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Najib Mikati a finalement jeté l'éponge le 22 mars. Après des mois de tensions et d'incertitudes croissantes, la démission du premier ministre enfonce un peu plus le pays du Cèdre dans une de ces crises politiques dont il est coutumier.
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Najib Mikati a finalement jeté l'éponge le 22 mars. Après des mois de tensions et d'incertitudes croissantes, la démission du premier ministre enfonce un peu plus le pays du Cèdre dans une de ces crises politiques dont il est coutumier.

La subtilité aujourd'hui, c'est que l'encombrant voisin syrien est lui-même en pleine descente aux enfers.

Pourquoi Mikati s'en va?

C'est une surprise sans en être une. Cela faisait plusieurs mois que le chef du gouvernement libanais avait menacé de démissionner. En cause, les fractures de moins en moins tenables au sein de la classe politique libanaise et la montée des violences liées au conflit syrien.

Officiellement, c'est la question de la reconduction du général sunnite Ashraf Rifi à la tête des Forces de Sécurité intérieure (FSI) qui est mise en avant. Ce proche de la coalition du 14-mars, opposée à celle du 8-mars, que mène le Hezbollah chiite, est atteint par la limite d'âge.

Les FSI disposent d'importants réseaux dans tout le pays. Elles ont notamment fourni une grande aide au Tribunal spécial international (TSL) chargé d'enquêter sur la mort de l'ancien Premier ministre Rafiq Hariri en 2005. Une affaire dans laquelle quatre membres du Hezbollah ont été inculpés -mais non livrés par le mouvement.

Mikati a soutenu le maintien de Rifi pour éviter de s'aliéner davantage les sunnites (communauté dont il fait partie, comme tous les premiers ministres libanais). Ceux-ci considèrent effectivement que le chef du gouvernement est un pion du Hezbollah.

De fait, le cas Rifi est un prétexte. C'est plutôt la proximité des élections générales, prévues en juin prochain, qui a motivé la décision de Mikati. Le premier ministre n'a pas souhaité assumer les conséquences de leur report éventuel alors que, depuis des semaines, le débat sur la loi électorale s'envenime.

Un projet de loi dite "orthodoxe", soutenu par le Hezbollah et ses alliés, en particulier le chrétien Michel Aoun, a par exemple enflammé l'opinion. Il pousse à outrance la logique communautaire en contraignant les électeurs à voter pour des candidats de leur confession.

La chute du gouvernement est-elle un revers pour le Hezbollah?

En apparence cela devrait l'être. Il y a deux ans, le Hezbollah avait renversé le gouvernement de Saad Hariri, le fils de Rafiq, à un moment où le TSL allait prononcer ses premières inculpations. Il était ensuite parvenu à former un nouveau gouvernement proche de ses intérêts.

Depuis lors, le parti chiite avait laissé entendre que, malgré les tensions, le maintien en place du gouvernement Mikati était préférable à sa démission. Ce point de vue a été conforté par l'aspiration du régime syrien dans la tourmente de la guerre. La position privilégiée du Hezbollah a en effet assuré la neutralité de l'État libanais sur le plan diplomatique.

Pour autant, si le Hezbollah s'était vraiment opposé à la décision de Mikati, il aurait sans doute eu les moyens de le convaincre de rester. Cela veut dire qu'il a changé de tactique.

Le Hezbollah s'est agacé des concessions qu'il a dû tout de même consentir sur le TSL (comme la contribution nationale à son financement) et le maintien à leur poste de sunnites proches du camp Hariri. D'où son intransigeance aujourd'hui sur Rifi: c'est l'un des derniers décideurs qui lui est hostile dans l'appareil sécuritaire après l'assassinat du général Wissam al-Hassan, en octobre dernier.

Par ailleurs, les pressions internationales se sont intensifiées sur le gouvernement Mikati. D'une part, les États-Unis et les pays du Golfe aimeraient que le Liban prenne enfin parti contre le régime syrien. D'autre part, Washington fait campagne pour isoler le Hezbollah, accusé d'être à l'origine de l'attentat anti-israélien perpétré en Bulgarie l'été dernier.

Voilà pourquoi le Hezbollah fait ce nouveau pari du vide institutionnel. Démissionnaire, le gouvernement ne peut en effet plus prendre de décisions exécutives. Après le rejet de la nomination de la commission électorale, le scrutin législatif devrait aussi logiquement être reporté. Cela éloigne la menace d'une remise en cause de la position privilégiée du "parti de Dieu" (Hizb-ullah).

Quant à Rifi, qu'il parte ou soit reconduit de facto, il sera fragilisé. Son maintien permettrait au Hezbollah de pointer du doigt son illégitimité. Son départ renforcerait les capacités sécuritaires du Hezbollah, dont l'arsenal et les milices constituent une véritable armée parallèle.

Le Liban est-il davantage fragilisé face au chaos syrien?

Oui et non. Disons que le gouvernement Mikati donnait au moins une apparence de stabilité. Maintenant, il sera inutile de faire semblant, car le Liban est déjà la victime collatérale de la guerre civile syrienne.

A Tripoli, la démission de Mikati, natif de la ville, a été accueillie par d'énièmes affrontements entre sunnites, proches des rebelles syriens, et alaouites, soutiens du régime, qui ont fait plusieurs morts. Depuis 2011, la deuxième ville du pays et la province frontalière du Akkar, plus au nord, servent de base arrière aux opposants à Bachar al-Assad.

Dans la plaine de la Békaa, bastion principal du Hezbollah, le village sunnite d'Ersal, près de la frontière, a été récemment bombardé par l'armée syrienne. Lui aussi se trouve sur les lignes d'approvisionnement des rebelles.

Le Hezbollah intervient lui-même en Syrie, en particulier au sud de Homs, une zone stratégique de la frontière tenue par les rebelles. Par contrecoup, les groupes de l'Armée syrienne libre ont commencé à cibler les positions du Hezbollah côté libanais.

Ce décor étant planté, il faut cependant relativiser les risques d'une nouvelle guerre au Liban.

D'abord parce que le régime syrien ne recherche pas l'explosion de son voisin en soi. Tout comme l'élimination de Wissam al-Hassan, le ciblage des positions rebelles à la frontière montre que Damas désire surtout que ses opposants au pays du Cèdre ne lui mettent pas des bâtons dans les roues.

Ensuite parce qu'une telle explosion augmenterait considérablement les risques de réaction internationale. Or la passivité de l'ONU est aujourd'hui l'un des atouts du régime pour gagner du temps.

Maintenant, les tensions intercommunautaires étant ce qu'elles sont, la situation a peu de chances de s'améliorer à moyen terme. La nature libanaise ayant horreur du vide, de nombreux acteurs pourraient être tentés de le combler.

VOIR AUSSI: L'histoire des relations entre le liban et la Syrie (en anglais)

Political Assassinations

Syria-Lebanon History

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