Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

L'épuisement, maladie de notre civilisation

Depuis le lancement de notre campagne «Réussir autrement» - visant à redéfinir le succès au-delà des deux critères que sont l'argent et le pouvoir, pour y ajouter le bien-être, la sagesse, l'habilité à s'émerveiller et à se montrer reconnaissant - je regarde le monde à travers le prisme du «Réussir autrement». Et ce que je vois est un écran partagé en deux.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Depuis le lancement de notre campagne «Réussir autrement» - visant à redéfinir le succès au-delà des deux critères que sont l'argent et le pouvoir, pour y ajouter le bien-être, la sagesse, l'habilité à s'émerveiller et à se montrer reconnaissant - je regarde le monde à travers le prisme du «Réussir autrement». Et ce que je vois est un écran partagé en deux. D'un côté, l'on peut voir via de multiples exemples que le monde des affaires et les espaces de travail américains continuent à glorifier une approche du succès menant à l'épuisement et une culture éblouie par la technologie au point que des outils destinés à nous fournir un plus grand contrôle sur nos vies ont, à la place, pris le contrôle de nos vies.

De l'autre côté de l'écran, on voit de plus en plus d'exemples d'entreprises, petites ou grandes, donnant la priorité au bien-être. Et même au sein d'entreprises n'ayant pas encore compris pourquoi promouvoir le bien-être est bénéfique à la fois pour les employés et leurs performances, de plus en plus d'individus appliquent la philosophie «Réussir autrement» pour faire face aux effets négatifs d'un espace de travail à l'atmosphère rétrograde.

Ce qui empêche bon nombre d'entreprises d'adopter des critères de succès plus sains et durables est le mythe têtu - et dangereusement faux - que donner la priorité à la santé et au bien-être est incompatible avec de bons résultats - et qu'il existe un compromis entre de bonnes performances et une bonne hygiène de vie. Comme le montrent un nombre incalculable d'études, rien n'est moins vrai.

Aux quatre coins du pays, de plus en plus d'entreprises réalisent que leurs performances à long terme sont directement liées à la santé à long terme de leurs employés. Aujourd'hui, environ un quart des multinationales américaines proposent des programmes pour réduire le stress. Celles-ci commencent à recevoir les lauriers de leurs efforts, en particulier de la part de leurs employés. Glassdoor.com, réseau social pour les professionnels, a récemment publié sa troisième liste annuelle des 25 meilleures entreprises pour l'équilibre vie-travail. «Les entreprises faisant de réels efforts pour valoriser la vie de leurs employés en dehors du bureau en voient souvent les bénéfices lorsqu'il s'agit de recruter et garder les plus grands talents», déclare Rusty Rueff, de Glassdoor.

Cette année, dans le classement Fortune des 100 entreprises pour lesquelles il fait bon travailler, plusieurs sortaient du lot pour leur engagement vers un plus grand bien-être. En 19e place, on trouve Salesforce.com, qui offre des cours de yoga, un bonus de 100$ pour le bien-être, et 48 heures payées vouées au volontariat. En 4e place, le Boston Consulting Group, qui repère les employés ayant travaillé trop longtemps d'affilée grâce à un «rapport zone rouge» et permet aux nouvelles recrues de reporter leur prise de poste de six mois tout en leur donnant 10 000 $ pour faire du volontariat dans une ONG.

Le mois dernier, Peter Goodman, journaliste au HuffPost, a écrit un article sur Promega, une entreprise de biotechnologie basée dans le Wisconsin. Ses employés ont droit à des classes de yoga, des salles de sport, des repas sains, des bureaux éclairés à la lumière naturelle, et des «espaces tierces», reliés ni au travail ni à la maison, tels que des cafés ou des espaces lounge. «Il s'agit de créer une culture du bien-être, a indiqué le médecin en chef de Promega, Ashley Anderson, à Peter Goodman. Si l'on parvient à créer une culture dans laquelle on admire les personnes en excellente santé, on aura fait un bon bout de chemin. Une main-d'oeuvre en bonne santé est une main-d'oeuvre productive.»

La société de recrutement Salo, basée à Minneapolis, a employé les services de l'auteur à succès Dan Buettner. Ce dernier est un expert des «zones bleues», ces régions du monde où l'espérance de vie est la plus élevée, et aide à faire de Salo le premier espace de travail «certifié zone bleue». En proposant des salles de méditation, des bureaux ajustables, des leçons de cuisine et des ateliers visant à aider les employés à poursuivre leurs passions en dehors du travail, on obtient des résultats probants - pour les employés autant que pour l'entreprise. «Salo a développé une culture et une réputation d'entreprise valorisant autant le bien-être de ses employés et partenaires que les seuls profits, a déclaré Dan Buettner à la revue du Minnesota Journal. C'est le genre de réputation qui s'inscrit dans le temps.»

