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Donald Trump n'est pas le prochain leader du «monde libre». Il est un effrayant symbole de quelque chose de beaucoup plus grand.
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Nos réactions sont devenues presque scriptées d'avance, comme si nous étions chaque fois étonnés de constater l'étendue de la haine et de la condescendance qui habitent Donald Trump.

Toutefois, cela ne signifie pas que notre réponse collective n'a pas dramatiquement évoluée au fil du temps. De la surprise et l'amusement vers le dégoût et l'effroi.

Les Québécois n'étant pas les plus grands consommateurs d'actualité politique américaine, il est parfaitement compréhensible que certains d'entre eux aient de la difficulté à saisir l'ampleur du phénomène qui est en train de se produire chez nos voisins. Nous observons la course d'un œil à la fois curieux et inquiet. Un peu comme si nous étions conscients de la dangerosité de la rhétorique de Trump, mais à la fois divertis par son succès retentissant. Cela nous réconforte dans nos préjugés: «Qu'ils sont cons, ces Américains!» Depuis le jour du lancement de sa campagne, la ligne entre le sérieux et le ridicule a été très mince, et il est normal d'être quelque peu perplexe quant à l'attitude à adopter ; le Parti républicain l'est encore plus, croyez-moi.

Autant Donald Trump est sur toutes les lèvres, autant nous n'en parlons pas assez. Dans une course à la présidence de la première puissance mondiale, les mots sont importants. Choisir les bons mots peut faire de vous un visionnaire, comme choisir les mauvais peut causer une chute irréversible. C'est la politique comme on la connaît, comme deux et deux font quatre en mathématiques. Curieusement, force est d'admettre que Trump n'en est pas à sa première crampe de cerveau et que cela ne semble pas l'empêcher de dormir la nuit.

Les mots ne sont pas tout. Certes, dans le cas de Trump, il semble que tout le monde ne s'arrête qu'aux mots. Avec raison! Ils sont si choquants, tellement en contraste avec la cassette habituelle. Comme si la plus grave offense commise par Trump était de briser une forme de décorum, de déférence attendue des candidats à la Maison-Blanche. La réalité est que l'offuscation générale est la fin recherchée, et que les mots n'en sont que le noble moyen. En 2014, des stratèges républicains ont tenté de le convaincre de se présenter comme gouverneur. Il a justifié son refus en disant que, plutôt, il attendrait 2016 et se présenterait comme président. Quand ils lui ont dit que ce serait impossible et qu'il devrait prendre de l'expérience d'abord, il n'était pas de cet avis. Il les a prévenu qu'il allait se présenter, rendre les sondeurs complètement fous, et gagner. Il les a bien averti qu'il allait jouer avec les médias à son avantage, et aujourd'hui, ils y croient.

Trump est peut-être raciste, peut-être populiste, mais certainement narcissique. Il ne croit en aucune idéologie (à moins que le «trumpisme» ne soit une idéologie valide). Or, il endosse parfaitement toutes les étiquettes que les démocrates ont apposées aux républicains sous Obama : ils sont racistes, misogynes et ignorants. Voilà leur message. Vous comprenez donc que pour le Parti démocrate, lorsque Donald Trump reçoit l'appui du KKK et qu'il refuse de le condamner, c'est comme un cadeau tombé du ciel qui leur permet de s'exclamer : «Vous voyez, on vous l'avait dit!». Ainsi, ils se frottent les mains et participent volontiers à un récit alimenté par le sensationnalisme médiatique et l'establishement républicain lui-même : Donald Trump n'a pas le tempérament pour être président des États-Unis d'Amérique.

C'est vrai. Qui pourrait le nier? Pourtant, le ton de Trump est bien la dernière de mes inquiétudes. Ce qui me terrorise vraiment et ce qui devrait terroriser tout le monde, c'est plutôt son manque total et flagrant de substance et la signification de son succès. Lorsqu'il a annoncé sa candidature cet été, personne ne l'a pris au sérieux, et les animateurs de télévision de fin de soirée se mordaient les lèvres d'excitation. C'était une blague, nul besoin de le considérer comme un sujet politique digne de ce nom. Le Huffington Post américain a même relégué au départ sa campagne à sa section «Divertissement», témoignant du mépris médiatique.

Il faut dire que Trump avait déjà fait ce type d'acrobatie surprise à deux autres occasions déjà, en 1988 et en 2000. Au départ, il était donc normal que Donald Trump n'ait aucune position cohérente sur les questions de politiques domestique ou étrangère, puisqu'il était une blague en soi. Une divertissante blague, qui prendrait inévitablement fin une fois que ses positions farfelues seraient connues par le public. Puis, il a procédé à une suite d'annonces de politiques absolument ridicules et fut propulsé tout en haut des sondages nationaux. Visiblement, la mathématique politique a échoué quelque part, mais où?

