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Pourquoi j'ai pardonné à l'homme qui m'a violée

Pardonner est un acte fort. Pardonner est un acte de libération et de délivrance, c'est arrêter de vivre le passé au présent.
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Pardonner, c'est aussi se pardonner, et faire la paix avec soi-même.
Steve Smith via Getty Images
Pardonner, c'est aussi se pardonner, et faire la paix avec soi-même.

Cet article a pour but de partager une réflexion personnelle sur un thème qui me tient à cœur, celui du pardon et de son pouvoir.

Peut-on tout pardonner?

Cette question pourrait être un sujet du bac en philosophie. On m'aurait posé cette question il y a quelques années, j'aurai répondu non. Il y a des choses qui ne peuvent pas être pardonnées, comme un crime, un viol.

Mais aujourd'hui, j'ai évolué et après un travail sur moi, je pense sincèrement que oui, il est possible de pardonner. Je ne dis pas que c'est facile, c'est même un choix très difficile, mais dans mon cas, c'était une étape nécessaire à ma guérison, pour avoir enfin la paix intérieure. Pardonner m'a rendue libre. Cela a pris du temps, beaucoup de temps, 20 ans dans mon cas. Pardonner est un choix qui est personnel, personne d'autre ne peut le faire à notre place. Je ne dis pas que c'est la seule et unique voie, je respecte le choix de chacun.

Par contre, je pense que les choses ne sont jamais figées: ce que l'on pense impossible un jour ne veut pas dire que nous le penserons toute notre vie... C'est ce qui m'est arrivé. Je partage avec vous mon propre parcours et ce qui m'a amené à faire ce choix.

Que signifie «pardonner»?

Pardonner ne signifie pas oublier. Pardonner ne veut pas dire se résigner, loin de là. Pardonner ne signifie pas non plus approuver les faits, ni les minimiser, ni excuser les actes commis. Les faits restent les faits, le crime reste un crime. L'intolérable le reste et le restera. Un viol reste un viol, et je n'ai jamais approuvé ni validé quoi que ce soit en donnant mon pardon, et je ne me suis jamais résignée à mon sort en pardonnant.

Pardonner signifie pour moi lâcher prise sur un passé que je ne pourrai jamais changer, abandonner tout espoir d'un passé meilleur.

Pardonner signifie pour moi lâcher prise sur un passé que je ne pourrai jamais changer, abandonner tout espoir d'un passé meilleur. Ne plus jamais être enchaînée à mon passé, et de pouvoir enfin vivre le présent.

Pardonner signifie que je ne veux plus que la haine, la colère, la rancœur, le désir de vengeance soient les sentiments qui guident mon cœur et ma vie.

Haine, colère et vengeance

Pendant si longtemps, j'ai vécu avec ces sentiments de colère et de haine envers les hommes. La soif de vengeance dans mon cœur, je ne voyais que le mal qu'on m'avait fait et que j'avais envie de rendre... Je mettais souvent tous les hommes dans le même panier, du côté du violeur, ou parfois pire, je les considérais comme des violeurs potentiels. J'avais tellement d'agressivité en moi, il suffisait qu'un homme me parle pour que je me braque, me renferme dans ma carapace de violence et de haine... On m'avait dit si souvent que j'étais froide ou, du moins, c'est l'impression que je donnais. C'était ma façon de me protéger.

Ma vision était bien entendu erronée, étroite, si limitée, mais la haine l'emportait sur la raison.

Ma vision était bien entendu erronée, étroite, si limitée, mais la haine l'emportait sur la raison. Non, tous les hommes ne sont pas ainsi et heureusement! Il m'a fallu encore un peu de temps pour en prendre conscience. Comme le dit si justement Gandhi, «vous ne devez pas perdre espoir en l'humanité. L'humanité est un océan: même si quelques gouttes sont souillées, l'océan ne le devient pas.» J'ai mis du temps à comprendre ces mots, mais maintenant je sais.

J'avais parfois un tel désir de vengeance en moi que j'avais envie de faire souffrir autant que j'avais souffert, j'ai eu souvent des pensées si violentes en moi. Si on m'avait donné une arme, et mis mon violeur à terre, à genoux devant moi, j'aurai sans doute été capable de l'abattre à bout portant, sans pitié, pour pouvoir me venger et me faire justice. Pour qu'il souffre à son tour et que la justice qui n'existait pas me soit enfin rendue... J'avoue que j'ai eu d'innombrables fois ces pensées. Cela me soulageait de savoir que le malheur d'un homme me rendrait enfin heureuse.

Remuer le passé

Je me souviens qu'il y a encore quelques années, j'avais demandé à ma mère de me donner le nom du complice du cambriolage, c'était aussi peut-être celui du violeur. Mes parents ont toujours eu de gros soupçons sur l'identité de l'homme à l'origine du cambriolage, et ils étaient fondés. Et moi, j'avais l'intime conviction que cette personne était également le violeur, il y avait en effet des chances que ce soit lui.

Ma mère de demanda alors pourquoi remuer ce passé tant d'années après, et pourquoi je lui demandais l'identité de cette personne.

– «Pour me venger», lui répondis-je.

– «Mais pour te venger de quoi?» me demanda-t-elle.

– «Pour me venger de ce qu'il m'a fait quand j'étais enfant, quand j'avais 15 ans. Je ne peux pas oublier même si toutes ces années sont passées, et aujourd'hui il est temps qu'il paie pour ses crimes.»

– «Mais qu'est-ce qu'il t'a donc fait?»

– «Il m'a fait des choses qu'on ne fait pas à des enfants, des choses graves et impardonnables.»

