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Quel est le juste prix des otages?

Le «juste prix» à payer est mesuré par l'effort consacré à la libération de ces personnes dont la vie est injustement menacée. Écarter la possibilité de payer, c'est se désengager d'une lourde responsabilité et dès lors commettre une faute grave.
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In this image from video posted on an islamist web site, an armed man appears to stand over the what are claimed to be the corpses of some of the seven foreign hostages abducted from northern Nigeria and later killed by Islamic extremists. European diplomats confirmed Sunday that the hostages from Greece, Italy, Lebanon and Britain had been killed after their abduction Feb. 16. Nigerian authorities have been silent about the killings. (AP Photo)
AP
In this image from video posted on an islamist web site, an armed man appears to stand over the what are claimed to be the corpses of some of the seven foreign hostages abducted from northern Nigeria and later killed by Islamic extremists. European diplomats confirmed Sunday that the hostages from Greece, Italy, Lebanon and Britain had been killed after their abduction Feb. 16. Nigerian authorities have been silent about the killings. (AP Photo)

Au Mali, au Cameroun ou dans le Sinaï, le scénario est le même. Pour diverses raisons, des hommes et des femmes, des civils, sont retenus par la force par des groupes armés. Ce ne sont pas des prisonniers de guerre, ils sont otages. Ces prises humaines sont indissociables des relations entre leurs États respectifs et les pays et les sociétés avec lesquelles ces États occidentaux sont en conflit ou avec lesquelles ils entretiennent des rapports difficiles.

Dans les guerres, les prisonniers s'échangent et c'est là un des premiers épisodes de la période qui marque la cessation des hostilités. Dans les conflits entre des États et des groupes non étatiques, la violence n'a pas de limites spatiales et temporelles. Les États-Unis font usage de drones contre des combattants qui se trouvent dans des États avec lesquels ils ne sont pas en guerre, une mesure critiquable même si elle ne vise pas des civils. AQMI ou d'autres capturent des civils aux quatre coins de l'Afrique et au Proche Orient. C'est une des divisions des rôles de cette étrange asymétrie des conflits.

On ne peut pas se contenter de faire le constat de ce marché scabreux. Il est, en effet, irresponsable de se soustraire à la question dérivée par les demandes de rançon. Quel est le juste prix à payer pour libérer des personnes dont, en tant que collectif, nous sommes responsables de la sécurité et donc de la vie? La France, en tant qu'État, possède les millions d'euros réclamés par les organisations responsables de ces crimes, toutes proportions gardées, comme un smicard à qui seraient réclamés quelques jours de salaires. Dans un cas, on semble tolérer qu'un État refuse de payer, dans l'autre il serait absurde de reprocher à un individu de payer une rançon pour libérer les membres de sa famille.

L'État français semble faire désormais du refus de payer une position de principe. Alors qu'il n'en était pas ainsi auparavant, pourquoi, sans donner de raison valable, une telle volte-face ? Le "juste prix" à payer est mesuré par l'effort consacré à la libération de ces personnes dont la vie est injustement menacée. Écarter la possibilité de payer c'est limiter sa marge d'action, c'est se désengager d'une lourde responsabilité et dès lors commettre une faute grave. Le gouvernement ne possède pas de doctrine et le débat public qui fait s'opposer deux catégories, ceux qui paient (de l'argent) et ceux qui ne paient pas, témoigne de ce vide.

Payer, nous dit-on, serait un signe de faiblesse qui accroît tant le compte en banque du destinataire des sommes de ce racket et donc sa force physique, que son prestige. Ce raisonnement, en l'occurrence les inférences sur lesquelles il réponse, est faible. Le deuxième terme de l'équation (le prestige qui sort grandi de l'encaissement de la rançon) est tellement vague qu'il est indémontrable. Par ailleurs, il n'y a pas de honte à céder à des demandes injustes dès lors qu'il s'agit de sauver des vies. Mais aussi, pourquoi, s'il paye, l'État devrait-il exclure d'autres mesures, notamment l'usage de la force et la répression pénale? Cette division des catégories est trompeuse et ne peut que heurter (c'est peu dire) les familles de ceux à qui on ravit les siens. Elle est aussi fatale, car elle met en danger la vie des otages.