En constatant l'étendue de l'attrait de Trump, nous avons aussi découvert toute l'ignorance de son électorat. Lorsque le milliardaire affirme qu'il va faire construire un mur sur la frontière du sud et que le Mexique va payer pour, il est sérieux et qu'il le soit n'est pas si grave que ça. Qu'il pense que ce soit possible, c'est une chose. Que toute une tranche de la population américaine partage cette vision déconnectée de la conduite diplomatique et cette incompréhension totale de la réalité politique, cependant, c'est réellement triste.

Une démocratie à la dérive

Comment en arrive-t-on, dans un pays alphabétisé et démocratique, à avoir une population aussi ignorante par rapport à la façon dont sa propre société fonctionne? Croire que l'immigration n'a aucun avantage dans un pays construit sur cette dernière, c'est être ignorant et mal informé. Se laisser vendre l'idée selon laquelle il est logistiquement et constitutionnellement possible de trouver et de déporter 11 millions d'êtres humains, c'est ignorer tout du monde dans lequel on vit.

Alors la question que je me pose est la suivante : est-ce que Trump est le vendeur ou le produit? Qu'est-ce qui est plus nocif : lui ou ses électeurs?

Car le Parti républicain dira bien ce qu'il veut, 45% de son électorat se range maintenant derrière Trump. Il semble donc qu'il soit le vendeur, non le produit. Si ce n'était de lui, le GOP serait toujours gangrené par la même aile ignorante et irrationnelle à sa base. Je ne suis vraiment pas certain que Jeb Bush était destiné à une nomination glorieuse dans un monde sans Donald Trump. Ce n'est pas comme si ce dernier était une anomalie incompréhensible dans le paysage politique : s'il ne vendait pas le produit, les acheteurs le chercheraient simplement ailleurs. Malheureusement, il est un vendeur extraordinaire.

Ainsi, il est inutile pour le Parti républicain de tenter de renier le message de Trump, puisque plusieurs recherchent ce message à tout prix de toute façon. S'engager dans un bras de fer idéologique avec son électorat est bien risqué dans un parti aussi hétérogène que le GOP. Donc la seule solution des rouges est d'attaquer Trump en tant que vendeur, et non en tant que produit. Afin de sauver ce qui restera d'un parti en ruines, ils doivent convaincre leurs électeurs que Trump n'a pas ce qu'il faut pour leur livrer la marchandise. Ils devront mettre l'accent sur ses traits personnels, pas sur ses positions. De toute façon, une argumentation logique sur les enjeux est bien difficile à avoir avec des gens qui nagent dans un tel néant vis-à-vis le monde qui les entoure.

Dans un monde optimiste, il est peut-être encore possible d'exposer Trump comme la farce risible qu'il est avant qu'il ne s'assure d'une avance insurmontable et qu'il ne mène le Parti républicain droit dans un mur (ah, l'ironie). Par contre, cette stratégie reviendrait à cracher sur ses électeurs et à faire une croix sur l'élection présidentielle. Toutefois, nominer Trump revient aussi à faire une croix sur la Maison-Blanche, et les républicains le savent.

La solution plausible et probable à ce casse-tête va probablement comme suit : les républicains ont réalisé leur bourde monumentale lors du Super Tuesday et ont déjà accepté de perdre la présidence. Or, il n'est pas question que le parti, que l'institution, ne tombe avec Trump, et ils tenteront de le désavouer jusqu'à l'élection en espérant faire élire, peut-être, quelques têtes au Sénat et, idéalement, conserver la Chambre des représentants.

Le GOP doit se battre pour sa pérennité et faire campagne en se dissociant de son candidat présidentiel. C'est une première dans l'histoire américaine. Si c'est le cas, Donald Trump pourrait être tenté de se présenter comme indépendant, ce qui priverait aussi le parti de la présidence, mais sauverait son honneur. Dans tous les cas, ce serait un effort politique fantastique, puisque même l'establishement républicain commence à montrer des failles dans son opposition à Trump et que celui-ci commence à récolter des appuis d'élus et d'adversaires.

Somme toute, Donald Trump n'est pas le prochain leader du «monde libre». Nonobstant ceci, il est un effrayant symbole de quelque chose de beaucoup plus grand. Un parti qui tente ouvertement de subjuguer la volonté de ses constituants, c'est une première au États-Unis. Lorsqu'il qualifie sa campagne de mouvement, il a raison. Un mouvement triste et déplorable, mais lourd de conséquences. De la candidature grotesque de cet homme est soulevée une question fort troublante qui mérite d'être considérée : en démocratie, le peuple peut-il avoir tort?

Si nous en sommes vraiment à un point où l'ignorance d'une nation est telle que ses institutions démocratiques tremblent à l'idée de la réalisation du désir du peuple, n'est-ce pas la fin pratique de la démocratie?

«Souvenez-vous que les démocraties ne durent jamais. Elle s'usent, se perdent, puis se tuent. Jamais il n'y a eu de démocratie, jusqu'ici, qui ne s'est pas suicidée.» - John Adams, un des pères fondateurs des États-Unis, 1814.

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