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Les politiciens ne sont pas comme le bon vin: ils perdent de la valeur avec le temps.
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De toutes les figures politiques américaines, Hillary Clinton est certainement l'une des institutions les plus solidement ancrées dans le paysage public des États-Unis. Depuis ses débuts comme bénévole pour la campagne républicaine de Barry Goldwater, Hillary aspire à un avenir politique grandiose et fait tout ce qui est en son pouvoir pour gravir les échelons de Washington. Si certains aboutissent en politique par le fruit du hasard, faisant une courte escale publique dans leur parcours professionnel, Clinton n'est pas de ce nombre.

Élevée dans une famille conservatrice de Chicago, elle fréquente un collège pour femmes avant de graduer de la faculté de droit de Yale. Au cours de ces années, Hillary en apprend considérablement sur ses propres positions politiques et évolue à plusieurs égards. D'abord familiarisée avec les idées conservatrices dans le cadre de son implication dans différentes campagnes, elle se rend à la convention nationale républicaine de 1968, où elle est troublée par l'attitude raciste et populiste de Richard Nixon. C'est à ce moment précis qu'elle choisit de quitter le Parti républicain pour de bon et de faire campagne pour diverses candidatures démocrates. Dans la foulée de l'assassinat de Martin Luther King, elle organise une grève étudiante pacifique de plusieurs jours sur le campus de Yale.

Voilà déjà, en terme de qualifications présidentielles, de quoi se mettre sous la dent. Cependant, Clinton est une force de la nature dans la politique américaine depuis bien trop longtemps pour s'être contentée de ses lauriers de jeunesse. Après avoir échoué l'examen du barreau de Washington, elle choisit de finalement suivre Bill Clinton en Arkansas afin de vivre avec lui, même si cela signifie mettre plusieurs opportunités politiques en veilleuse. Là-bas, elle réussit l'examen du barreau et se joint à une renommée firme d'avocats, où elle fait sa marque par son impressionnant réseau de contacts. Hillary siégeait à l'époque sur le conseil d'administration de Walmart et était spécialisée dans les causes corporatives.

Après avoir refusé à maintes occasions de marier Bill de peur de perdre son identité professionnelle, elle finit par dire «oui» en 1975, en conservant toutefois le nom Rodham. À cette époque, Bill gagne beaucoup moins d'argent que sa femme et est défait à sa première tentative électorale en Arkansas pour la Chambre des représentants. Hillary remet quelque peu en question sa décision de quitter Washington, mais Bill finit par être élu procureur général de l'Arkansas avant d'être propulsé au poste de gouverneur tout de suite après.

Plus on en apprend sur le passé d'Hillary, mieux on comprend son présent. Elle ne fut jamais «la femme de Bill», outre peut-être lors des 8 ans de présidence de ce dernier. Et encore là, plusieurs sources à l'intérieur de la Maison-Blanche arguent que le couple présidentiel n'en était plus vraiment un à la fin du deuxième mandat de Bill, après que le scandale Lewinsky eut été rendu public. Hillary est une femme indépendante, qui a souvent eu deux coups d'avance sur Bill au point de vue intellectuel et professionnel, des aveux de l'ancien président lui-même. Ainsi, à la minute où son mari a retiré sa main de la Bible inaugurale, elle est devenue une interlocutrice incontournable sur plusieurs questions de politique publique, au grand désagrément de la droite conservatrice, qui y voyait un pouvoir démesuré considérant ses fonctions. Hillary propose plusieurs initiatives législatives et devient sans aucun doute la première dame la plus ouvertement impliquée politiquement depuis Eleanor Roosevelt.

Avec l'éclatement des allégations d'écarts sexuels de Bill, les femmes américaines se sont mises à soutenir Hillary en masse, et la solidarité de la population en général catapulta son taux d'approbation jusqu'à 70 pour cent. À son départ de la Maison-Blanche en 2000, le couple est non seulement sans le sou, mais aussi inondé par les dettes légales du combat que Bill a mené contre sa destitution. De nouveaux contrats de livres pour ce dernier vont sauver les meubles.

