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La laïcité, une question de limites

Toute la question de la laïcité n'est pas de savoir si elle «ouverte» ou «fermée». Il s'agit plutôt de savoir où se trouve la limite. Jusqu'où financer des activités à caractère religieux? Et selon quelles règles équitables pour tous les credo? Doit-il être question de religion dans les curriculums scolaires? Et si oui de quelle manière et selon quelle «quantité»? Etc...
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Il n'y a pas deux laïcités, l'une ouverte, l'autre fermée. Chaque pays a une politique de laïcité distincte et propre. Afin d'acheter la paix, les États-Unis incluent tous les dieux dans leur Dieu unique, tandis que la France refuse tous les dieux pour n'en refuser aucun en particulier. Le Danemark, État moderne s'il en est, a une religion d'État. Les Allemands paient des impôts à leurs églises. Après avoir tué Dieu, l'État russe l'a mis à sa botte. Confrontée à une religion qui ne fait pas la différence entre Dieu et le politique, la Turquie a interdit Dieu dans l'espace public. Et ainsi de suite. Voilà juste un petit échantillon très schématique de régimes de laïcité très diversifiés et tous liés à une histoire nationale particulière. Je vous mets au défi de classer le tout en deux colonnes bien nettes: ouverte, fermée.

Non, toute la question de la laïcité n'est pas de savoir si elle «ouverte» ou «fermée». Il s'agit plutôt de savoir où se trouve la limite. La laïcité étant la politique par laquelle on organise les rapports entre l'État (les institutions publiques) et les religions, il est toujours question de limites lorsqu'on parle de laïcité. En effet, jusqu'où financer des activités à caractère religieux? Et selon quelles règles équitables pour tous les credo? Doit-il être question de religion dans les curriculums scolaires? Et si oui de quelle manière et selon quelle «quantité»?

De limites, il est aussi question lorsqu'on parle de tolérance. Eh oui, même la tolérance a ses limites! La tolérance est affaire d'opinion et non de vérité: tolérer, c'est reconnaître que nul ne détient LA vérité et qu'il faut donc accepter de vivre avec une diversité de vérités. D'un autre côté, toute tolérance atteint sa limite lorsqu'elle rencontre l'intolérance. C'est la question de la limite: jusqu'où doit-on tolérer l'intolérance? Par exemple, notre Charte des droits et libertés reconnaît la liberté de parole: a-t-on le droit pour autant de manifester publiquement son intolérance?

Or, chaque peuple, en raison de son histoire particulière, est seul détenteur de sa propre limite. Il n'y a pas de one-size-fits-all en matière de laïcité. Penser qu'il existe une formule unique de laïcité dite «ouverte et inclusive», dans le genre propre, moderne et dans le vent; penser que le gouvernement des juges, sis à Ottawa, est le mieux habilité à trancher les cas de laïcité québécoise, alors que la population n'a jamais eu l'occasion de s'exprimer et de se reconnaître dans un texte sur le sujet; penser que le Québec doit nécessairement faire comme le Rest of Canada; penser... non, tout cela relève à mon avis de l'erreur de jugement.

N'en déplaise à mes amis qui aiment se penser «ouverts et inclusifs», le Québec n'a pas encore déterminé où est sa limite. Mais il semble que le projet de M. Drainville ne soit pas tombé très loin d'un premier pas dans cette direction. Certes, un peu de calibrage ou de rééquilibrage ne fera pas de tort au projet péquiste. Mais, comme pour tout projet de loi, c'est précisément le rôle de l'Assemblée nationale.

Par exemple, une fois qu'on a dit que tout employé du secteur public a un devoir de réserve en matière de credo religieux (qui pourrait être contre cela?), il y a nécessairement une discussion à avoir sur les critères objectifs qui détermineraient l'interdiction du port de signes religieux sur les heures de travail. Tiraillé entre son héritage républicain et la forte présence culturelle du libéralisme anglo-saxon, le Québec doit trouver sa propre formule, celle qui sera forcément en équilibre entre la règle républicaine du «mur-à-mur» et l'élastique libéral du «cas-par-cas». Dans ce cas-ci, le Rapport Bouchard-Taylor propose un deal intéressant lorsqu'il énonce que seules certaines catégories d'emplois liées à l'expression de l'autorité publique devraient se voir interdire le port de signes religieux (tels les juges, les policiers...). Ils n'oseront pas le dire, mais même les Libéraux seraient d'accord avec ça...

Autre exemple, le projet Drainville propose de laisser le crucifix à l'Assemblée nationale et, de manière générale, d'inclure dans la Charte des droits et libertés une référence à la protection du patrimoine culturel et religieux. Outrepasserait-on vraiment la limite des Québécois en plaçant cette fameuse croix dans un sous-verre à l'entrée de la salle plutôt qu'au-dessus du fauteuil du président? On se permet d'en douter.

Quoi qu'il en soit le débat doit se faire et, idéalement, sans excommunications et sans anathèmes! Car, c'est en permettant à la majorité culturelle de clarifier ses limites qu'on lui permet d'apaiser en partie ses angoisses existentielles et d'envisager ses propres et inévitables transformations avec plus de sérénité.

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