Et en un instant, elle a tout compris. Elle a enfin su ce que je sais, qu'elle avait toujours su au plus profond d'elle; ses soupçons étaient fondés. Elle en a eu la confirmation que trop d'années plus tard... Les larmes aux yeux, elle me demande confirmation, et elle a su en voyant mes larmes couler le long de mes joues. Toute cette souffrance enfouie en moi est remontée à la surface. Elle me croyait, et partageait ma douleur.

Je n'ai jamais eu le nom, elle ne me l'a pas donné, mais je ne lui ai pas redemandé non plus. Le fait qu'elle connaisse et partage ma souffrance, mon lourd secret, m'a libérée, et nous n'en avons plus jamais reparlé.

Je me souviens encore de cet épisode, car à cette époque j'étais encore dans mes droits pour porter plainte, je n'étais pas encore prescrite. C'est ce que je voulais faire en parlant de vengeance, j'avais envie d'aller jusqu'au bout et de faire ce que je n'avais pas pu faire à 15 ans, le dénoncer, de me battre, de me confronter à lui et faire tomber un à un tous ses complices. J'ai eu ce courage-là il y a quelques années, mais peu de temps après, ce désir de vengeance m'est finalement passé.

De la colère envers moi-même...

Oui, le ressentiment, la rancœur, le cœur rempli de haine envers les hommes, durci par la soif de vengeance, j'ai connu, et j'ai assez donné. Toute cette colère enfouie en moi, j'ai mis tellement de temps à réaliser que c'était de la colère envers moi-même, je me faisais ainsi du mal, ne pensant pas mériter autre chose que souffrance et peine. Parce que je ne m'aimais pas assez moi-même...

J'ai mis 20 ans à réaliser que mon bonheur ne peut pas dépendre du malheur d'un homme, mais qu'il ne dépendait que de moi uniquement, personne d'autre que moi.

J'ai mis 20 ans à réaliser que mon bonheur ne peut pas dépendre du malheur d'un homme, mais qu'il dépendait uniquement de moi, personne d'autre que moi. Il fallait donc que je cherche en moi... Oui, cet homme mérite d'être puni de ses actes, mais je n'ai pas besoin de le voir souffrir. Je n'ai pas besoin de le savoir malheureux, touché par une maladie incurable, derrière les barreaux ou tout simplement mort, pour commencer à penser enfin à moi. À m'autoriser à aller mieux, et à vivre enfin la vie que je mérite.

Son malheur ne me rendra jamais heureuse, ne changera pas ce passé qui fut et qui ne pourra jamais être changé.

Jusqu'au chemin du pardon

C'est un énorme travail personnel que j'ai dû faire sur moi-même pour arriver à cette constatation, à réaliser enfin ce qui me semble évident aujourd'hui. C'est ainsi que j'ai appris à pardonner pour pouvoir me libérer de toute cette rancœur enfouie en moi, cette colère que je retournais contre moi-même pour me faire souffrir, comme une autopunition.

Si je reste ainsi avec ces sentiments, alors c'est comme si je lui offrais le reste de ma vie...

Car si je ne change pas et si je ne pardonne pas, je resterais avec toute cette colère et cette haine. Et si je reste ainsi avec ces sentiments, alors c'est comme si je lui offrais le reste de ma vie... Est-ce que c'est ce que je veux? Est-ce que ma vie vaut la peine d'être ainsi sacrifiée pour lui? La réponse est NON. Il aurait ainsi tout gagné et il est hors de question que je lui fasse le cadeau de ma vie, de toutes ces belles années qui me restent à vivre, et je suis persuadée que ce sont les meilleures!

Pardonner, c'est aussi se pardonner, et faire la paix avec soi-même.

J'ai lâché prise sur ce passé, je n'ai pas besoin qu'il souffre, qu'il soit puni, ou de savoir qu'il regrette peut-être. Il sera certainement puni d'une façon ou d'une autre dans sa vie, mais je n'ai pas besoin d'en être témoin. J'ai bien trop à faire pour vivre pleinement ma nouvelle vie pour m'en soucier.

Se pardonner soi-même

Au-delà du simple pardon, c'est surtout un pardon à moi-même que je me suis offert. Pardonner, c'est aussi se pardonner, et faire la paix avec soi-même. Après avoir accepté de lâcher prise et pardonner, en acceptant de renoncer à la vengeance, j'ai appris à me pardonner de m'être oubliée, d'avoir abandonné la petite fille intérieure que j'étais et que j'ai finalement retrouvée.

C'est à partir de ce jour que j'ai appris à renaître de mes cendres, à vivre cette seconde vie que je choisis, et écrire la liste de mes envies. C'est ainsi que j'ai commencé ma liste de vie, ma bucket list pour réaliser mes rêves!

Pardonner est un acte fort. Pardonner est un acte de libération et de délivrance, c'est arrêter de vivre le passé au présent.

Pardonner est un acte fort. Pardonner est un acte de libération et de délivrance, c'est arrêter de vivre le passé au présent. En pardonnant, je n'ai pas oublié, je n'ai pas non plus approuvé les actes commis, mais en me libérant de ce passé, de cette colère et envie de me venger, je me suis découverte moi-même: une femme unique, courageuse et forte, remplie de ressources inexploitées et de potentiel infini.

Je mérite la paix, et cette paix intérieure était au bout du pardon. La paix intérieure est le but que je poursuis, pas la vengeance.

Je terminerai sur cette magnifique citation, bouleversante de vérité. Elle résume toute ma pensée dans une unique phrase, et je n'aurai pas dit mieux:

Pardonner, c'est rendre sa liberté à un prisonnier. Et se rendre compte que le prisonnier, c'était vous.

Lewis B. Smedes

Ce blogue a d'abord été publié sur le HuffPost France.

Ce billet est également publié sur le blogue Les Résilientes.

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