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À quand l'atterrissage des robots?

Nous ne sommes qu'au début d'un processus de robotisation du combat et les films comme,etapparaissent annonciateurs.
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Dans les guerres qui les opposent à des adversaires nécessairement plus faibles, aux ressources incomparablement plus réduites, les armées occidentales, qu'elles soient américaines ou israéliennes mais également britanniques ou françaises, sont confrontées à des choix stratégiques bien spécifiques. Non seulement doivent-elles chercher à défaire leurs adversaires, mais elles doivent tenir compte de la pression médiatique et des rapports officiels qui rendent compte de leur comportement au regard du droit international humanitaire. Ce dernier aspect est internalisé aussi bien par les forces armées que les politiques.

De surcroît, ces armées cherchent à minimiser fortement leurs propres pertes. En effet, les dirigeants qui commandent aux militaires craignent, à tort ou à raison, que les citoyens (leurs électeurs) voient d'un mauvais œil le sacrifice de leurs soldats pour des causes qui, ex post, ne semblent pas relever des intérêts directs de leur pays. À ce titre, il est tout à fait significatif que l'armée française ne communique aucun chiffre concernant le nombre de morts (les civils, les combattants étrangers et les soldats français) sur les terrains où elle est engagée. En effet, elle aurait tout à perdre. Si des militaires sont tués, elle s'expose à la critique de ses citoyens et, notamment, comme cela a déjà eu lieu dans le cas de l'Afghanistan, aux plaintes des familles de ses soldats. Si aucun militaire n'est tué et certains civils sont morts, on l'accusera de négliger le sort des populations civiles en trop protégeant ses soldats.

Suivant si l'aviation est privilégiée dans les combats ou si les troupes au sol sont fortement présentes, le nombre de militaires tués n'est pas du même ordre. Aussi, une variable de tout premier ordre se révèle décisive dans les débats stratégiques et déontologiques où sont comparés les bienfaits et les méfaits de l'intervention terrestre aux avantages et aux défauts de l'usage du combat aérien: la technologie de l'armement.

On peut poser le problème en ces termes

En comparaison avec les campagnes aériennes à d'autres époques de l'histoire, les bombardements d'aujourd'hui sont plus précis. Cependant, les avions volent à haute altitude afin de préserver la vie des pilotes. Ce faisant, les frappes mettent en danger la vie des civils davantage que s'ils ne volaient à une altitude plus basse.

À l'inverse, sur le plan éthique, la guerre idéale serait, selon Michael Walzer, la campagne de bombardements des pilotes de la France libre qui, depuis l'Angleterre, effectuaient des raids en France, sachant qu'ils bombardaient des endroits où se trouvaient d'autres Français et agissaient en conséquence.

Les nouvelles technologies de l'armement vont-elles faire évoluer ce débat?

Nous connaissons aujourd'hui les drones dont l'emploi dans les opérations américaines s'est largement développé sous la présidence de Barack Obama. Leur emploi fait l'objet de nombreuses controverses.

D'une part, il est vanté par les gouvernements qui les emploient car, dans le contexte de la «guerre asymétrique», ils seraient un «moindre mal». De l'autre, il est critiqué à de nombreux titres: les drones seraient notamment les instruments d'une injuste «chasse à l'homme planétaire», frappant durement des populations civiles qui seraient décimées.

L'une comme l'autre, ces positions sont biaisées et manquent de traduire les problèmes causés par ces armes. Certes, les drones sont davantage précis que des frappes aériennes classiques (ils sont téléguidés et volent à plus basse altitude), mais cela ne saurait faire d'eux une solution idéale conforme aux règles de la guerre. Les raisons de critiquer ces armes sont nombreuses, mais on peut ici en retenir deux. En premier lieu, les drones américains violent le principe de souveraineté, perturbant ainsi l'architecture du droit international. Ils posent aussi de sérieux problèmes dans le cas du profilage propre aux signature strikes américaines: un ordinateur suivant des paramètres statistiques - le genre des individus au sol dans un territoire où se trouvent potentiellement des ennemis, leur accoutrement, l'heure à laquelle ils se trouvent sur ce terrain - établit les priorités du ciblage. Ainsi, en donnant à des machines un tel pouvoir, les drones diluent le principe de responsabilité dans la guerre.

Il faut s'attarder sur ce dernier point, car cette question sera dans le futur amenée à se poser de nouveau de manière encore plus prégnante. Nous ne sommes qu'au début d'un processus de robotisation du combat et, de ce point de vue, la science-fiction et des romans ou des films comme Blade Runner, Robocop et Minority Report apparaissent comme les annonciateurs de futurs mondes possibles. Les armes qui sont maintenant à l'essai, qui commencent à être employées, ou qui sont à l'étude sont à l'image de cet imaginaire hollywoodien.