En 2000, elle se lance dans la course sénatoriale de l'État de New York, qu'elle gagne facilement après l'abandon du maire de la ville. Clinton va quitter le Sénat en 2008 comme l'une des sénatrices les plus respectées des deux côtés de l'allée, ayant été l'instigatrice de plusieurs efforts bipartisans qui lui valent une réputation de modérée prête à faire des compromis avec l'opposition.

Au sommet de sa popularité, Hillary lance sa première campagne présidentielle hautement anticipée et, dans une course extrêmement serrée, est défaite par Barack Obama et sa campagne révolutionnaire «Yes We Can».

Après avoir mené une lutte digne d'une élection générale, elle fut réticente à accepter de servir comme la secrétaire d'État d'Obama, avant de finalement accepter quelques jours plus tard. Clinton connaît un succès mitigé comme secrétaire d'État, étant de garde durant les perturbations du Printemps arabe et ayant soutenu le renversement du régime libyen, décision aujourd'hui sujette à plusieurs questionnements. En 2012, elle déclare ne pas être intéressée par un deuxième mandat dans l'éventualité où Obama serait réélu, et choisit de s'éloigner de la vie publique pour un temps. Pendant ce moment de pause, elle écrit un livre et donne des discours payants dans des institutions financières.

Cette fois-ci, c'est la bonne

Aujourd'hui, Hillary Clinton est l'option inévitable du Parti démocrate pour la nomination à la présidence. Après avoir tout juste échappé l'investiture aux mains de Barack Obama en 2008, elle fit usage de ses 4 années à l'écart des projecteurs pour constituer un impressionnant réseau de support politique et de gros donateurs à travers les racines du Parti démocrate.

La raison pour laquelle Hillary a la capacité de récolter autant de support à travers un spectre politique aussi large réside dans son centrisme légendaire, pour ne pas dire sa précaution maladive vis-à-vis la prise de position. Son problème majeur est le suivant : puisqu'elle est connue du public américain depuis des décennies, il est extraordinairement difficile d'évoluer par rapport à ses anciennes positions, même sous le couvert d'un contexte différent.

Clinton, par exemple, était contre le mariage homosexuel jusqu'à sa course contre Obama, où elle changea son discours sous la pression électoraliste d'une Amérique en plein changement. Symbole vivant du féminisme et de la solidarité féminine au cours de sa tenue comme première dame, Hillary a perdu énormément du lustre historique que portait sa candidature au départ. Les femmes américaines ne cherchent plus une championne comme autrefois, et la discussion nationale sur le sexisme semble avoir transcendé les notions superficielles de la représentation politique. Il ne suffit plus d'être une femme pour être féministe et, quoique les accomplissements d'Hillary parlent d'eux-mêmes, en la matière son discours tourne encore énormément autour de cette romance historique selon laquelle élire une femme serait un phénoménal pas en avant. Puisque les démocrates assument depuis longtemps que Clinton sera présidente un jour où l'autre de toute façon, ils ont cessé il y a bien longtemps de la percevoir comme une réalisation historique à achever. Les électeurs ne préféreront pas Clinton à Sanders pour ce genre de considérations à l'eau de rose, mais bien car ils considèrent qu'elle représente la meilleure chance du parti dans une élection générale.

Ainsi, c'est le jour de la marmotte pour Clinton qui est encore une fois surprise par une primaire beaucoup plus difficile que prévu. En 2008, c'était un sénateur afro-américain d'un seul mandat d'expérience, d'origine kényane et ayant «Hussein» comme deuxième nom. Oh, et il était Noir. Pardon, est-ce que j'ai dit qu'il était Noir ? Cette fois, c'est un juif socialiste de 73 ans qui en fait 91 : Bernie Sanders est un sénateur indépendant du Vermont méconnu du public américain qui était considéré comme un candidat marginal il y a à peine quelques mois. C'est comme si les démocrates essayaient de rendre ça aussi facile que possible pour elle. Pourtant, les sondages nationaux indiquent que Clinton a réussi à laisser glisser une avance de plusieurs dizaines de points dans certains États, et qu'elle est désormais nez à nez avec son adversaire inattendu.

