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Réconciliation turco israélienne: isolée, la Turquie aspire à réparer ses relations avec Israël mais le chemin est semé d'embûches

Il est souvent reproché à l'idéologie islamo conservatrice d'Erdoğan d'être la seule et unique responsable de la détérioration des relations turco-israélienne. Une telle assertion nous parait exagérée, mais non dénuée de sens.
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Autrefois liés par un accord stratégique, reflet de leur bonne entente, la Turquie et Israël ont brutalement rompu leurs relations en 2010 lorsque l'armée israélienne a pris d'assaut un convoi humanitaire turc voulant briser le blocus de la bande de Gaza pour venir en aide aux Palestiniens. Depuis cet incident, plusieurs intermédiations, notamment celle de Barack Obama en 2013, ont tenté de réconcilier ces deux pays alliés importants de l'Amérique dans la Méditerranée, mais sans résultats. Or, depuis la mi-décembre, un nouveau climat bilatéral s'instaure du fait de deux éléments de la conjoncture régionale qui leur sont mutuellement bénéfiques. D'une part, la découverte par Israël d'importants gisements de gaz vont sans doute amener Tel-Aviv et Ankara à faire preuve de pragmatisme économique et stratégique pour collaborer à nouveau. Mais d'autre part, le contexte régional semble imposer aux deux pays un certain rapprochement. Toutefois, le chemin de la réconciliation semble semé d'embûches.

La Turquie fut l'un des premiers pays musulmans à reconnaître l'État d'Israël et à entretenir avec lui d'excellentes relations au point de développer des décennies durant de grands programmes de coopération dans tous les domaines, économiques, politiques, et même militaires et stratégiques. Les nombreuses guerres entre Arabes et Israéliens entre 1948 et 2008 n'ont pratiquement pas perturbé les relations avec la Turquie, avec laquelle Israël partage un même langage, un pro-occidentalisme prononcé. En Turquie, les élites kémalistes qui ont dirigé le pays jusqu'à l'ascension au pouvoir de l'AKP considéraient leurs voisins arabes avec suspicion. Il leur était reproché depuis la fin l'Empire ottoman d'avoir manqué de loyauté envers les Turcs. Déjà, le Refah Partisi, prédécesseur de l'AKP et de source idéologique autrement plus islamiste, et son leader Necmettin Erbakan, avaient eux aussi, lors de leur bref passage au pouvoir en 1997, endossé une coopération militaire poussée avec Israël. Quand les islamo-conservateurs de l'AKP ont accédé au pouvoir en 2002, ils se sont inscrits les premières années dans la continuité d'une bonne entente avec Israël. Toutefois, au fur et à mesure de leur ancrage dans les arcanes du pouvoir, les néoconservateurs de l'AKP mais surtout Erdoğan, ont revu leur conception de la place de la Turquie sur la scène régionale, et plus spécifiquement dans l'équation israélo-palestinienne.

La progressive islamisation de la pratique du pouvoir par l'AKP tant au plan national que régional, n'est pas forcément le principal motif de détérioration des relations entre la Turquie et Israël. Certes la vision de ces élites anatoliennes conservatrices et sensibles à la cause islamique et palestinienne n'a pas été sans influence sur la rupture des relations entre Ankara et Tel-Aviv. Toutefois, ce sont surtout les réussites économiques, politiques et géopolitiques de la Turquie qui l'ont poussée à adopter une ligne plus critique vis-à-vis d'Israël. À partir de 2007, début du second mandat au pouvoir de l'AKP, les performances économiques turques l'auréolent d'un prestige inédit partout au Moyen-Orient et surtout chez les Arabes, confortée par les premiers printemps arabes. La Turquie rêve de grandeur, et l'AKP est tentée de se servir de la cause palestinienne pour s'imposer comme un acteur régional de premier ordre. Au-delà de la sincère sympathie pour la cause palestinienne, les considérations de stratégie politique régionale s'avèrent plus déterminantes dans la rupture entre Turcs et Israéliens. Erdoğan, en janvier 2009 au sommet de Davos critique publiquement la politique meurtrière israélienne à Gaza, puis, quand IHH, une ONG turque proche du pouvoir, tente de briser le blocus de la bande de Gaza en mai 2010, la réaction israélienne et la répression dans le sang de cette initiative humanitaire consomment la rupture. La Turquie et Erdoğan sont alors très populaires dans le monde arabe, mais cette embellie est de courte vue, car l'échec des printemps arabes et leurs conséquences désastreuses pour la Turquie la forcent aujourd'hui à faire amende honorable et à tenter de renouer avec l'Etat d'Israël.

Au lendemain de l'incident majeur de Mavi Marmara en mai 2010 où la Turquie a rompu avec Israël, Ankara avait formulé trois conditions pour renouer avec Tel-Aviv : que la partie israélienne présente des excuses officielles à la Turquie ; que les familles des victimes de l'assaut soient indemnisées ; et que le blocus de la bande de Gaza par l'armée israélienne soit levé. Plus de cinq ans après, une seule de ces trois conditions a été satisfaite. Benjamin Netanyahou, poussé par le président Obama lors de sa vite en Israël en mars 2013, a décroché son téléphone pour s'entretenir avec Erdoğan et s'excuser du bout des lèvres. La deuxième condition, le paiement d'indemnités par Israël pour les familles des victimes en échange de l'abandon par la Turquie de ses poursuites pénales contre les soldats israéliens impliqués dans l'assaut n'est pas la plus difficile à surmonter. Un accord avait été trouvé en 2014, mais des questions de détails demeurent et retardent sa mise en pratique. La troisième et la plus sensible des conditions pour Israël est la levée, inconcevable pour les élites dirigeantes israéliennes, du blocus de Gaza. Le refus catégorique de le lever bloque encore les négociations de réconciliation avec les Turcs. Un compromis sur cette troisième condition est cependant envisagé pour permettre la normalisation des relations entre Ankara et Tel-Aviv. Pourquoi et par quel biais ce rapprochement entre les deux est-il en train de s'effectuer ?

