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Disconnect: le film qui tire la sonnette d'alarme sur nos vies hyperconnectées

-je vais essayer d'éviter les- entrelace trois histoires. Dans chacune d'entre elles, la vie des personnages a atteint un niveau critique à cause de leur dépendance à la technologie. Ce qui leur a coûté des connexions humaines.
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Dans les années 1840, Benjamin Disraeli, encore loin de devenir premier ministre, souhaitait que les Britanniques prennent conscience de la situation difficile que vivait la classe ouvrière et les faire réagir. La sonnette d'alarme qu'il a tirée n'a pas pris la forme d'un discours, d'un tract ni d'un article, mais d'un roman - Sybil -publié en 1845. Ce dernier a eu l'effet désiré: sensibiliser, indigner et mettre en place des réformes sociales fondamentales.

Disraeli savait qu'une des façons de toucher les gens efficacement était la narration: enrober des faits et des données avec du sang et de la chair. Depuis que j'ai lu Sybil quand j'étudiais à Cambridge, j'aime les penseurs, les écrivains et ceux qui jouent les mouches du coche, ceux qui se servent des histoires pour atteindre les gens et les faire agir. De nouveaux moyens de raconter ces histoires sont apparus depuis l'époque de Disraeli bien sûr, y compris les films.

Et il se trouve justement que j'animais une discussion la semaine dernière avec le réalisateur et deux acteurs (Frank Grillo et Marc Jacobs -oui, Marc Jacobs!) d'un film qui se sert de la narration pour nous éveiller à l'un des plus grands problèmes de l'ère moderne: les effets engendrés par notre connexion à la technologie 24h/24, en particulier sur notre capacité à nous connecter à notre vie, aux personnes que nous aimons et à nous-mêmes.

Disconnect

Le film, écrit par Andrew Stern et mis en scène par Henry-Alex Rubin, s'appelle donc Disconnect ("Déconnecte", en français) et je recommande vivement à tout le monde d'aller le voir dès sa sortie le 12 avril (aux États-Unis, ndlr). J'ai trouvé que Disconnect était particulièrement convaincant -c'est une utilisation parfaite de la narration pour mettre en scène un problème qui s'infiltre dans nos vies à tel point qu'il est même difficile de s'en rendre compte. En plus de Frank Grillo et Marc Jacobs, le casting est aussi composé de Jason Bateman, Hope Davis, Paula Patton, Alexander Skarsgård et Michael Nyqvist.

Disconnect -je vais essayer d'éviter les spoilers -entrelace trois histoires. Dans chacune d'entre elles, la vie des personnages a atteint un niveau critique à cause de leur dépendance à la technologie. Ce qui leur a coûté des connexions humaines. Il y a le couple qui a récemment perdu son enfant. Au lieu d'en faire le deuil ensemble, ils se tournent le dos et se perdent dans des distractions sur Internet. Il y a deux garçons qui se servent du pouvoir des réseaux sociaux pour tirer profit de la solitude et de l'isolement d'un autre garçon -une solitude et un isolement causé en partie par l'obsession du père pour son travail et ses courriels. Et il y a cette journaliste qui fréquente un acteur porno de 18 ans qui travaille par webcam et qui loge chez une figure du monde du X jouée par Marc Jacobs. Ça vous donne envie de le voir maintenant?

Les histoires s'emmêlent de plus en plus jusqu'à se finir par une conclusion captivante. Dans chaque cas, les personnages ont besoin de passer par une crise pour se réveiller. Disconnect montre à quel point il est facile de laisser la technologie nous entraîner dans une vie de somnambulisme, nous éloigner de ce que nous sommes et de ce qui compte vraiment. À un moment, le père -joué par Jason Bateman- rassemble sa femme -jouée par Hope Davis-, sa fille -jouée par Hayley Ramm- et son fils -joué par Jonah Bobo- et déclare: "tout ce que j'aime est dans cette pièce". Et pourtant, ce n'est absolument pas la façon dont il vivait auparavant.

Internet en guise de médication

Il est facile de se laisser séduire par la technologie. Comme l'a dit Henry-Alex Rubin au cours d'une session de questions/réponses, beaucoup de personnes utilisent Internet comme un médicament pour calmer les douleurs et les déceptions. Une chose en menant à une autre, vous passez à côté de votre vie avant de vous en rendre compte. Avant la projection, Marc Jacobs m'a confié avoir banni toute technologie de sa chambre à coucher et avoir très peu de tolérance pour sa présence à table. "Vous recevez des amis à dîner et ils sont collés à leur BlackBerry ou leur iPhone. Vous vous demandez: "pourquoi sont-ils venus?"". C'est d'ailleurs le fait de voir des gens à table en train d'envoyer courriel et SMS qui a inspiré Andrew Stern pour écrire Disconnect.

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Les meilleurs moyens de déconnecter

Comme l'a remarqué Sherry Turkle, professeur au Massachusetts Insitute of Technology et auteur de Alone Together: Why We Expect More from Technology and Less from Each Other("Seuls ensemble: Pourquoi nous attendons plus de la technologie et moins des autres", en français): "les gens veulent vivre les uns avec les autres, mais aussi ailleurs. Ils veulent être connectés à tous les autres endroits où ils voudraient être".

Sherry Turkle explique, entre autres, que la technologie exploite notre solitude et notre peur du travail acharné, du désordre et de l'intimité. "Des réseaux sociaux aux robots sociaux, nous créons des technologies qui nous donneront l'illusion d'avoir de la compagnie sans les exigences d'une amitié", estime-t-elle. Résultat, "on se prend à penser qu'être connectés en permanence va nous faire nous sentir moins seuls" mais "c'est en fait le contraire qui est vrai".