Évidemment, le réalisme de la candidature de Bernie Sanders demeure sujet à débat, et on peut toujours assumer que Clinton s'assurera de la nomination avant la convention de cet été. Cependant, la remontée spectaculaire de Sanders dans les sondages souligne tout de même la nouvelle réalité avec laquelle Hillary Clinton doit composer. D'abord, l'expérience ne vaut plus grand chose aux yeux des électeurs : ils veulent du changement. Ensuite, la constance à travers les années est la nouvelle garante de la profondeur des convictions politiques.

Dernièrement, le Parti démocrate s'est considérablement déplacé vers la gauche lors du deuxième mandat d'Obama, permettant à un candidat comme Bernie Sanders d'avoir l'air légitime et représentatif de la nouvelle génération d'électeurs, aussi ironique que cela puisse paraître à première vue. À travers le filtre de ces nouveaux paramètres électoraux, Clinton n'est plus l'ombre de la puissante institution politique qu'elle fut autrefois. Elle éprouve une difficulté considérable à convaincre les électeurs qu'elle est partie intégrante de cette fameuse révolution au Parti démocrate et qu'elle est en ligne avec la nouvelle trajectoire idéologique de celui-ci.

Or, il faut dire que Clinton n'a pas choisi la meilleure stratégie pour contrer la montée populaire de Sanders. Au lieu de rappeler aux Américains à quel point la présidence est difficile, à quel point l'obstructionnisme républicain est un obstacle insurmontable pour la législation démocrate, à quel point elle est expérimentée et à quel point elle saisit les enjeux, elle a choisi d'émuler la campagne de Sanders afin de se présenter comme une option crédible pour tout le monde, jonglant avec les étiquettes de modérée et de gauchiste. Le réel effet de cette stratégie a été de crédibiliser les idées de Sanders et d'en faire une menace réelle.

Les électeurs qui écoutent Sanders et Clinton livrer sensiblement les mêmes arguments, à quelques nuances près, ont inévitablement commencé à s'en remettre à l'authenticité. Sanders ayant joué cette même cassette populiste dans les 40 dernières années, il ne peut simplement pas être battu à cet égard. Hillary se fiait sur sa base de gros donateurs, ainsi que sur le support de Wall Street afin de sécuriser l'aspect financier de sa campagne. Cependant, c'est plutôt un boulet bien lourd à porter pour Clinton, dans un cycle électoral où la rhétorique anticorruption et où la grogne contre Wall Street est à son apogée. Elle doit constamment se défendre des attaques incessantes de Sanders sur ses liens étroits avec le monde financier, en même temps qu'elle tente de contraster autant que possible son message de réalisme et de progressisme patient avec les lignes ultrapopulaires de révolution politique et le niveau d'offuscation de son adversaire. Sanders est un enragé qui en a assez du système ; Clinton se prétend la reine du système. Le parti, lui, est aussi divisé qu'il l'était en 2008.

Somme toute, Clinton est une présidente clé en main, avec toutes les qualifications et l'expérience nécessaires à l'emploi. Certes, promettre des changements fondamentaux après avoir été une figure dominante de la politique nationale depuis plus de deux décennies peut manquer de crédibilité. Être la candidate présidentielle anticipée d'un parti pendant 10 ans n'est pas facile non plus au niveau des relations publiques. Les politiciens ne sont pas comme le bon vin : ils perdent de la valeur avec le temps.

Néanmoins, je maintiens ma prédiction selon laquelle Hillary Rodham Clinton est la prochaine présidente des États-Unis. À moins que le ciel ne lui tombe sur la tête, son tour est venu.

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