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Le temps, ça se prend, écoutez-vous

Je n'ai jamais eu de vocation et n'ai jamais vraiment fait de choix d'orientation, si l'on retient que tout choix est un renoncement, et je ne voulais pas renoncer à quoi que ce soit.
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Je n'ai jamais eu de vocation et n'ai jamais vraiment fait de choix d'orientation, si l'on retient que tout choix est un renoncement, et je ne voulais pas renoncer à quoi que ce soit.

"C'est bon, tu es sur orbite" : c'est ce que m'a dit mon père le jour où j'ai appris que j'intégrais un programme de sciences politiques. L'orbite, entendre la voie tracée vers une carrière intellectuellement riche, bien payée, l'apparat des intitulés, dans le fond, l'absence de risque. J'ai essayé, et j'ai été la première à ne pas comprendre pourquoi je ne m'y faisais pas et pourquoi j'en partais, sans plan B et alors que je n'avais même pas à me plaindre d'un supérieur insupportable ou d'une équipe difficile à vivre. Caprice d'adolescente attardée, peut-être, je me pose parfois encore la question. L'argent que je n'avais pas eu le temps de dépenser pendant mon début de carrière chronophage me permettrait d'y réfléchir quelque temps avant de trouver ma voie, me disais-je.

Plus de deux ans plus tard, je n'ai pas "trouvé ma voie". J'ai toutefois innové sur un point, puisque désormais, des voies, j'en élimine au fur et à mesure, et j'ai monté ma boîte. Je teste, j'expérimente, puis je conserve ou non.

"La voie", je n'y crois plus du tout. Pas davantage qu'en la belle carrière, puisqu'aucune à ma connaissance n'est linéaire : on perd un poste, par choix ou non, on en prend un autre, entre temps on se met à l'aquarelle ou au tricot et on part en vacances, et c'est reparti. On sous-estime beaucoup, avant le saut, à quel point il suffisait simplement de prendre une décision.

Il y a des contraintes, notamment financières, parfois de l'isolement, des périodes de doutes et d'incertitudes. Y en a-t-il vraiment moins dans ce qui est socialement reconnu comme une carrière exemplaire, ou sont-elles simplement différentes ?

Quand j'ai quitté le "joli poste", beaucoup m'ont dit que je faisais une grave erreur, certains allaient jusqu'à "l'erreur de ma vie", que je ne pourrais plus jamais être engagée dans le même type de structure, que j'aurais du mal à me "réintégrer" - l'ironie étant que ces remarques venaient souvent de potentiels employeurs, souhaitant m'embaucher.

Quand j'ai commencé à annoncer que je montais ma boîte et à en expliquer le concept, je lisais les regards désolés. "Mais quand est-ce que tu vas pouvoir te payer ?". "Et c'est rentable ?". "Comment tu vas faire ?". À toutes ces questions, je n'avais aucune réponse, et c'est précisément, probablement, ce qui me plaisait et ce qui me plait encore.

Tout se rattrape, tout permet d'apprendre et d'avancer, tout a une solution. Il n'y a pas de moule. L'essentiel c'est d'oser, et de s'y mettre. L'échec, cela n'existe pas.

Côté entrepreneuriat, au pire, que se passera-t-il ? Dès lors qu'on est un adulte un peu responsable, on tient ses comptes, on met son ego de côté, on prend des petits boulots pour combler les manques et on ne demande rien à personne. Le reste du temps, on fait et on ne se contente pas d'annoncer, de dire. On n'a plus vraiment le luxe de se contenter de dire, de toutes façons, en particulier quand on est en couple, encore plus avec des enfants.

Est-ce que c'est facile au quotidien? Non.

Est-ce qu'on repense parfois au confort d'un salaire, de congés payés et de la possibilité de se reposer sur les décisions d'un autre en n'ayant qu'à les exécuter, parfois les critiquer ? Evidemment.

Est-ce qu'on parvient à expliquer ses choix à expliquer à ses amis, ses parents ? Pas toujours.

N'est-on jamais las de compter chaque euro pour son loyer, ses vêtements, ses sorties, ses loisirs ? Si, bien sûr.

Est-ce qu'on se demande ce qu'on est allé faire dans cette galère ? Souvent.

Est-ce qu'on est toujours doué dans sa nouvelle aventure ? Pas du tout, il suffit de savoir le reconnaître.

Mais a-t-on envie de se reposer sur les décisions d'un autre, plutôt que prendre le risque des siennes ? Non.

A-t-on peur du jour où l'on devra, après avoir renoncé, regagner le bon poste et la carrière exemplaire, voire ne pas y parvenir et tout simplement prendre ce qu'on pourra prendre? Quotidiennement.

A-t-on envie de cette galère ? Tant que c'est le cas, on continue.

Que reste-t-il ? De l'humilité face aux multiples erreurs, petites et grandes, qu'il faut apprendre à corriger chaque jour, et consécutivement le sentiment de s'améliorer et de grandir chaque jour. De l'audace pour se sortir des multiples obstacles sur la route avec un minimum de panache, parce que dans le fond, c'est un jeu. Du travail, énormément de travail, et de l'envie, essentiellement, car les deux sont nécessaires lorsqu'on se fixe soi-même ses délais, ses missions, ses horaires, ses temps de repos.

Certains feront le tour du monde, d'autres se lanceront enfin dans un rêve d'enfant (écrire un roman, ouvrir une boulangerie, monter un groupe, partir vivre sur une île, qui sait, allez-y, qu'attendez-vous ?), d'autres divorceront, d'autres encore feront des enfants ... parfois tout à la fois. Il n'est jamais trop tôt ni trop tard, tant qu'on ose.

Et oui, pour tout un tas de grandes et petites décisions, si on vous écoute, ce n'est jamais le moment, et vous n'avez pas le temps.

Le temps, ça se prend. Ecoutez-vous.

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