Tout d'abord, et c'est là la conséquence logique de l'emploi du drone, les premiers avions (F-16) télécommandés ont fait leur apparition. Progressivement, le pilote ne volera plus dans les avions de combat; tout comme dans le cas des drones l'avion sera commandé depuis un poste au sol. Des tanks peuvent aussi être télécommandés.

Autre innovation: d'ores et déjà, des objets ayant la taille d'un insecte effectuent des vols de reconnaissance à des fins d'espionnage (les Américains les auraient utilisés en Chine pour avoir des renseignements sur les opérations chinoises de cyberguerre). Également, la fabrique d'avatars, des personnes virtuelles qui évoluent sur les réseaux sociaux d'internet et infiltrent des groupes considérés dangereux, est désormais une pratique courante.

La prochaine étape est encore plus lourde de conséquences

Des moyens importants sont mis à disposition de l'industrie de l'armement pour concevoir les premiers robots qui pourront se déplacer au sol ayant leur propre autonomie (sans besoin d'être télécommandés).

Il existe déjà des armes programmées pour se déclencher automatiquement suivant des signaux établis et que des militaires utilisent, par exemple, pour garder un campement la nuit (à l'image de chiens de garde tueurs). Cependant, aucun robot autonome au sol n'est, semble-t-il, encore utilisé. Si tel était le cas - et c'est un futur possible, bien que d'un point de vue technologique il existe de nombreux obstacles à surmonter -, le robot sera doté d'une intelligence artificielle lui permettant de se déplacer sans qu'il ne soit guidé, et de prendre des décisions qui entraîneront la mort de personnes.

Les scientifiques travaillant dans ces projets considèrent que les algorithmes de ces machines rendraient leurs décisions en partie imprévisibles pour ceux qui les ont conçus ou qui leur ont donné des ordres. Tout «comme» des animaux (humains ou non), les robots devront être entraînés. En effet, les robots agiront suivant le contexte dans lesquels ils se trouveront. Si tel sera le cas, en cas de morts de civils et de frappe disproportionnée, à moins de considérer que le robot soit fautif et, en tant que tel, puni en étant désactivé ou emprisonné, à qui incombe la responsabilité de ces futurs crimes? La situation aujourd'hui est déjà complexe: la responsabilité de l'emploi du drone incombe à celui qui le pilote, à ceux qui, dans la chaîne du commandement, se trouvent dans les lieux où sont décidées l'opération et la mise à feu. Cette situation changera avec l'emploi d'armes autonomes.

Cette robotisation des forces terrestres a plusieurs conséquences potentielles. Elle diminuera les pertes humaines des armées qui les emploient et transformera en profondeur la culture militaire, affectant ainsi les valeurs clés qui la gouvernent, comme le courage et le sacrifice. Les robots pourront se distinguer par leur efficacité, suivant leurs modèles mais aussi en fonction de leur propre singularité. En rendant à portée de main des batailles qui auraient été très coûteuses en vies humaines, la robotisation donnera la possibilité d'intervenir dans des opérations qui auparavant avaient été jugées trop risquées, multipliant ainsi les possibles usages de la force. Elle incitera d'autres forces armées ou des groupes combattants à se munir de robots. Selon les moyens des adversaires des pays riches, ces robots seront plus ou moins sophistiqués, et on voit aussi se profiler à l'horizon l'attentat suicide du robot ou de l'androïde.

Faut-il faire atterrir les robots et leur donner la conscience de ce qui les entourent?

Admettons qu'il existerait chez eux une position en surplomb bâtie sur des programmes qui ordonneraient leur comportement suivant les règles du droit de la guerre (c'est le cas dans la prochaine génération de drones). Cependant, la conscience de soi fera défaut aux robots, les empêchant d'être les sujets de leur propre responsabilité. À moins de se plonger dans un univers qui semble très distant et qu'on ne sait pas encore comment atteindre, les robots n'auront pas conscience d'être les sujets de leur propre connaissance (la méta-cognition). Dès lors, comme le soulignent les juristes Eliav Lieblich et Eyal Benvenisti, la robotique dans la guerre doit nous amener à repenser la responsabilité administrative des forces armées. Seule la connaissance de ses propres facultés cognitives fait de l'agent un sujet de droit. La responsabilité collective de la robotique demeure un impensé. La technologie avance ici plus rapidement que le droit et, à moins de réagir rapidement, il y a fort à parier que nous serons mis devant des faits accomplis, à moins de s'engager d'ores et déjà, par anticipation, dans un débat sur la constitution de normes futures.

Thème développé par Ariel Colonomos lors d'une conférence qui s'était tenue récemment au CERI-Sciences Po: (No) Boots on the Ground: Meaning and Implications of the Decision to Employ Strategic Landpower. Organisée en coopération avec l'Association of United States Army et avec le soutien du Royal United Services Institute et de l'université Notre Dame, la conférence a porté sur les implications militaires, politiques, diplomatiques et éthiques de la réticence des puissances occidentales à déployer leurs forces armées dans les zones de conflit.

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