Google est aussi en lice pour obtenir la reconnaissance «zone bleue». La société américaine a été l'une des premières à valoriser le bien-être, avec, entre autres, un cours nommé «Cherchez au fond de vous-même», mené par l'ingénieur de Google (et employé n° 107) Chade-Meng Tan. Le cours est divisé en trois parties: entraînement de l'attention, connaissance de soi et maîtrise de soi. Plus de 1000 employés l'ont déjà suivi et l'on est obligé de faire des listes d'attente à chaque fois qu'un nouveau cours est annoncé.

Mais les entreprises high-tech ne sont pas les seuls à découvrir l'importance du bien-être. Par exemple, au sein de Wegman's, chaîne de supermarchés presque centenaire, Danny Wegman, petit-fils du fondateur, s'est rendu compte du bénéfice qu'il pouvait tirer à encourager ses 45 000 employés à être en meilleure santé. La société propose désormais, sur place, des classes de yoga et de zumba, des conseils nutritionnels et des tests de dépistage de pression artérielle.

Une partie des programmes de réduction du stress du géant de l'assurance maladie Aetna a été inspirée par l'accident de ski de son PDG, Mark Bertolini, en 2004, au cours duquel il s'est brisé la nuque. Alors qu'il était en convalescence, Mark Bertolini a découvert les bénéfices de la méditation, du yoga et de l'acupuncture. Il a ensuite décidé d'en faire profiter ses 34 000 employés et a commandé une étude à la Duke University sur les bénéfices qui en découleraient. Le résultat? Une baisse de 7% des coûts d'assurance maladie en 2012 et 69 minutes de travail en plus par jour pour les participants.

«Réussir autrement» peut sans doute être appliqué au-delà du yoga et de la méditation. Plutôt que de s'installer dans une salle de réunion abrutissante, Farhad Chowdhury, PDG de la société d'informatique Fifth tribe, se concerte avec ses collaborateurs pendant une randonnée de 7 km. Comme l'écrit Gregory Burns, auteur deIconoclast: a neuroscientist reveals how to think differently (Iconoclaste: un neuroscientifique dévoile comment penser différemment), la perspicacité et la découverte sont plus accessibles lorsque l'on brise la routine. «Le cerveau ne commence à réorganiser sa perception qu'au moment où il est confronté à des stimuli auxquels il n'a jamais été confronté, déclare-t-il. Le moyen le plus sûr de provoquer l'imagination est d'aller vers des environnements dont on n'a pas l'habitude.» Il ajoute que lorsque le chimiste Kary Mullis a découvert le principe des réactions en chaîne du polymérase, il n'était pas dans un laboratoire, mais sur une autoroute de Caroline du Nord.

De l'autre côté de l'écran, eh bien, il reste du travail à accomplir. Le stress coûte encore 300 milliards de dollars par an aux sociétés américaines. Les frais d'assurance maladie pour les employés présentant un fort taux de stress sont 46% plus élevés que ceux de leurs collègues dont le taux est plus bas. Plus de la moitié des employés déclarent que le stress au travail les a incités à chercher un nouvel emploi, démissionner ou refuser une promotion.

Et puis il y a aussi le développement forcené de la technologie - dans nos vies, nos foyers, nos chambres à coucher, nos cerveaux. L'utilisateur de téléphone intelligent lambda consulte son téléphone toutes les six minutes et demie, ce qui correspond à 150 fois par jour. Il est difficile de renoncer à ce genre de stimuli - nous sommes forcés de nous connecter. Mais le type de connexion qui vient souvent de la technologie est non seulement un ersatz insatisfaisant de connexion, c'est aussi une sirène d'alarme (ou un bip, ou une lumière clignotante) qui commence à envahir le temps dédié aux connexions réelles. Pire, il reconfigure nos cerveaux pour nous rendre moins adeptes des connexions réelles. David Roberts, journaliste pour Grist.com, a vu sa vie changer et a décidé de réagir. «Je suis salement épuisé», écrit-il dans une lettre d'au revoir à internet et à son boulot. Il poursuit:

«J'aime partager des vannes toute la journée sur Twitter, j'aime écrire de longs et étranges billets de blogue la nuit. Mais ce train de vie a ses inconvénients. Je ne dors jamais assez. Je n'ai aucun hobby. Je travaille en permanence... Je ne suis jamais déconnecté.

