guerre et de violences. La première chose qu'elle aimerait, ce n'est certainement pas faire la révolution.

Depuis deux ans cependant, les tensions n'ont cessé de monter. En effet, une fois débarrassé de la tutelle américaine, Maliki a tenté d'asseoir définitivement son pouvoir. Il s'est opposé aux Kurdes, devenus indépendants de fait, et s'en est pris aux principaux responsables sunnites du pays.

Pour se faire une petite idée: au lendemain même du départ du dernier GI du sol irakien, fin 2011, un mandat d'arrêt a été émis contre le vice-président sunnite, aujourd'hui réfugié en Turquie.

Les clivages communautaires expliquent-ils seuls la persistance de l'instabilité irakienne?

Ils sont la trame principale des événements. Mais ils masquent d'autres réalités. L'Irak, en tant qu'Etat, n'a que peu de profondeur historique -moins d'un siècle-, et il a été créé de l'étranger, sans aucune considération pour les populations. Son histoire a été marquée par des régimes centraux forts, qui réprimaient les particularismes locaux.

En 2003, les nouveaux maîtres américains du pays ont démantelé purement et simplement l'Etat irakien, car ils souhaitaient naïvement en construire un nouveau. Ce faisant, ils ont libéré des forces dévastatrices qui leur ont retiré la maîtrise du processus de transition politique. Le chaos sécuritaire a rapidement facilité l'ingérence d'autres pays, en premier lieu celle de l'Iran.

Enfin, on doit souligner l'influence spécifique de la guerre civile en Syrie, un conflit qui paraît de plus en plus se "confessionaliser". Or, il y a une continuité géographique entre les sunnites des deux pays, une continuité que la porosité de la frontière ne peut venir démentir.

Quels sont les intérêts de l'Iran en Irak?

Téhéran a été le premier bénéficiaire de la chute de Saddam Hussein, son ennemi mortel des années 1980. Ajoutons que l'Irak n'est pas n'importe quel pays pour la théocratie chiite iranienne: il héberge les lieux les plus saints du chiisme duodécimain, Kerbala et Nadjaf.

L'Iran est parvenu à se créer une clientèle politique irakienne très influente, comprenant le Premier ministre actuel. Aujourd'hui, celui-ci a même dangereusement accru sa dépendance vis-à-vis de Téhéran, dont il est devenu l'allié régional "de secours". En effet, l'affaiblissement du régime syrien, principal allié arabe de la République islamique depuis trente ans, oblige les Iraniens à changer leur fusil d'épaule.

Enfin il faut rappeler la spécificité actuelle de l'Iran: c'est un pays sous embargo économique sévère, à cause de son programme nucléaire controversé. L'occasion d'étendre son influence en Irak s'est présentée au moment où le fameux dossier nucléaire commençait à pénaliser sa position internationale. Aujourd'hui, pour le régime iranien, l'Irak sert de précieux canal économique vers l'extérieur.

Le Premier ministre Nouri al-Maliki, devant un drapeau irakien (AFP)

Que peut-on attendre de la situation?

Si le pouvoir laisse pourrir la situation ou répond par la manière forte, la voie semblera encore un peu plus dégagée pour une dislocation de fait du territoire irakien en trois entités principales.

Au nord, ce qui retient le plus les Kurdes de proclamer leur indépendance formelle est sans doute l'absence de soutien international. A l'ouest et au centre, les provinces sunnites vont poursuivre leur radicalisation contre Bagdad, encouragées peut-être en cela par les gains politiques et militaires des rebelles en Syrie. Au sud, les régions chiites pourraient constituer un mini-Etat satellite de l'Iran.

Mais Nouri al-Maliki peut aussi choisir l'ouverture, s'il sent que son renversement se rapproche. Car on peut imaginer que les Iraniens eux-mêmes seraient capables de miser sur un autre cheval pour préserver leurs intérêts. Les alternatives ne sont toutefois pas évidentes. En outre, même le départ de Maliki, qui est du genre coriace et manœuvrier, a peu de chances de mettre un terme définitif aux tensions dans le pays.

En fait, l'atout-maître de l'Irak, c'est son pétrole. Le pays a virtuellement les moyens de se payer un bel avenir. Le problème est que ce pétrole est aussi un enjeu de pouvoir majeur pour tous les acteurs, locaux et internationaux. Si jamais le pays replonge dans la guerre civile, l'avantage qu'il procure se transformerait en menace mortelle pour l'Irak unitaire.

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