Encore pire, ce n'est pas uniquement notre utilisation excessive de ces technologies sociales qui nous font nous sentir plus seuls et plus déconnectés, il existe maintenant une preuve scientifique que cela peut diminuer notre capacité à réellement interagir.

"Plus on est à l'écoute des autres, plus on est en bonne santé et vice versa"

Barbara Fredrickson est professeur à l'Université de Caroline du Nord et l'auteur de Love 2.0: How Our Supreme Emotion Affects Everything We Feel, Think, Do, and Become ("L'amour 2.0: Comment notre immense émotion a un effet sur tout ce que nous ressentons, pensons, faisons et devenons", en français). Elle explique comment, de la même façon qu'une vie sédentaire change notre corps, nos comportements sur le Net peuvent réorganiser notre cerveau. "Nos expériences laissent des empreintes sur notre réseau neuronal", écrit-elle. "Chaque habitude façonne la structure même de notre cerveau de manière à renforcer l'exercice de cette habitude".

C'est pourquoi, d'après elle, votre réponse à des questions comme "combien de temps passez-vous avec les autres?" et "quand vous êtes avec eux, vous sentez-vous connecté et en accord avec eux?" peuvent en fait "révéler vos capacités à vous connecter aux autres". D'après des recherches, en changeant la façon dont vous vous connectez, vous pouvez changer votre capacité à vous connecter.

Elle cite d'ailleurs une étude qui a montré que les personnes qui méditaient et à qui l'on avait appris une pratique dont le but était d'augmenter "leur chaleur et leur tendresse envers les autres et eux-mêmes" étaient capables d'augmenter l'activité du nerf vague -essentiel à notre système cardiovasculaire. Elle remarque aussi d'autres recherches qui ont établi qu'"augmenter l'activité du nerf vague aidait à augmenter notre capacité à nous connecter, mais aussi notre disposition à l'amitié et à l'empathie". En bref, elle écrit: "plus on est à l'écoute des autres, plus on est en bonne santé et vice versa".

En d'autres termes, "notre propension à l'amitié obéit aussi à la règle biologique qui veut que soit on s'en sert soit on la perd". "Si vous n'entraînez pas régulièrement votre faculté à vous connecter en face à face, vous expérimenterez bientôt un manque de capacités biologiques pour le faire".

Donc même si nous pensons utiliser la technologie pour nous connecter, nous diminuons en fait notre aptitude à vraiment nous connecter. Nous sommes des machines construites pour partir à la recherche de connexions, il n'est donc pas étonnant que nous soyons attirés par la technologie qui semble nous offrir des connexions faciles. Ce ne pas si éloigné de l'hypothèse selon laquelle les boissons allégées en sucres pourraient en fait faire grossir. "Certaines études suggèrent que quand nos papilles sentent du sucré, le corps s'attend à accueillir des calories", explique la diététicienne Cheryl Forberg au magazine Men's Health. "Quand les calories n'arrivent pas, cela pourrait nous forcer à manger pour combler la quantité d'énergie que le corps s'apprêtait à recevoir".

Régime digital

Au HuffPost nous prenons des mesures éditoriales et personnelles pour aider notre communauté à corriger et mettre fin à notre addiction à la technologie. L'année dernière, notre rédactrice en chef de la section Lifestyle Lori Leibovich a annoncé à ses jeunes enfants qu'elle ferait un "régime digital" pendant les vacances. "Si vous me voyez faire autre chose avec mon iPhone que prendre des photos, retirez-le-moi" leur avait-elle dit. Les enfants étaient aux anges, mais comment cela s'est-il passé?

"Il y a des moments où je me suis sentie complètement perdue... Mais c'était aussi exaltant d'avoir à utiliser mes mains pour construire des tunnels dans le sable et pour tourner les pages d'un livre au lieu de le faire en tapant du doigt sur un écran. Pour la première fois depuis je ne sais pas combien de temps, j'ai vraiment vu mes enfants. Et ils ont adoré être vus."

Bien sûr, comme Henry-Alex Rubin l'avait souligné pendant notre séance de questions/réponses, ce n'est pas comme si les gens n'étaient pas isolés ou seuls dans le passé. Mais Internet et les réseaux sociaux amplifient tout, y compris l'isolement. Et pendant qu'on surfe sur le web, il est facile d'ignorer que l'on peut aussi surfer sur notre vie. Je n'ai rien contre le surf, mais, par définition, cela signifie rester à la surface ce qui est super pour le surf, mais terrible dans la vie. L'écrivain et dessinateur Alan Saunders a utilisé l'expression -reprise ensuite dans une chanson de John Lennon- : "la vie est ce qui nous arrive au moment où l'on prévoit de faire autre chose". Nous avons maintenant toutes ces technologies pour nous aider à prévoir plein de choses. Choses pour lesquelles nous ne serons pas vraiment présents quand elles se dérouleront parce que nous serons trop occupés à déjà prévoir autre chose.

Comme tellement de monde, c'est un sujet auquel je suis confrontée régulièrement. C'est pourquoi Disconnect a touché un point sensible. À travers ces histoires uniques incroyablement bien racontées, le film aborde les vérités universelles d'un des aspects humains fondamentaux: l'envie de se connecter. Je devrais ajouter qu'il n'y a rien de moralisateur dans ce film. "Je n'avais pas de théories ou de polémiques en tête au moment de faire ce film", assure Henry-Alex Rubin. "Je voulais seulement faire quelque chose d'aussi réel que possible. Je m'y suis pris comme pour un documentaire".

Tel un Sybil moderne, c'est par l'intermédiaire de la fiction et de l'art dramatique que Disconnect tire la sonnette d'alarme sur des vérités profondes et une réalité très sombre.

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