Sans ouvertement le reconnaître, les deux parties ont souffert de la rupture, qui ne fut pas totale d'ailleurs. Les échanges économiques ont vu leur volume s'accroître durant cette période, comme le montrent les données statistiques turques officielles. Ce sont donc des considérations autres qu'économiques qui poussent les deux parties à se rapprocher. En première ligne, figure le conflit syrien et son imprévisible évolution. Isolée par les choix qu'elle a faits vis-à-vis du régime de Damas et de la rébellion, la Turquie est pour le moins inquiète de voir que sa stratégie en Syrie est mise en échec par l'axe Iran, Russie, PKK et Hezbollah. De même, le retour en force de l'Iran dans la région, qui n'est plus le paria honni de la communauté internationale, joue en faveur du rapprochement de la Turquie avec Israël. Par ailleurs, la Turquie s'est également fâchée avec la Russie. En effet, depuis que l'aviation turque a abattu un avion russe en violation de son espace aérien, Poutine ne décolère pas et inflige des sanctions économiques à la Turquie, alors même que le renforcement de la présence militaire russe en Syrie pèse négativement sur les intérêts de la Turquie et ne fait qu'accroître les craintes d'Ankara de se voir davantage marginalisée dans la région . Enfin et surtout, les menaces russes de suspendre la livraison de gaz à la Turquie obligent la Turquie à se tourner vers Tel-Aviv au moment où Israël découvre d'importants gisements gaziers en Méditerranée .

En effet, il semblerait qu'Israéliens, Égyptiens et Chypriotes grecs aient découvert de très riches gisements de gaz en Méditerranée, et que tous se soient engagés dans une course de vitesse pour être le premier à mettre en valeur son exploitation pour en tirer le maximum de bénéfice. En d'autres termes, Israël a intérêt à agir vite s'il ne veut pas être devancé par les autres. Or, dans ce domaine, la Turquie devient un partenaire précieux. En effet, outre le grand marché que constitue l'économie turque forte consommatrice de gaz, ses gazoducs permettraient aussi au gaz israélien d'atteindre le marché européen. Même si la voie turque n'est pas la seule option qui s'offre aux Israéliens, c'est sans doute la plus évidente et celle qui pousse Ankara et Tel-Aviv à mettre leurs différends sous le boisseau.

En Turquie, le désir de renouer avec Israël s'exprime publiquement. Ainsi, loin d'être anodin, pour la première fois dans l'histoire turque et ottomane, alors que les Juifs sont présents dans le pays depuis leur expulsion d'Espagne en 1492, les cérémonies de Hanoukka ont été organisées de façon ostentatoire dans le quartier d'Ortaköy à Istanbul. Mais la réparation des relations et le retour à la situation antérieure ne seront pas aussi faciles. Car si la Turquie veut retrouver des relations diplomatiques normales avec Israël, elle doit satisfaire à une exigence israélienne de taille, qui est de renoncer à tout soutien logistique au Hamas. Or, le pouvoir d'Erdoğan ne semble pas prêt à y renoncer. Un militant du Hamas, Saleh al Arouri, était encore récemment en Turquie et son leader, Khaled Meshaal était encore reçu par le président turc le 18 décembre dernier. Quand bien même Ankara clarifierait ses relations avec le Hamas, cela ne suffirait pas à lever la méfiance des dirigeants israéliens vis-à-vis d'Erdoğan. Quant à la levée du blocus de Gaza voulue par la Turquie, il n'est pas certain que les concessions israéliennes, si concessions il y a, soient suffisantes pour Ankara. Tel-Aviv refuse de lever le blocus, au mieux serait-il prêt à l'alléger pour permettre à l'aide turque de passer sous contrôle israélien pour la reconstruction et l'amélioration des conditions de vie des Gazaouis. Évoqué, cet allègement du blocus n'est pas même encore à l'étude et risque de prendre du temps. Or, plus le compromis tarde, plus il est susceptible de voler en éclats en cas d'une nouvelle flambée de violence à Gaza ou en Cisjordanie.

Il est souvent reproché à l'idéologie islamo conservatrice d'Erdoğan d'être la seule et unique responsable de la détérioration des relations turco-israélienne. Une telle assertion nous parait exagérée, mais non dénuée de sens. À vrai dire, il faudrait inverser le raisonnement et soutenir que la longue période durant laquelle les relations entre la Turquie et Israël étaient bonnes était aussi une période où en Turquie la conduite de la politique étrangère relevait du seul ressort d'élites militaro kémalistes occidentalisées dépourvues de toute légitimité démocratique. Curieusement, au fur et à mesure qu'il y a eu adéquation entre les élites gouvernantes et la base électorale issue de l'Anatolie conservatrice, la politique étrangère turque a pris une tournure moins pro-occidentale et moins pro-israélienne, au profit d'une ligne davantage pro musulmane. Aussi, pour cette raison, il n'est pas certain qu'Erdoğan, aux prises avec nombre de difficultés dans la région, puisse vouloir, ou pouvoir, ramener les relations turco-israéliennes à leur niveau d'antan, quand Turcs et Israéliens partageaient leurs renseignements sur la situation politique du Moyen-Orient.

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