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Affaire Omar Khadr: une grande faille et la dérive

Nous n’enlevons rien aux soldats canadiens en rendant enfin justice et réparation à Omar Khadr.
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Il semble que nous ne sommes pas tant attachés à un État de droit.
Dan Riedlhuber / Reuters
Il semble que nous ne sommes pas tant attachés à un État de droit.

Je ne souhaite pas évoquer ici l'énorme iceberg qui vient de se détacher ni les causes et les conséquences de cette dérive. Mais j'ai plusieurs fois pensé à cette métaphore pour ce qui touche le dossier Omar Khadr.

La grande faille

Bien entendu, j'accepte les débats portant sur le montant du dédommagement qui lui a été accordé. Mais je suis encore saisie devant le flot d'injures, de faussetés, d'amalgames, de jugements sans fondements, de comparaisons boiteuses, qui lui sont adressés ou qui conspuent la décision du gouvernement de présenter des excuses et une compensation pour les nombreuses années au cours desquelles tant les actions que l'inaction du Canada ont contribué aux graves violations de ses droits subies dès 2002. Avec le temps, le dévoilement de ce qu'est Guantanamo, le retour au Canada, trois jugements de la Cour suprême du Canada, sa libération, les dossiers précédents (Omar Khadr est la 6e personne à qui sont offerts excuses et compensation de la part du Canada) et un autre jugement récent en sa faveur qui rejette le gel des avoirs, j'espérais qu'un certain apprentissage collectif aurait fait avancer notre propre engagement sur l'importance des droits pour tous, sans exception. La juge cette semaine a cru bon de préciser qu'il n'y avait pas de loi pour Omar Khadr et d'autres pour les Canadiens.

Voilà la faille. Il semble que nous ne sommes pas tant attachés à un État de droit. Nous nous faisons juges et selon la situation, le nom, les circonstances, nous clamons que :

  • Oui nous pouvons torturer et détenir arbitrairement, pendant des années?
  • Oui un procès où les droits à une défense sont réduits est acceptable?
  • Oui de l'information obtenue sous la torture et les mauvais traitements est recevable?
  • Oui nous pouvons accuser de crime de guerre une personne, et même un mineur, d'avoir tué un soldat américain lors d'un conflit, et nous en ferons un exemple unique d'ailleurs?
  • Oui nous savons qu'il l'a tué, car il a plaidé coupable?
  • Oui les commissions militaires de Guantanamo et leurs jugements sont parfaitement recevables au Canada?
  • Oui il est certainement encore terroriste et sa famille aussi?
  • Et oui pour une approche démesurée et non supervisée sur la sécurité nationale qui fait fi de la protection universelle des droits humains?

Non. Non. Non. Tout cela n'est pas acceptable! Ni pour Omar Khadr ni pour chacun d'entre nous. Ni ici ni ailleurs. Que dira-t-on sur le prochain dossier selon son nom, son histoire, sa popularité – ou impopularité –. « Réfléchir est difficile, alors la plupart se font juges », disait Carl Gustav Jung.

Le Canada a largement failli à protéger les droits d'un Canadien mineur.

Le Canada a largement failli à protéger les droits d'un Canadien mineur. Amnistie internationale a fait part de ses inquiétudes au gouvernement canadien dès octobre 2002 alors qu'Omar Khadr était toujours détenu par les forces armées américaines à la base aérienne de Bagram. Pendant tout le temps de détention d'Omar Khadr à Guantanamo, aux plus hauts échelons politiques, le Gouvernement précédent a refusé de prendre la défense des droits d'un citoyen canadien et, pendant des années, n'a offert aux médias, au Parlement et aux tribunaux que des propos incendiaires plutôt que de faire de véritables efforts pour lui venir en aide. Et ces propos incendiaires continuent.

Il était temps que le Canada répare et envoie un signe fort pour que nous retrouvions notre sens d'un État de droit qui clame :

  • Non à la torture et aux mauvais traitements, en toute circonstance
  • Non aux détentions arbitraires
  • Non aux procès inéquitables dans des instances de justice qui ne respectent pas les normes internationales et canadiennes
  • Non aux doubles standards, à la discrimination
  • Non aux enfants soldats, quel que soit le nom, le pays et l'âge
  • Non à l'impunité bien trop courante quand il s'agit de violations de droits et de sécurité nationale
  • Non à une approche débridée et non contrôlée des questions de sécurité nationale.

La dérive

Pour chacun d'entre nous, notre accès aux droits, à la justice, à la vérité et à la réparation, à la réhabilitation, surtout des personnes mineures, de façon équitable, sans détention arbitraire et sans torture ni mauvais traitements, c'est la base d'un État de droit. Cette dérive vers de la justice à la carte m'inquiète.

Nous n'enlevons rien aux soldats canadiens en rendant enfin justice et réparation à Omar Khadr. Nous ne faisons que réparer une faille béante dans notre système de justice afin de ne pas nous laisser dériver dangereusement et irrémédiablement vers le règne de l'arbitraire, de la peur et des discriminations.

UE

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