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Afrique: d'où viendra un autre Mulroney?

En lisant (), on saisit mieux le rôle particulièrement important que l'homme politique a joué dans la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud.
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En lisant la biographie de l'ancien premier ministre Brian Mulroney sous la plume du journaliste Guy Gendron (« Brian Mulroney, L'homme des beaux risques », Éditions Québec Amérique, 2014), on saisit mieux le rôle particulièrement important que l'homme politique a joué dans la lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud. Ce régime abominable de ségrégation raciale avait jusque-là résisté aux pressions internationales. C'est le Sommet du Commonwealth de septembre 1985, à Nassau aux Bahamas, qui marque l'entrée en scène du premier ministre Mulroney et qui constitue un épisode décisif dans le démantèlement de l'apartheid.

L'auteur décrit le combat acharné de l'ancien premier ministre en des termes non équivoques: « Devant tous les chefs de gouvernement, il plaide avec vigueur en faveur d'un front commun pour forcer la main au régime sud-africain, réclamer la reconnaissance du Congrès national africain (ANC), le parti de Nelson Mandela, et exiger sa libération de prison. (...) Dans les deux années qui vont suivre, la bataille de Brian Mulroney contre l'apartheid conduira à des confrontations franchement hostiles contre l'apartheid avec Margaret Thatcher. Elles connaissent leur apogée en octobre 1987, lorsque le Canada est l'hôte du Sommet du Commonwealth, à Vancouver. Mme Thatcher s'y présente accompagnée d'une humeur massacrante, dénonçant l'hypocrisie du Canada, qualifiant les sanctions économiques de sottises ».

L'ambassadeur Stephen Lewis, qui a assisté à la scène, le confirme : «J'étais derrière lui lorsqu'il a lancé contre Margaret Thatcher une attaque comme on ne l'avait jamais reçue dans sa vie politique. C'était quelque chose! Renversant. Il lui a dit : "Vous êtes insupportable, vous êtes en train de détruire le Commonwealth avec votre position immorale sur l'Afrique du Sud". Les leaders africains avaient la bouche grande ouverte, ils n'avaient jamais entendu un Blanc parler de cette façon à Margaret Thatcher. Je ne l'oublierai jamais. C'était un moment réjouissant. Et franchement, ça a été l'un des moments décisifs dans cette lutte contre l'apartheid ».

Un mot très court sur le travail herculéen qu'a dû affronter M. Mulroney dans cette bataille, en faisant appel à la fibre anticommuniste du président Ronald Reagan : « (...) Margaret Thatcher avait mis Ronald Reagan de son côté en le convainquant que Nelson Mandela était un communiste, un argument auquel il se montrait toujours sensible. Lorsque Reagan tenta de le servir à son tour à Brian Mulroney, celui-ci sursauta : "Mandela n'est pas plus communiste que toi et moi. (...) Si l'occident tout entier se désintéresse du sort misérable des Noirs sud-africains - "ces enfants de Dieu", comme il commence à les qualifier -, peut-être alors vont-ils conclure que le communisme est leur meilleur allié". »

Plus tard, l'ancien premier ministre admettra que, pour lui, « l'idée de tolérer quelque chose qui était inacceptable, c'était inacceptable ».

Mais quel parallèle faut-il dresser entre le paysage politique de l'Afrique d'alors et la situation que traverse ce continent aujourd'hui? Prenons l'exemple du Rwanda.

L'Afrique du Sud et le Rwanda présentent de similaires réalités historiques. Bien sûr, la comparaison peut sembler boiteuse, car le Rwanda a connu un crime gravissime : le génocide. N'empêche, les deux pays ont traversé une période sombre de leur Histoire marquée par une gouvernance oppressive, où la minorité dominante a exercé un pouvoir exclusif et sans partage sur la majorité. En Afrique du Sud, alors que la minorité blanche constitue 14% de la population, elle tenait les rênes du pouvoir; au Rwanda, 14% des effectifs de la population sont des Tutsi, contre 1% de Twa et 85% de Hutu. Pourtant, ce sont les Tutsi qui ont gouverné le pays d'une main de fer durant des siècles, avant l'avènement de la Révolution sociale de 1959.

