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L'art écologique l'est-il vraiment?

L'art écologique n'est pas nécessairement un art vertueux, ni écologiquement neutre.
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Lorsque le scientifique Ernst Haeckel invente le terme «oekologie» en 1866, cela fait déjà quelques années que des photographes américains ont compris la nécessité d'alerter grâce à leur art des dangers planant sur certains sites exceptionnels.

La plupart des études s'accordent ainsi sur l'année 1861 pour dater les premières pressions exercées sur les décideurs politiques en faveur de la protection de sites naturels à partir d'une première série du photographe Carleton Watkins dans la vallée du Yosemite. Cette campagne d'information photographique - dont l'ironie du sort veut qu'elle ait été initialement commandée par une compagnie aurifère dans un but prospectif - a finalement été utilisée par le politique Thomas Starr King, l'architecte de Central Park Frederick Law Olmsted, et le photographe pour pousser le gouvernement à protéger ces territoires.

La vallée du Yosemite dans l'objectif de Carleton Watkins, en 1861.

Les photographies prises en Californie par Carleton Watkins ont également été exposées à la galerie Goupil à New York fin 1862 et cette exposition semble avoir joué un rôle prépondérant dans l'élaboration et la diffusion d'une pensée conservatoire de la nature, puisque le président Abraham Lincoln en personne l'aurait visitée. Cet ensemble photographique et son application lobbyiste participent des origines de l'environnementalisme et constituent une référence pour un art écologique désireux d'agir sur le terrain. Il convient toutefois de ne pas céder à la tentation récente d'idéaliser les effets de cet usage de la photographie, car la protection des merveilles naturelles américaines relevait davantage à l'époque de la stratégie politicienne que d'une réelle éthique écologique.

Entre coup médiatique et utilité publique

Pourquoi remonter si loin lorsqu'il s'agit d'aborder les pratiques écologiques artistiques ? Pour écarter une suspicion d'opportunisme et démontrer que dès les prémisses de l'écologie politique et de la protection de l'environnement, l'art prit voix au chapitre. L'art écologique actuel - on l'appellera ainsi faute d'une formule unanime - hérite de stratégies et d'ambitions forgées tout au long du XX siècle selon le pouls des politiques environnementales et des catastrophes. Un héritage qui se situe entre les lois de la canonisation iconographique, celles de l'activisme et, enfin, un désir d'utilité sociale et morale.

Si les approches sont presque aussi variées que les cas écologiques qu'elles défendent ou dénoncent, les modes opératoires sont clairement identifiables : illustrer pour informer, agir pour réparer, élaborer des actions symboliques pour sensibiliser, protester, culpabiliser, accuser, documenter, dénoncer. Parmi eux, la photographie environnementale et la pratique de terrain ont été jusqu'ici les plus nombreuses et mémorables. On pense au projet fort réussi de l'artiste américaine Patricia Johanson dans un parc public de Dallas (Leonhardt Lagoon, 1981-1986), qu'elle aura contribué à réhabiliter socialement et écologiquement.

L'art écologique semble tiraillé entre une tendance au coup médiatique et un devoir de répondre d'utilité publique, en plus d'être pertinent sur le plan esthétique. Et c'est d'abord son empreinte écologique qui fait débat. Car il faut s'entendre sur ce point : l'art écologique n'est pas nécessairement un art vertueux, ni écologiquement neutre. Olafur Eliasson et son Ice Watch (2015) - ces fragments d'iceberg ramenés à grands frais d'un fjord du Groenland sur la place du Panthéon de Paris pendant la COP21 - a répondu habilement à cette attaque en fournissant le bilan carbone de son opération «glace», à savoir 30 tonnes de CO, l'équivalent de trente personnes effectuant un vol entre Paris et Nuuk au Groenland. «Faute avouée à moitié pardonnée», dit l'adage.

Un objet figurant dans l'«archive » d'Amy Balkin.

Pour sensibiliser à la fonte des glaces, la montée du niveau des mers et le dérèglement climatique, d'autres artistes, comme Amy Balkin, révèlent un militantisme plus participatif et inclusif. Déjà à l'origine de la création de Public Smog, parc atmosphérique constitué grâce à l'achat (et donc le retrait) du marché des permis d'émission de gaz à effet de serre, elle a depuis mis sur pied A People's Archive of Sinking and Melting. À l'adresse sinkingandmelting.tumblr.com, des citoyens ont déposé leurs trouvailles à son invite : objets récoltés sur la banquise antarctique, à la Nouvelle-Orléans ou encore au Sénégal, à la faveur d'inondations ou de recul des glaces, dans des lieux touchés par la montée des eaux liée au changement climatique. C'est une archive ouverte et citoyenne qui se consulte, s'expose, grandit au fil des mois, l'index d'une faillite lente et inexorable, une archive humaine.

S'adresser aux spectateurs avant tout

Le philosophe américain Timothy Morton le soulignait dès 2009 : l'écologie est de moins en moins affaire de nature. La finalité de l'art écologique ne semble pas déroger à cette règle et il s'agit ici, avant toute autre chose, de négocier avec les spectateurs (par ailleurs citoyens). Qu'attendent ces derniers de l'art dans le domaine de l'écologie ? Souhaitent-ils une vision non conventionnelle des problèmes, des solutions transdisciplinaires et astucieuses ? Préfèreront-ils des commotions visuelles comme en produit sans fin l'ecoporn, cette photographie orchestrant une horreur écologique si dramatiquement sublime ? Veulent-ils des symboles forts et rapides, même si ceux-ci constituent parfois une manière de s'insurger ou de se rallier à la Facebook, par un pouce dressé en signe d'adhésion de principe et d'empathie de canapé ?

Eliot Porter, « Intimate Landscapes ».

L'activisme superficiel des réseaux sociaux de notre époque ressemble à s'y méprendre à celui pratiqué dans les années 1960 par une certaine bourgeoisie américaine, finançant l'environnementalisme du Sierra Club par l'achat de coffee table books, ces désormais célèbres portfolios qui compilaient des clichés réalisés par les plus grands noms de la photographie de nature américaine, d'Ansel Adams à Eliot Porter. Leur efficacité aura été bien relative, car jamais ces livres n'ont réussi à empêcher la construction d'un barrage ou la destruction d'un site naturel.

L'activisme artistique est cependant loin d'avoir capitulé, et la COP21 a constitué à cet égard un fabuleux laboratoire d'incubation qu'il conviendra d'analyser. À l'ère de l'Anthropocène, l'art écologique, sur la brèche depuis le XIX siècle, mérite plus que jamais toute notre attention.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation, puis reproduit sur le Huffington Post France.

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