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Lettre à ma fille

Jeudi soir, alors que nous étions installées sur l'herbe pour admirer le feu d'artifice de la Tour Eiffel, tu t'es blottie contre moi et tu m'as dit.
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Jeudi soir, alors que nous étions installées sur l'herbe pour admirer le feu d'artifice de la Tour Eiffel, tu t'es blottie contre moi et tu m'as dit «je sais que c'est bête, mais j'ai peur qu'il y ait un terroriste et qu'on ne l'entende pas à cause du bruit». Je t'ai embrassé sur le front en te disant qu'il n'y avait aucune raison d'avoir peur, que nous étions en sécurité.

Et puis nous avons marché jusqu'à la maison, tu t'es couchée, je suis venue te border dans ton lit et je t'ai souhaité une bonne nuit. Il était tard, la température agréable, j'ai fumé une cigarette et j'ai pris mon téléphone. Et là je les ai enfin vus, tous ces messages sur les réseaux sociaux. Tous ces posts pleins de désarroi, de colère, de tristesse, d'incompréhension, d'écoeurement. Et j'ai compris que quelque chose s'était passé.

J'ai allumé la télévision, en mettant le son tout bas pour que cela ne te réveille pas, et j'ai regardé les mêmes images encore, les mêmes images à nouveau. C'étaient les mêmes qu'à l'automne dernier à Paris, les mêmes que celles de Bruxelles au printemps, les mêmes qu'à Orlando il y a un mois, que celles d'Istanbul, de Badgad. Les mêmes qu'il y a quinze ans à New York. Oui, les visages étaient nouveaux sur mon écran au milieu de la nuit, mais les regards étaient les mêmes, perdus. Je les ai regardés pendant longtemps, scrutant le chiffre qui ne faisait qu'augmenter. Et à chaque fois qu'un est venu s'ajouter, j'ai senti mon coeur se serrer. 84. 84 rires qui se sont éteints. 84 histoires qui ont été coupées net. 84 voix que nous n'entendrons plus. Et des centaines de vies qui ne seront plus jamais les mêmes.

«Je sais que tu as peur, que tu t'inquiètes. Je te vois sursauter quand un bruit sourd surgit. Et c'est normal.»

Ces 84 vies rejoignent des milliers d'autres, fauchées alors qu'elles dansaient, chantaient, voyageaient, se promenaient, s'aimaient. Et je sais bien que cela pourrait un jour être ta vie, ou la mienne, ou celle de n'importe qui d'autre. Je le sais bien et j'en suis désolée.

Je suis désolée mon Héloïse.

Désolée que ce soit là le monde que nous, les adultes, nous allons vous laisser.

Je suis désolée que du haut de tes presque 10 ans, les premiers mots qui te soient venus aient été «je savais qu'il allait se passer quelque chose, je te l'ai dit».

Je suis désolée que toi, une enfant, au milieu de la fête tu t'inquiètes de cela.

Je suis désolée d'être soulagée que tu saches comment faire face à une prise d'otages ou à une attaque terroriste à l'école.

Je sais que tu as peur, que tu t'inquiètes. Je te vois sursauter quand un bruit sourd surgit. Et c'est normal.

Mais ce que je veux te dire, mon Héloïse, mon petit chat, c'est qu'ils ne gagneront pas. Ils ne peuvent pas. Parce que nous sommes des millions. Parce que tu es là et que tu ris. Pour toi je ne peux pas les laisser gagner. Pour toi et pour tous les enfants du monde.

Vous méritez un monde en paix. Vous méritez de vivre une enfance heureuse sans avoir à vous soucier des bombes, des pleurs, des armes et des fanatiques.

Alors, pour toi, pour que tu comprennes que nous sommes plus forts que leur haine, je t'emmènerai chanter à des concerts jusqu'à ce nous n'ayons plus de voix, je danserai avec toi jusqu'à ce que nos pieds nous fassent mal, nous irons voir des feux d'artifice jusqu'à ce que nos yeux soient emplis de lumière, nous irons manger au restaurant à en avoir mal au ventre, nous prendrons l'avion et visiterons le monde, nous décorerons notre maison d'un millier d'arcs-en-ciel, nous nous réjouirons des milles et un petits bonheurs de la vie, de Lulu qui ronronne à une belle journée sur la plage, et surtout nous serons plus libres que l'air.

J'ai confiance en toi, mon Héloïse, parce que je sais que tu seras demain une femme brillante, heureuse, ouverte, libre et généreuse. Je te vois déjà comprendre le monde mieux que bien des adultes. Parce que tu sais que quelles que soit notre nationalité, notre couleur, notre religion, que nous soyons des hommes, des femmes, qui que nous aimions, que nous soyons riches ou pauvres, nous sommes tous les mêmes.

Même si tes amis et toi vous êtes le monde de demain et je te promets, mon Héloïse, que je vais essayer de toutes mes forces de vous laisser un monde un peu moins sombre, où les seuls cris que nous entendrons seront des cris de joie.

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