L'Afrique du Sud a connu une période de révoltes sanglantes dans les années 1980, alors que le Rwanda a eu son lot de violence en 1959, au début des années 1970 et depuis les années 1990. Alors qu'un génocide a été commis au Rwanda en 1994, l'Afrique du Sud sortait, à la même période, des ténèbres de l'apartheid. Enfin, on notera que ces deux pays ont eu recours aux mécanismes alternatifs de justice transitionnelle, inspirés, pourrait-on dire, de la tradition africaine - les juridictions «Gacaca » au Rwanda et la «Commission Vérité et Réconciliation» en Afrique du Sud - pour redresser des situations exceptionnellement inextricables où des crimes d'une rare gravité avaient été commis.

La situation politique qui prévalait en Afrique du Sud dans les années 1980 rappelle le contexte sociopolitique auquel les Rwandais sont aujourd'hui confrontés. Comme disait l'universitaire américain Timothy Sisk, lorsqu'un groupe ethnique gère l'État comme s'il s'agissait de sa propriété privée, la question concernant la réingénierie des institutions avec un pouvoir partagé tourne court en un marché de dupes...

Grâce au courage politique de l'ancien Premier ministre Mulroney, l'Afrique du Sud est passée du système de ségrégation raciale qui traitait inégalement les individus en fonction de la couleur de leur peau, à un système aujourd'hui basé sur des valeurs démocratiques.

Le Rwanda est, quant à lui, depuis le génocide de 1994, sous la férule d'une dictature sanguinaire dont le fil conducteur des politiques n'est pas éloigné de celui du système de l'apartheid dont le démantèlement doit beaucoup à l'opiniâtreté de la diplomatie canadienne.

Le Rwanda résiste à la timide pression sur lui exercée par la communauté internationale. La BBC vient de diffuser, en début du mois d'octobre, un documentaire - Rwanda's Untold Story - qui est en train de susciter de virulentes critiques de la part de Kigali, accusant la BBC de «dangereusement irresponsable» et de «promouvoir la négation du génocide» rwandais. Devant le Parlement rwandais, le président Kagame a accusé la BBC d'avoir «choisi de salir les Rwandais, de les déshumaniser et de nier le génocide».

Or, pour les observateurs réguliers de la situation politique au Rwanda, les révélations contenues dans ce documentaire n'apportent pas d'informations vraiment nouvelles.

On savait depuis très longtemps que de graves crimes avaient été commis par l'Armée patriotique rwandais (APR) de Paul Kagame depuis le déclenchement de la guerre d'octobre 1990. On savait aussi le caractère singulier de la responsabilité de Paul Kagame dans l'assassinat de l'ancien chef de l'État Juvénal Habyarimana, élément déclencheur du génocide rwandais. On savait également la nature des crimes commis par le corps expéditionnaire de Paul Kagame en République démocratique du Congo où les colonnes de l'APR se sont livrées à une impitoyable chasse à l'homme visant les réfugiés rwandais, majoritairement hutus, sur plus de 2500 km, d'est en ouest, dans les forêts inhospitalières de l'immense territoire congolais. Ces crimes ont été largement documentés dans le rapport Mapping de l'ONU rendu public le 1er octobre 2010.

Ce qui est nouveau, ce n'est pas tant le message véhiculé par la BBC que le messager lui-même! S'imagine-t-on un seul instant le tollé dont nous aurions été témoins si un tel reportage avait été le travail d'une équipe journalistique de la France ou de l'Espagne?

Ce qui surprend donc, ce n'est pas tant la matérialité des preuves dans les crimes décrits, ni la responsabilité de M. Kagame lui-même dans le génocide rwandais, mais la réaction des autorités rwandaises qui cherchent à discréditer la BBC et son journaliste Jane Corbin, en niant l'évidence de leurs responsabilités dans la crise sociopolitique dans laquelle elles ont plongé le Rwanda.

Quelle personnalité de prestige qui, comme Brian Mulroney en son temps, dans le cas de l'Afrique du Sud, prendra-t-elle le beau risque de peser de tout son poids politique pour faire infléchir la situation politique au Rwanda? L'Afrique a grandement besoin d'autre Brian Mulroney! Il ne s'agit pas ici de diminuer le mérite des successeurs de M. Mulroney dans la résolution des crises mondiales. Loin s'en faut! Le courage politique de Jean Chrétien durant la crise irakienne n'est pas à démontrer. Tout comme l'implication du premier ministre Stephen Harper dans la crise libyenne. Mais on ne peut que constater l'écart entre ce dont le Canada est capable de fournir comme effort, compte tenu de son héritage consubstantiel aux liens historiques qu'il partage avec le Rwanda, de son poids politique sur la scène internationale et de ses valeurs de défense des droits de la personne, et son apport réel dans le dossier rwandais.

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