Cela a un drôle d'effet sur mon cerveau.

Je pense en termes de tweets désormais. Mes mains se mettent à trembler quand je suis loin de mon téléphone pendant plus de 30 secondes. Je ne peux même plus faire pipi sans m'ennuyer. Je sais que je ne suis pas le seul à twitter aux toilettes... Le monde en ligne, dont il faudrait que je me souvienne qu'il ne représente qu'une part infime et non représentative du peuple américain, est devenu mon monde. J'y passe plus de temps que dans le monde réel, y ai plus d'amis que dans la réalité.»

Je lui souhaite bonne chance pour son année sabbatique. Il n'est pas le seul à ressentir les effets suffocants du déluge de courriels que nous avons laissé submerger nos vies. Une étude datant de 2012, effectuée par le McKinsey Global Institute, a révélé qu'un employé moyen dans le domaine de l'économie passe 28% de son temps à consulter ses courriels - plus de 11 heures par semaine. SaneBox, qui conçoit des logiciels servant à filtrer les courriels, révèle qu'il nous faut 67 secondes pour assimiler chaque courriel arrivant dans notre boîte de réception. «Il est temps que l'on se rende compte que ce processus nous fait du mal», a déclaré Dmitri Leonov, de SaneBox, à une journaliste du magazine New York.

De fait, le mal est déjà fait. Une étude effectuée par des chercheurs de l'université UC Irvine et l'armée américaine est arrivée à la conclusion que ne pas consulter sa boîte courriel - prendre des «pauses sans courriel» - réduisait le stress et permettait de mieux se concentrer. Cela peut aussi avoir des effets profonds dans le cas où la totalité des employés d'une entreprise décide de prendre des «pauses de courriel». C'est ce que Shayne Hughes, PDG de Learning as Leadership, a décidé de faire, annonçant que «tout courriel interne est interdit pour la semaine à venir». Les employés étaient sceptiques, mais, selon lui, les résultats ne laissaient pas la place au doute. «Cette mentalité électrisante de toujours vouloir être en mesure de contrôler ce qui se passe par courriel a disparu, a-t-il écrit dans Forbes. À la place, nous avons fait l'expérience d'une énergie plus concentrée et productive... La baisse de stress du jour au lendemain était palpable, à l'instar de notre hausse de productivité.» L'expérience, a-t-il conclu, «nous a rapprochés du pouvoir négligé de l'interaction humaine.» De manière similaire, en 2011, Volkswagen a obligé ses employés à prendre de mini-pauses sans courriels en désactivant les boîtes courriel sur leurs téléphones portables en dehors des heures de travail.»

L'attrait de la technologie est tel que nous avons souvent besoin de l'intervention d'autrui pour nous sauver de nous-mêmes (et, par là même, nous reconnecter avec nous-mêmes). Parfois cette intervention arrive trop tard. Dans une tribune libre parue dans le New York Times, Erin Callan, ex-PDG de Lehman Brothers, a évoqué les leçons qu'elle a apprises sur le surmenage. «La priorité était toujours le travail, avant ma famille, mes amis et mon mariage - qui s'est achevé quelques années plus tard», a-t-elle écrit. Elle a quitté Lehman quelques mois avant que Lehman nous quitte tous et, au cours des années suivantes, elle a appris à quel point il était important de travailler, et vivre, d'une manière différente. Mais, en regardant en arrière, elle se rend compte que le surplus de travail était contre-productif. «Je crois désormais que j'aurais pu obtenir les mêmes résultats en ne gâchant pas ma vie personnelle», écrit-elle. De fait, travailler jusqu'à l'épuisement n'était pas seulement mauvais pour elle, c'était aussi mauvais pour Lehman Brothers. Voilà la connexion qu'il nous faut tracer si nous voulons accélérer le changement dans notre manière de vivre et de travailler.

Selon une étude de la Harvard Medical School, 96% des hauts dirigeants se disent épuisés, dont un tiers à un niveau extrême. L'une des lignes de défense de Steve Cohen, PDG de SAC Capital, qui été inculpé le mois dernier, reposait sur le fait qu'il ait raté un avertissement sur le délit d'initiés à cause des 1000 courriels qu'il reçoit chaque jour. Par ailleurs, en 2011, après moins d'un an à la tête du Lloyds Banking Group, Antonio Horta-Osorio a pris un congé de deux mois. «[C'était] physique, trop de travail, manque de sommeil, voire pas de sommeil du tout», explique Win Bischoff, président de la Lloyds'.