Une communauté politique devrait tout mettre en œuvre pour récupérer ses citoyens. Pour cela, elle doit engager un débat sur ce qu'est leur juste prix dont l'argent est une composante, c'est-à-dire un prix potentiellement élevé, car il est le prix nécessaire à leur libération. On ne peut en aucun cas mettre en équation la mort de personnes pour lesquelles tout n'est pas fait pour les sauver et la mort future et hypothétique de personnes qui n'ont pas encore été kidnappées. Rien ne dit que ces otages futurs seront la conséquence de la libération de leurs prédécesseurs. Sans vouloir suggérer de telles méthodes expéditives, il faut rappeler un exemple. Avant de devenir empereur, César fut pris en otage par des pirates. Une rançon fut payée (César demanda à ce que l'on payât une somme supérieure à celle en premier lieu exigée par les pirates, parce que, grand seigneur, il jugea qu'elle était indigne de son rang). Ensuite, comme il le leur avait annoncé, César retrouva la trace de ses ravisseurs et les tua (il les crucifia). La France n'est pas César et la peine de mort n'existe plus, les prisons et les cours internationales si.

Le prix des otages n'est pas le prix des autres, c'est-à-dire celui fixé par leurs ravisseurs. Il est le prix que l'on se donne à soi-même pour faire valoir le droit à la vie et à la sécurité de ses citoyens. Or, précisément, il n'a pour limite que la sécurité des autres personnes membres de la communauté. En l'absence d'une atteinte à leurs vies qui serait la contrepartie directe et immédiate de ce paiement, il faut accepter la possibilité d'un versement d'argent. Ce débat concerne toute notre communauté politique, tant nationale que mondiale. Il est consternant de voir que la France s'est tue lorsque le gouvernement algérien décida de lancer une attaque contre ceux qui avaient investi le site gazier d'In Amenas. Pourquoi une telle décision repose-t-elle sur le calcul d'un intérêt national que seuls les dirigeants politiques seraient à même d'évaluer? Pourquoi le silence de la raison d'État (alors que précisément cette raison semble être si peu élaborée)? Pourquoi existe-t-il une solidarité étatique qui a fait dire au président français que l'Algérie avait eu à cette crise une réponse "adaptée"?

Les prises d'otages continueront. Ce n'est pas le refus de paiement des rançons qui fera perdurer ce commerce, c'est la nature asymétrique des conflits internationaux. Un débat sur les règles de la négociation avec ceux qui violent les lois en faisant des vies humaines une monnaie d'échange doit avoir lieu, de préférence à l'échelle internationale. Les otages sont des citoyens du monde, tout comme leurs preneurs sont des criminels qui enfreignent les lois de l'humanité. Un fonds mondial nécessaire à la libération des otages devrait être constitué. Il financerait tant la remise des rançons que la formation de ceux et celles dont la tache sera ensuite de retrouver les ravisseurs. Il dissuaderait aussi sur place les vocations d'éventuels futurs criminels en mobilisant des ressources pour prévenir les passages à l'acte dans la violence. Ce sera le juste prix d'une communauté mondiale qui doit refuser de penser qu'en cédant aux demandes des ravisseurs on devient leurs prisonniers. Il faut trouver un protocole d'action qui associera le paiement à l'exécution de la loi. En séparant ces différents registres, et a fortiori en rendant illégal le paiement des rançons, on court le risque de deux dangers dont on voit bien quelles sont les conséquences : le refus de paiement sans la force qui signe l'arrêt de mort des otages, le recours à la force sans le paiement qui entraîne, dans la précipitation, la mort de nombreuses personnes parmi les captifs.

MALI

Les otages français dans le monde

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