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L'écologisme est-il un terrorisme?

Au lendemain d'attentats qui ont engendré une vive émotion en France, et alors que s'ouvraient les négociations de la COP21, il s'avère que les mesures spéciales permises par l'instauration de l'état d'urgence ont été à plusieurs reprises utilisées à l'encontre d'activistes environnementaux.
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On considérerait probablement avec un certain scepticisme l'idée de comparer le nombre de victimes du terrorisme avec celui des victimes de la pollution. De même, il semblerait problématique d'assimiler activisme environnemental et terrorisme.

Pourtant, au lendemain d'attentats qui ont engendré une vive émotion en France, et alors que s'ouvraient les négociations de la COP21, il s'avère que les mesures spéciales permises par l'instauration de l'état d'urgence ont été à plusieurs reprises utilisées à l'encontre d'activistes environnementaux. Vingt-six militants de différents réseaux répartis dans toute la France ont ainsi été assignés à résidence pour toute la durée de la COP21. Se pose alors la question d'un amalgame, ou du moins d'un glissement sémantique pour le moins pernicieux, entre écologisme et terrorisme.

De la non-violence au terrorisme

L'activisme environnemental, entendu comme mouvement de contestation social, fait face à de multiples formes de répression, qu'elle soit d'origine politique, judiciaire ou policière. Alors même que ces mobilisations se tournent très souvent vers des formes d'actions non-violentes - et souvent ludiques - inspirées de la désobéissance civile lorsque les moyens de contestations traditionnels (manifestations, recours aux institutions judiciaires ou représentatives) s'avèrent insuffisants.

Ces formes de contestation, dans la mesure où elles consistent à violer sciemment la loi, appellent presque mécaniquement une réponse répressive. En témoigne au milieu du XIXème siècle l'expérience fondatrice de Henry David Thoreau qui, pour avoir refusé de payer ses impôts au motif qu'ils serviraient à alimenter l'esclavage et l'effort de guerre contre le Mexique, fut contraint à passer une nuit en prison aux États-Unis.

L'intensité de la répression varie considérablement d'un pays à l'autre. Et dans certains cas, les militants écologistes se retrouvent même considérés comme bien plus que de simples délinquants de droit commun.

Aux États-Unis, les mouvements de contestation environnementale ont ainsi été progressivement assimilés à des groupements terroristes. Alors que s'amorçait la «guerre totale contre le terrorisme» au lendemain du 11 septembre, les services fédéraux de renseignement ont commencé à cibler les formes les plus radicales d'activisme environnemental, à l'image - par exemple - de_Earth First et les groupes de défense de la condition animale. Des lois spéciales ont été édictées - et des institutions pénitentiaires spécifiques désignées -, et l' «éco-terrorisme» a été officiellement qualifié comme étant la «principale menace terroriste domestique».

Cette méthode de répression a permis des condamnations extrêmement lourdes qui se sont accompagnées de violations manifestes des droits fondamentaux. Ainsi, Jeff Luers a été condamné en 2002 à 22 ans et huit mois de prison pour l'incendie volontaire de trois camions, avant de voir sa peine réduite à 10 ans en appel. Depuis, cette stratégie s'est diffusée de manière sporadique dans d'autre pays comme la Canada, l'Équateur, le Pérou, ou encore l'Italie dans le contexte de l'opposition au TGV Lyon-Turin.

Une exception française ?

La France, qui compte une longue histoire de lutte contre la terreur, n'avait pour le moment que très marginalement utilisé les dispositifs des lois antiterroristes contre les mouvements sociaux. La seule tentative dans ce sens, l'affaire de Tarnac, s'est conclue par un échec retentissant. La juge d'instruction chargée de l'enquête a en effet estimé, en août dernier, que les trois prévenus poursuivis pour tentative de sabotage sur une ligne TGV, ne pouvaient être jugés pour «participation à un groupement terroriste».

Selon Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, cette réticence de l'institution judiciaire à élargir le champ d'application des lois antiterroristes tient également à ce que «l'arsenal répressif permet déjà beaucoup de choses aux enquêteurs et aux juges. [...] Avec la qualification de «bande organisée», [on peut] utiliser des pouvoirs de police spéciaux, des allongements de la durée de la garde à vue. Cela ne rend pas nécessaire d'en passer par la catégorie du terrorisme.» Néanmoins, rien n'empêche, selon la magistrate, que l'arsenal antiterroriste finisse à terme par être utilisé contre les mouvements sociaux.

Déjà, l'adoption en juillet 2015 de la loi relative au renseignement, annoncée à la suite des attentats contre «Charlie Hebdo», avait fait naître la crainte d'une surveillance généralisée des mouvements sociaux. Une crainte notamment alimentée par les déclarations de Manuel Valls en juillet 2013: alors ministre de l'Intérieur, celui-ci avait en effet mis en garde contre les menaces «issues de certains mouvements contestataires animalistes, environnementalistes, anti-nucléaires», à l'occasion d'une allocution sur la réforme du renseignement.

Mais le spectre de l'amalgame entre activisme environnemental et terrorisme semble avoir pris plus de consistance dans le contexte actuel d'état d'urgence avec le recours, à l'encontre d'activistes environnementaux, de mesures spéciales, destinées à l'origine à lutter contre le terrorisme islamiste.

Une assimilation de circonstance?

La loi sur l'état d'urgence, parce qu'elle entraîne un transfert de pouvoirs judiciaires à l'administration, ouvre la voie à de telles dérives. Et la violente répression de la manifestation non-autorisée du 29 novembre, place de la République à Paris, fait étrangement écho aux terribles événements du métro Charonne en 1962. Les craintes des dérives qui conduisent à l'amalgame entre activisme environnemental et terrorisme se trouvent dès lors fondées. Reste à savoir si la situation actuelle doit être comprise comme exceptionnelle, ou si elle révèle une tendance appelée à survivre au choc traumatique des attentats du 13 novembre.

Quoi qu'il en soit, il demeure que l'application à des formes non-violentes de contestations sociales de mesures destinées à lutter contre des activités terroristes est profondément contestable. Il nous appartient donc de veiller à ce que l'exceptionnel ne se pérennise pas - un risque précisément identifié par Giorgio Agemben dans son ouvrage État d'exception -, et à ce que la réponse pénale relative à l'activisme environnemental, nonobstant sa légitimité et son opportunité, conserve des proportions raisonnables et des moyens appropriés.

La signification d'un glissement sémantique

Au-delà de cette mise en garde, il apparaît nécessaire de tenter de saisir ce que révèle en creux cette assimilation de l'activisme environnemental au terrorisme. La guerre contre le terrorisme, constamment réactivée, se caractérise en premier lieu par son introuvable définition. Certains y voient ainsi un flou problématique, voire une ineptie ; mais pour d'autres, il s'agit d'abord d'une arme rhétorique providentielle permettant à un État de diaboliser et d' «hypercriminaliser» le groupe ou l'idéologie désignée comme terroriste.

Cette extension du domaine de la lutte contre le terrorisme à l'activisme environnemental fait ainsi apparaître le caractère profondément subversif de ce mouvement. Car celui-ci s'oppose, le plus souvent, à des intérêts économiques particulièrement puissants - à l'image du secteur énergétique, extractif, pharmaceutique ou encore agro-alimentaire. Mais il s'agit probablement là d'un bien maigre motif de consolation au regard des risques considérables que représente un tel amalgame pour les acteurs de la lutte environnementale.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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