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Le hip-hop sous influence

Nous devrions avoir un débat plus franc à propos de la consommation de drogues. En parler ne nous empêchera pas d'apprécier la musique. Quelques artistes semblent avoir compris le message.
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AFP

Je ne connais rien aux drogues. Je n'en ai jamais consommé. Mais au moment d'écrire ces lignes, je négocie un contrat avec un groupe dont l'une des chansons s'intitule Bath Salts ("Sels de bain") et dont l'album s'appelle D.R.U.G.S. Danny Brown, le musicien vedette de mon label, se proclame Amiral de l'Adderall et n'hésite pas à faire des interviewes sous l'influence du Molly (MDMA en poudre). "C'est un miracle que je sois en vie", avoue-t-il. Je crois néanmoins qu'il est l'un des artistes les plus intéressants qui soient. Alors comment puis-je réconcilier mon respect pour Danny et le fait qu'autant de ses chansons ont pour thème la consommation de drogues?

Je crois que le hip-hop est entré dans son ère psychédélique. Pour vous en convaincre, vous n'avez qu'à écouter la radio : le Molly, le Xanax et les références au sirop contre la toux sont omniprésentes. L'un des albums les plus appréciés en ce moment porte le titre très pertinent d'Acid Rap. Le gourou de cette scène est Juicy J, un vétéran originaire de Memphis dont la formation Three 6 Mafia a façonné le rap du sud des États-Unis. Ses refrains hédonistes sont appuyés par des échantillons irrésistibles, des rythmes hypnotiques et des cris de ralliement enthousiastes. De quoi parle-t-il exactement? Je n'en ai aucune idée, mais je me laisse quand même bercer par sa musique.

Or tous les rappeurs ne sont pas aussi joviaux et insouciants que le Juiceman. Le chanteur Abel Tesfaye, du groupe de R&B The Weeknd, aborde par exemple des thèmes plus sombres comme la cocaïne et la perte de contrôle de soi. Il s'agit d'une évolution significative puisque ce genre musical demeurait confiné à des thèmes romantiques. Par les sujets qu'il choisit comme par sa production d'avant-garde, Tsefaye représente l'avenir du R&B.

Par ailleurs, les artistes ne devraient pas se borner à faire référence au MDMA pour rester au goût du jour. Les plus récentes galettes de Ludacris et de Juelz Santana, avec leurs Molly par-ci Molly par-là, me donnent une quinte de toux (et non merci, je n'ai pas besoin de sirop à la prométhazine pour me soigner). Cet opportunisme me fait penser à un certain Rick Ross, qui serait encore en train de balancer des Reeboks sur des fils électriques s'il n'avait pas usurpé l'identité d'un trafiquant.

En revanche, d'autres artistes font preuve d'un degré d'abstraction plus élevé et contribuent à propulser le hip-hop vers une orbite créative inédite. Ce genre musical connaît actuellement une forme de liberté qui rappelle le Daisy Age des années 80. Je crois que le renouveau a commencé vers 2008 avec le chef d'œuvre de Lil Wayne intitulé A Milli. Mais je tiens aussi à donner un certain crédit à Lil B et son style déstructuré pour avoir ouvert les portes de la perception de toute une génération. L'effet relaxant ou libérateur des drogues est-il la cause de cette révolution? Probablement pas. Je crois que le rap expérimental et tripatif d'aujourd'hui coïncide surtout avec le décloisonnement des mentalités, sachant que le milieu était jadis réputé pour son homophobie et son chauvinisme.

Cela dit, je me demande si mon enthousiasme grandissant pour ces hymnes à la drogue ne serait pas l'approbation tacite d'un style de vie que je cherche à éviter. Je n'encourage aucunement la consommation de drogues, alors suis-je hypocrite d'enregistrer une chanson intitulée Piss Test ("test d'urine") avec Juicy J et Danny? Personnellement, je crois que les amateurs de rap ont toujours évalué les artistes en fonction de leur mérite et non en fonction de la moralité de leurs propos. À cet effet, Danny et Juicy J font partie d'une longue tradition de rap grandiose et déjanté. Le problème est que les références constantes au Molly et au sirop idéalisent ces substances. Le rap est passé d'une glorification du trafic des drogues dures à une glorification de leurs effets; mais sous la surface, l'incompréhension la plus totale prévaut toujours.

La consommation de drogues a un aspect tabou qui s'avère être un véritable "éléphant dans la pièce". Lil Wayne réfute tout lien entre son piètre état de santé et sa consommation de codéine, même s'il a failli mourir d'attaques cardiaques répétées il n'y a pas très longtemps. Lorsque le légendaire rappeur de Houston Pimp C a rendu l'âme, la cause de son décès est demeurée secrète. Plus près de chez moi, mon bon ami DJ AM est mort d'une surdose il y a quatre ans alors qu'il était au faîte de sa popularité.

Décidément, nous devrions avoir un débat plus franc à propos de la consommation de drogues. En parler ne nous empêchera pas d'apprécier la musique. Quelques artistes semblent avoir compris le message : Kendrick Lamar termine le vidéo de Bitch Don't Kill My Vibe avec une scène d'enterrement. On peut voir l'inscription "Mort à Molly" sur le cercueil. D'ailleurs, Rhymefest n'hésite pas à comparer cette substance au crack. Son analogie est peut-être simpliste, mais je crois que toute conversation à ce sujet est saine. Même Trinidad James, véritable champion de la consommation de pilules, devrait avoir une occasion de dire son avis un jour (quitte à ce qu'un journaliste lui tire les vers du nez et le fasse suer un peu). En fin de compte, si l'on chante les vertus des drogues, l'on devrait aussi parler de leurs effets secondaires.

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