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350 $ pour devenir la choriste d'Annie Villeneuve, suite et fin

Je suis «tombée de haut» lorsque j'ai pris conscience de la campagne de socio-financement lancée par la chanteuse et ex-vedette deAnnie Villeneuve la semaine dernière. Pour mettre quelques détails au clair, je ne suis ni jalouse d'Annie Villeneuve et de son succès, ni contre le concept de socio-financement en soi. Avec ma fausse campagne, je ne m'en prends pas non plus à l'individu qu'est Annie Villeneuve.
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Je m'appelle Ariane Zita, j'ai 27 ans, je suis chanteuse, compositrice, musicienne et, non, je ne suis pas connue.

Comme plusieurs d'entre nous, je suis «tombée de haut» lorsque j'ai pris conscience de la campagne de socio-financement lancée par la chanteuse et ex-vedette de Star Académie Annie Villeneuve la semaine dernière.

Effectivement, Madame Villeneuve réclame 60 000$ à ses fans pour réaliser son rêve d'aller enregistrer son cinquième opus à Nashville. Mais attention, ce n'est pas pour des raisons d'argent: elle fait plutôt appel à la collaboration de ses fans parce que c'est avec eux qu'elle a envie de le faire (l'album), comme elle le déclare dans sa vidéo de présentation. À l'heure où j'écris ces lignes, 228 collaborateurs lui ont déjà permis d'amasser plus de 30 000$, et il lui reste 52 jours pour atteindre son but. Je suis crampée ben raide.

Au-delà de la question du 60 000 $, ce sont les prix de participation qu'elle suggère qui m'ont fait rire jaune au point de lancer ma propre campagne de socio-financement que j'ai intitulée pour l'occasion «350 $ pour devenir choriste pour Annie Villeneuve».

En effet, pour la modique somme de 350 $, Madame Villeneuve propose à 20 chanceuses chanteuses (ou chanteurs) du dimanche, sans mention de talent ni d'expérience, de venir chanter sur son cinquième album en carrière. Si je peux me permettre d'émettre une prédiction: pas mal certaine qu'elle va couper tout ce beau monde là dans le mix.

À propos de ma démarche

Pour mettre quelques détails au clair, je ne suis ni jalouse d'Annie Villeneuve et de son succès, ni contre le concept de socio-financement en soi. Plusieurs artistes que je respecte se sont servi de cette technique pour sortir leur album, et jamais ne m'est venue l'idée de les trouver caves pour autant.

Avec ma fausse campagne (d'ailleurs, merci à tous mes donateurs) je ne m'en prends pas non plus à l'individu qu'est Annie Villeneuve comme l'a mentionné le site Monde de Stars, mais bien au delà de ça, à ce que l'on tend à appeler l'industrie, au vedettariat, à ce système déguisé en usine à chanson cheap qui monopolise PRESQUE toutes les ondes radiophoniques, la télévision, et en gros toute la machine médiatique franco-québécoise qui détermine pour nous sans même que l'on ne s'en rende compte de ce que l'on devrait consommer comme musique en nous bombardant de contenu sans même qu'on puisse se servir de notre libre-arbitre.

En gros, qui nous impose des vedettes comme on nous a imposé Annie Villeneuve il y a 14 ans alors qu'on la découvrait à l'émission Star Académie. Qui fait que, même si des centaines voire même des milliers d'artistes TRÈS talentueux ont sorti des albums depuis la sortie du single Un ange qui passe, on entend encore régulièrement cette chanson là sur les ondes, même après 12 ans, ne laissant presque pas de place aux nouveaux venus. Ça me rappelle un peu l'histoire de Nicola Ciccone qui, l'hiver dernier, a été jusqu'à inviter ses fans à boycotter une station de radio parce que leur comité de sélection (MERCI!) avait décidé de ne pas faire rouler son dernier titre. Si c'est pas ça prendre son succès pour acquis (et le monde pour des caves) je sais pas c'est quoi.

Nous, les nobody et les trous de culs

À une personne que je ne connais pas qui s'est adressé à moi la semaine dernière en me traitant de «Nobody» et de «Trou de cul» via une section commentaire quelque part sur internet, je poserais la question suivante: pouvez-vous mettre un nom, ou encore un visage, sans consulter personne ni même l'internet, sur la personne qui a composé la chanson thème de l'émission Salut Bonjour que vous écoutez tous les matins? Savez-vous qui a composé le jingle du Clan Panneton qui nous reste pris dans la tête depuis l'an 1997? Connaissez-vous le groupe montréalais Groenland dont une des chansons a servi en 2015 à agrémenter une publicité de la compagnie Apple? Que cette publicité a été diffusée internationalement et que des millions de gens à travers le monde l'ont regardée et entendue? Savez-vous à quel point c'est gros, le monde? Beaucoup plus gros que ville d'Anjou, vous savez.

Selon vous, est-ce que tous ces gens-là, juste parce qu'aucune de leur face n'a déjà fait la première page du magazine 7 jours, sont sans talent, pauvres, ou ont raté leur carrière? Sont-ils comme moi, des nobody et des trous de cul?

Vraies jobs et judéo-christianisme

À tous ceux qui pourraient en douter, je fais déjà partie de ceux et celles qui gagnent de l'argent avec la musique. Il n'y a pas juste Annie Villeneuve, Nicola Ciccone et Marc Dupré qui gagnent leur vie avec la musique. Non, je ne joue pas dans les bars 24/h sur 24 à passer le chapeau au plus offrant. J'écris de la musique de publicité, de film, je sors des albums qui passent assez à la radio pour que je puisse payer mon loyer, je pars en tournée et je suis parfois même aussi choriste, et on me paie pour que je le sois.

Alors oui, j'ai trouvé ça très drôle qu'on fasse croire à la population que d'être choriste, c'est un privilège, assez pour qu'on puisse, même sans talent particulier, réaliser le rêve de le devenir pendant 3h moyennant la somme de 350$, alors que moi, c'est mon métier. Ça fait sentir exactement comme si, moyennant 350 $, je pouvais aller faire semblant de poser des diagnostiques et des prescriptions dans un bureau de médecin pendant 3h parce que c'est un métier que j'ai toujours rêvé de pratiquer.

Ça me dérange aussi parce que c'est exactement le genre de move qui perpétue l'idée judéo-chrétienne que les artisans de la musique n'ont pas des vraies jobs, qu'on ne devrait pas se plaindre parce qu'on a du fun, que c'est un privilège de faire ce qu'on fait et non un métier, et que c'est correct de faire voyager un band 800 km aller-retour (le Québec, c'est grand) pour se faire payer en alcool et en visibilité, alors que tout ce que ça fait vraiment c'est de nous mettre l'étiquette «Cheap labour» dans le front, en plus de diminuer aux yeux de tous la valeur que peut avoir la musique.

En passant Annie, si je peux m'adresser à toi, s'il te plaît, ne viens pas dire que tu sensibilises les gens à la valeur de la musique. C'est correct d'avoir besoin d'argent, c'est correct d'oser le demander, mais là, ne pousse pas trop loin.

C'est pas tous les albums qui «valent» 60 000$. Et dans ceux qui en valent 5000 $, il y en a aussi de très, très bons.

Sur ce, je vous laisse, parce que vous comprendrez que, en tant que nouvelle chanteuse, je suis très occupée à crier au scandale.

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