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Les jeunes, les femmes et la politique ou le clientélisme contagieux

J'ai 24 ans, je suis une femme et rien ne m'exaspère plus que de me faire parler de ce que je pourrais ou devrais être, de ma situation différente, de mes besoins. Ce que je veux, c'est du contenu, des idées, du mouvement. Un élément tangible auquel m'accrocher.
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En littérature et dans les arts en général, la mise en abîme désigne l'enchâssement d'un récit dans un autre récit : on peut penser à une pièce de théâtre dans une autre pièce de théâtre par exemple ou, en art visuel, à la représentation d'un tableau dans un autre tableau.

Je connaissais ce concept littéraire. Je ne connaissais toutefois pas la mise en abîme politique. Pourtant, elle ne date pas d'hier. Je m'explique...

J'ai 24 ans. Jeune professionnelle, je m'implique en politique en tant que militante indépendantiste depuis maintenant deux ans.

Étant jeune, et femme de surcroît, on tente souvent, je dirais même trop souvent, de s'adresser à moi. Spécialement à moi. Un discours pour les jeunes, un discours pour les femmes... Au cours des deux dernières années on m'a souvent regardée avec espoir en me demandant : « comment faire pour attirer les femmes dans le domaine politique ? », « comment faire pour aller susciter l'intérêt des jeunes ? ». Bien franchement, ces questions porteuses avant tout, d'une bonne intention, déplacent, à mon avis, le problème. Le vrai.

Parce que je suis jeune, on s'adresse à moi tous les jours d'une certaine manière, on parle de moi, et des gens de ma génération, comme des gens à qui on doit absolument s'adresser dans une autre langue, une langue plus jeune, nouvelle. Comme s'il fallait une invention totalement extraordinaire, encore jamais imaginée pour intéresser une personne dans la vingtaine à la politique. Parmi les « solutions » avancées, on retrouve, entre autres, des concepts aussi creux qu'inutiles tels que « la politique autrement », « la nouvelle politique » et toutes les variations possibles de ces termes. Que de concepts essentiellement marketing pour lesquels chacun trouve sa propre définition.

On me parle aussi comme femme : on pense par exemple à féminiser ce qui m'est adressé, on me traite différemment. Je ne parle pas ici de sexisme, mais bien de son inverse, souvent exagéré. On extrapole la différence : sous les couverts d'un désir d'égalité (un désir que je partage, bien sûr), on me met dans une classe à part, on fait fausse route. En voulant de bonne foi y remédier, on ne fait, à mon avis, qu'envenimer la situation.

La vérité c'est que je ne suis pas si différente. Je n'ai pas besoin d'un traitement de faveur et encore moins que l'on crée un autre langage pour miraculeusement m'enthousiasmer. Il faut me parler tout simplement. Toutefois, encore faut-il savoir de quoi on veut parler.

Le voilà le noyau de l'histoire, l'élément qui ne date pas d'hier : on a oublié le pourquoi du discours, ou on l'évite je ne sais plus. Le tout avec une facilité inquiétante. On s'est tellement convaincus que de mettre de l'avant la différence était la seule manière de l'effacer que l'on a même droit aussi au discours « des jeunes sur les jeunes » ou « des femmes sur les femmes ». Le manège recommence prenant, cette fois, des allures burlesques.

On pouvait lire dernièrement dans plusieurs médias « Léo Bureau-Blouin veut regagner la confiance d'une génération » ou encore « Léo Bureau-Blouin croit qu'il est possible d'enthousiasmer les jeunes » (Radio-Canada). Loin de vouloir viser personnellement l'ex-leader étudiant, il est, malgré lui (ou non!), une représentation idéale d'un clientélisme politique qui ne mène nulle part...

Bien que j'éprouve un respect immense pour les gens de ma génération qui militent à mes côtés, j'ai aussi un profond malaise à voir certains (pour ne pas dire plusieurs) se mettre ainsi en scène, se créer un théâtre à part sur la scène politique. Probablement une conséquence, un piège d'un clientélisme trop bien établi.

En effet, il en découle, irrémédiablement, des clichés grossiers, mal réfléchis, maladroits, qui témoignent d'un manque flagrant de recul. Quelques exemples : si je suis une jeune femme en politique, je fais nécessairement d'immenses sacrifices, étant jeune je pourrais nécessairement occuper mon temps autrement ou, l'incontournable, je suis, un exemple d'espoir dans ma génération de gens désillusionnés de la politique.

Autant d'étiquettes que l'on impose avec tant de conviction aux jeunes ou aux femmes (ou au deux !), que ceux-ci finissent par s'étiqueter eux-mêmes donnant suite à ce procédé un peu trop confortable.

Franchement, dans l'état actuel de la politique québécoise (et d'ailleurs), je ne crois pas que notre génération ait le monopole de la désillusion politique. Bien au contraire, malheureusement. La désillusion est partout. Pourquoi ? La réponse n'est pas différente que l'on ait 20 ans ou 40 ans, la véritable raison c'est le manque de discours, d'idées qui se tiennent. On passe trop de temps à penser à qui on s'adresse et trop peu à ce qu'on va lui dire, on perd en chemin ce qui devrait être la raison d'être de notre action politique. On passe trop de temps à se mettre en scène et à peaufiner les didascalies, pour soigner notre vocabulaire, notre message. On perd de vue l'essentiel. Alors que l'on aspire au « nous », on stagne au « je » en prétendant faire le contraire. On traite la politique comme un produit. On trouve les arguments pour conclure comme on le ferait avec une vente.

J'ai 24 ans, je suis une femme et rien ne m'exaspère plus que de me faire parler de ce que je pourrais ou devrais être, de ma situation différente, de mes besoins. Comme s'ils étaient programmés d'avance. Ce que je veux, c'est du contenu, des idées, du mouvement. Un élément tangible auquel m'accrocher. Si la politique était ce qu'elle devrait être, c'est-à-dire, la défense d'idéaux, nous n'en serions pas là. Nous n'en serions pas à se travestir. Après tout, il suffit de dire les choses telles qu'elles sont.

Elle s'affiche dans toute sa laideur la mise en abîme politique : une pièce de théâtre dans une autre pièce, un monologue dans un monologue. Le vide. Tout ça parce qu'au départ, on a oublié notre texte, notre rôle fondamental, en misant davantage sur les attentes imaginées, les attentes anticipées de notre public que sur notre message et ce, jusqu'à se berner nous-mêmes.

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Avril 2018

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