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Ne pas voir la couleur est un privilège

Les Blancs ont la liberté de «ne pas voir la couleur» si tel est leur désir, mais les personnes noires ne peuvent pas en faire autant.
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Ceci n'est pas un billet portant sur la controverse entourant le spectacle «SLĀV» de Betty Bonifassi et Robert Lepage. Il ne s'agit pas non plus d'un commentaire sur la légitimité de son annulation. Vos fils d'actualité Facebook contiennent suffisamment d'opinions virulentes sur ces sujets, et je présume que vous n'avez sans doute pas besoin d'en inclure une autre à votre journée.

Non, en fait, ici, je désire m'exprimer sur un élément du discours qui a suivi cette gigantesque tempête sociomédiatique: la prétention de ne point voir la couleur.

Certes, je sais que l'expression ne doit pas être prise de manière littérale. Je saisis parfaitement ce qu'on cherche à exprimer en disant cela: le sort d'un individu dans une société donnée ne devrait jamais dépendre de la couleur de sa peau. C'est noble en soi. En effet, le tout paraît empreint d'une volonté de progrès social qu'on se doit bien de reconnaître. Cependant, je suis d'avis que cette déclaration comporte un certain manque de perspective. Je m'explique.

Les Blancs ont l'immense liberté de «ne pas voir la couleur» si tel est leur désir.

Mettre les choses en perspective

Avez-vous déjà entendu quelqu'un d'assez fortuné dire que l'argent n'est pas vraiment important à ses yeux? Ça peut paraître contre-intuitif, mais c'est plausible. On peut très bien toucher un excellent salaire et ne pas faire de son portefeuille une véritable obsession, en choisissant plutôt de se concentrer sur le bien-être de sa famille, ou alors de pratiquer une discipline sportive ou artistique, par exemple.

Or, même si je ne doute pas de la sincérité des riches qui disent ne pas penser à l'argent outre mesure, je me permets un constat: c'est lorsqu'on possède de l'argent qu'on a la liberté de ne pas trop y penser. Une personne vivant sous le seuil de la pauvreté n'a pas ce loisir. L'argent occupe inévitablement une place prépondérante dans sa vie, puisqu'elle doit s'assurer d'en avoir assez pour manger, se loger. Pour vivre, quoi. C'est un souci constant. Le riche a le choix de penser ou pas à ses moyens financiers. Un pauvre, non.

Vous voyez sans doute où je veux en venir. Les Blancs ont l'immense liberté de «ne pas voir la couleur» si tel est leur désir. Mais les personnes noires, qui tout au long de leur histoire ont dû faire face à une oppression systémique, ne peuvent pas en faire autant.

Certes, on n'est plus à l'époque de l'esclavage, mais il serait naïf de croire que la fin du racisme systémique est derrière nous.

Qu'elles le veuillent ou non, ces personnes se feront rappeler qu'aux yeux de beaucoup, la couleur de leur épiderme précède tout autre attribut qui caractérise leur humanité. C'était résolument vrai durant l'époque de la traite d'esclaves, notamment dans les balbutiements de l'histoire des États-Unis. Or, tristement, il reste encore des traces de ce douloureux passé aujourd'hui.

Les policiers américains tuent des Noirs en pleine rue, sans subir la moindre conséquence juridique. Les Noirs sont également du côté faible du fameux «wealth gap». Leur accès à l'emploi et au logement est souvent court-circuité par des préjugés honteux. Leur représentation à l'écran est souvent problématique. Et avec la récente montée de la droite identitaire à l'échelle mondiale, les personnes noires ont toutes les raisons de croire qu'on ne leur veut pas nécessairement du bien. Certes, on n'est plus à l'époque de l'esclavage, mais il serait naïf de croire que la fin du racisme systémique est derrière nous.

Pour des Blancs qui n'ont jamais fait l'expérience personnelle du racisme systémique, il paraît sans doute parfaitement possible de, par exemple, choisir des chanteuses pour un spectacle sur l'esclavagisme «en ne voyant pas la couleur». Mais peut-on blâmer des personnes noires de sentir qu'on aurait peut-être pu demander leur avis avant de mettre en scène les fruits de la souffrance de leurs ancêtres? Rappelons-le, cette souffrance existe encore aujourd'hui dans de nouvelles formes.

Les Noirs d'aujourd'hui en ont malheureusement hérité, comme en témoignent les exemples cités plus haut. Ainsi, les Noirs de ce monde voient nécessairement la couleur, ils n'ont pas le choix, parce qu'on leur rappelle trop souvent que la leur ne plaît pas à certains. C'est pour cette raison que leur perspective (celle de Webster, par exemple) est résolument pertinente.

Autrement dit, ne pas voir la couleur est un privilège dont seuls les Blancs peuvent jouir. Certes, il serait formidable de vivre dans un monde où personne ne tient compte de la couleur, où tous agissent également envers tous, sans que personne ne soit victime de discrimination sur la base de la couleur. Or, nous n'en sommes pas là. Le racisme existe encore. Conséquemment, les victimes existent encore elles aussi, et si nous désirons progresser socialement, leur point de vue doit faire partie du dialogue.

Plutôt que de se camper dans ses bonnes intentions, je crois qu'il faut tendre l'oreille et écouter. Plutôt que de systématiquement passer en position défensive, cherchons à comprendre le malaise d'autrui. Ça ne veut pas dire qu'on doit tout prendre pour du cash. J'abhorre les extrémistes autant qu'un autre. Ça veut seulement dire qu'on gagnerait à faire preuve d'une certaine empathie les uns envers les autres.

C'est en se parlant qu'on va réussir à mieux vivre ensemble.

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