«Rétrospectivement, j'aurais dû y aller un peu plus doucement», a déclaré Antonio Horta-Osorio.

Rien d'étonnant à ce que les PDG se trouvent si souvent du mauvais côté de l'écran. Comme l'a expliqué le psychologue Douglas LaBier dans un article paru dans le HuffPost, le pouvoir implique le danger de perdre les qualités nécessaires aux leaders. Une étude a révélé qu'u plus grand pouvoir réduit l'empathie. Une autre étude a démontré que le pouvoir rendait «enclin au rejet» ou inapte à comprendre le point de vue d'autrui. Voilà pourquoi le moindre outil permettant d'augmenter la conscience de soi-même ainsi que l'habilité à écouter et à être présent pour les autres est d'autant plus crucial.

Le plus gros obstacle empêchant notre redéfinition primordiale du succès de gagner du terrain est la croyance fausse que le surplus de travail est la clé de performances élevées et d'excellents résultats. Pour se rendre compte de la folie de cette croyance, il suffit d'observer le monde des sports, où les performances sont mesurables de manière encore plus objective. Cheri Mah, de la clinique Stanford pour les troubles du sommeil s'est aperçue que lorsque les athlètes dormaient plus (jusqu'à 10 heures par nuit pendant cinq semaines), leurs performances devenaient meilleures. «Le sommeil est primordial dans ma discipline», a déclaré le marathonien Ryan Hall. La récupération est le facteur limitant, pas ma capacité de bien courir. Je dors en moyenne huit à neuf heures par nuit et je me réserve 90 minutes de sieste l'après-midi.»

Selon Tony Schwartz, PDG de The Energy Project, il n'y a rien d'étonnant à ce que les principes en vigueur dans le sport soient aussi vrais dans le monde du travail. «Lors d'un entraînement physique, écrit-il, c'est pendant le repos et le renouvellement que s'opère le développement musculaire.» De la même manière, c'est pendant les périodes de sommeil et de repos que l'esprit se recharge. L'important est d'avoir «les plus grosses ondes cérébrales entre l'activité et le repos». De mettre son esprit à l'épreuve, mais aussi d'avoir des temps morts volontaires et complets. «Ces mouvements rythmiques peuvent nous servir tout au long de la journée, mais à la place nous vivons des vies linéaires et sédentaires, déclare Tony Schwartz. Nous passons d'un courriel à l'autre, de réunion en réunion, sans presque jamais en bouger, et en prenant rarement du temps pour récupérer mentalement et émotionnellement.»

Donc, non seulement il n'y a aucun compromis entre les bonnes performances et une vie pleine, mais cette dernière est en plus nécessaire pour des performances durables. Cela s'applique à la fois aux entreprises et aux individus. Il n'est pas d'entreprise dont les performances ne seraient pas améliorées par des employés plus sains, plus heureux, moins stressés, plus reposés et plus concentrés.

Et, oui, on peut y voir un paradoxe: ce qui est en jeu en vérité, est le but ultime d'une vie. Il s'avère que les outils et pratiques qui nous remettent en relation avec nous-mêmes et nous rendent présents à ce qui est réellement important dans nos vies, nous rendent aussi plus efficaces dans les domaines qu'ils font précisément passer pour beaucoup moins importants. En d'autres termes, ces pratiques - méditation, yoga, sommeil, renouvellement de soi-même, etc. - nous rendent meilleurs au travail, alors que dans le même temps, elle nous font prendre conscience que notre travail ne représente pas la totalité de qui nous sommes.

Si votre objectif du moment est seulement d'être meilleur au travail, ou si vous voulez que votre entreprise fasse de plus grands profits, il n'y a aucun mal à cela. Mais en parallèle, s'ajouteront de nouvelles perspectives - et c'est encore mieux.

Dans un article paru dans le New York Times, au sujet de la conférence «Réussir autrement» que nous avons tenue en juin, Anand Giridharadas a reconnu ce paradoxe. «Bien entendu, il y a aussi un risque dans cette approche. En portant une plus grande attention au bien-être pour ses effets bénéfiques sur le travail, il se pourrait qu'on gagne la bataille, mais perde la guerre. Le point essentiel reste l'idée que ce qui est bon pour le travail est bon pour nous.»

Mon côté optimiste m'indique que nous gagnerons les deux. Un jour, il n'y aura plus d'écran partagé en deux. En attendant, souvenons-nous d'éteindre régulièrement l'écran.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

1. Identifiez vos sources de stress

5 trucs pour éviter le stress

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.