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Le Royaume: quand le guide se perd en chemin

est un beau projet, réalisé avec minutie et honnêteté, qui aurait gagné à être resserré. La lecture est facile et, la plupart du temps, agréable, mais le tout baigne dans une mièvre spiritualité qui, au final, m'a quelque peu tapé sur les nerfs.
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Je n'avais jamais lu Emmanuel Carrère avant Le royaume; je savais pourtant que L'adversaire est tenu par plusieurs pour un grand roman. De plus, il y a trois ans, tout le monde de mon entourage semblait lire ou avoir lu son Limonov. Bref, me demandant si je ne passais pas à côté de quelque chose, j'ai plongé avec enthousiasme dans son petit dernier, une brique de plus de six-cent pages.

Le récit (il s'agit bien d'un récit et non d'un roman) s'appuie sur deux personnages historiques : Paul et Luc. Le premier est un prédicateur zélé qui se promène dans l'Empire romain pour répandre la nouvelle de l'arrivée - ainsi que de la crucifixion - de Jésus, qu'il n'a pourtant pas connu. Il fonde de nombreuses petites églises sur les côtes du Proche-Orient, avec lesquelles il garde contact par correspondance. Le second est tout le contraire : fuyant les conflits, il préfère la modération et cherche avant tout à ne pas faire de vagues. Intrigué par la figure de Jésus, il enquête pour recueillir des témoignages de gens qui l'on connut et finit par mettre la main sur quelques feuillets de paroles qui lui sont attribuées (la « source Q », aujourd'hui perdue). Carrère fait appel à d'autres « personnages » secondaires, dont son cousin Hervé, l'historien Flavius Josèphe, le philosophe Sénèque et le romancier américain Philip K. Dick.

Dès le début, j'ai été charmé par le choix de l'auteur d'assumer lui-même la narration (peut-être cela me rappelait-il mon premier contact avec Kundera, dont la voix m'avait séduit dès la première page de L'insoutenable légèreté de l'être). Toute la première partie du livre traite de la « période catholique » de l'auteur qui, dans la vingtaine, s'était réfugié dans la foi chrétienne pour palier à son mal de vivre. Il relit ses cahiers de l'époque avec embarras et cherche à comprendre comment des gens peuvent croire à un récit aussi saugrenu que celui de la Bible. Qu'est-ce que la foi ? la croyance ? Comment une secte inconnue s'est-elle transformée en une institution riche et puissante, toujours en place deux millénaires plus tard ? Il retourne donc au Nouveau Testament afin de trouver des réponses.

Le livre de Carrère nous transporte à travers l'Empire romain au milieu du 1er siècle de l'ère chrétienne, alors que Jésus est à peu près inconnu. L'Empire s'étend de la Bretagne à la Syrie; Romains, Juifs et Grecs cohabitent dans une indifférence à peu près harmonieuse, jusqu'à ce que les Chrétiens soient accusés d'avoir causé l'incendie de Rome en 68 et que la révolte des Juifs aboutisse en 70 à la destruction du temple de Jérusalem par les Romains. Le royaume est un véritable cours d'histoire des débuts du christianisme; son travail de recherche est impressionnant. Son projet m'a beaucoup fait penser à La constellation du lynx de Louis Hamelin, tous deux cherchant à éclairer les zones d'ombre de l'Histoire.

Carrère y est nuancé, critique et nullement moralisateur. Sa sincérité et sa lucidité nous séduisent d'emblée, mais le livre finit par s'essouffler; on perd de vue son objectif et on se désintéresse de son enquête. La forme n'aide pas : jamais l'action n'y est mise en scène, et Carrère reste toujours au-dessus de son texte, ce qui devient un peu lassant. On en vient même à se demander s'il se sert de sa propre expérience pour aborder le christianisme ou si, au contraire, le christianisme est un prétexte pour parler de lui-même.

Le Royaume est un beau projet, réalisé avec minutie et honnêteté, qui aurait gagné à être resserré. La lecture est facile et, la plupart du temps, agréable, mais le tout baigne dans une mièvre spiritualité qui, au final, m'a quelque peu tapé sur les nerfs.

Emmanuel Carrère, Le royaume, Paris, P.O.L., 2014, 630 p.

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