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Les électeurs devraient revoter une fois que le contenu réel du Brexit aura été fixé

Le peuple britannique ne pourra émettre un jugement fondé que lorsqu'il aura sur la table un programme plausible, et que son contour définitif aura été accepté par les 27 autres États de l'UE.
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Le texte qui suit est la version écrite des propos prononcés par Lord Anthony Giddens devant la chambre des Lords le 5 juillet. Il a été légèrement modifié pour plus de clarté.

Le référendum sur l'Union européenne s'est tenu, et la voix du people doit être respectée. La personnalité qui émergera comme premier ministre, quelle qu'elle soit, a l'obligation d'ouvrir des négociations pour examiner les dispositions futures qui pourront être prises avec le reste de l'union. Il ou elle doit admettre que ces négociations ne se tiendront pas avec l'épouvantail factice de Bruxelles, mais avant tout avec les 27 autres États membres, dont les réactions ont de fortes chances d'être fort variables. Un divorce à l'amiable est improbable, et des problèmes fondamentaux pointent à l'horizon. Nous pouvons en voir les conséquences précoces dans le chaos qui s'est emparé de la vie politique britannique.

L'origine malheureuse du référendum sur le Brexit explique en bonne partie pourquoi nous en sommes arrivés là. Le discours que le premier ministre a prononcé chez Bloomberg, dans lequel il prenait l'engagement d'organiser un référendum, ne trouvait pas sa source dans des préoccupations largement partagées au sein de la population vis-à-vis de l'UE, mais plutôt dans le besoin de calmer les querelles internes à son parti avant les élections. Il tentait de protéger sa propre position et de maintenir l'unité de sa formation. Résultat: la situation quelque peu ridicule qui l'a vu annoncer le référendum -puis passer tout son temps à expliquer à quel point il était crucial que le Royaume-Uni reste dans l'Union.

Un divorce à l'amiable est improbable, et des problèmes fondamentaux pointent à l'horizon.

Une décision de cette portée aurait dû émaner de préoccupations largement partagées au sein de la population plutôt que des querelles internes d'un parti. En conséquence, des problèmes fondamentaux de légitimité se sont fait jour, qui se révéleront destructeurs s'ils ne sont pas pris en compte à un moment ou à un autre. On ne peut pas impliquer les électeurs seulement au début, ou c'est en tout cas le point de vue que je développe ici.

Parce qu'il trouve son origine dans les affrontements internes à un parti, le référendum n'a pas atténué les divisions qui traversent ce pays, mais a au contraire -comme nous le savons tous- contribué à les approfondir et même à engendrer des tensions là où il n'en existait que peu voire aucune. Les antagonismes entre le nord et le sud de l'Angleterre, entre les plus et les moins favorisés, entre les nations qui composent le Royaume-Uni, entre générations et entre l'«establishment» et le peuple ne sont désormais que trop évidents et ont fait l'objet d'innombrables commentaires.

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Le premier ministre britannique David Cameron lors de l'annonce de sa démission le 24 juin

Ceux qui ont milité pour quitter l'UE, et ont remporté cette journée, ont été bien incapables de s'accorder sur ce que «sortir» signifie concrètement -et leurs désaccords sont assez profonds. Ils n'ont pas été résolus pendant la campagne, mais simplement trafiqués. Raison pour laquelle le camp du Brexit a si dangereusement joué avec la vérité, ses principales têtes d'affiche reniant certaines de leurs principales promesses le lendemain même de leur victoire au référendum.

On trouve d'un côté les extrémistes du marché libre, qui pensent qu'une sortie de l'UE libérera la Grande-Bretagne et lui permettra de commercer avec le monde entier, et qui souhaitent du même coup abandonner le marché unique. Ils se fichent bien des traditions ou du passé et sont pour la plupart d'entre eux pro-immigration par intuition. De l'autre côté se tiennent les nostalgiques de coutumes et de mode de vie en voie de disparition, qui veulent fermer les frontières et recouvrer une souveraineté perdue. Ils sont hostiles aux grandes entreprises et affirment se battre pour Monsieur et Madame Tout-le-monde.

Il n'existe aucun programme cohérent sur la suite à donner.

Ces béantes fractures idéologiques sont la raison pour laquelle il n'existe aucun programme cohérent sur la suite à donner. Elles sont également responsables de la descente du camp du «Leave» dans un vain populisme -parfaitement représenté par la remarque absurde de Boris Johnson qui affirmait que dans les négociations avec le reste de l'UE il voulait avoir sa part du gâteau et la manger. Eh bien, j'imagine que ça rend la digestion plus aisée.

Le peuple britannique ne pourra émettre un jugement fondé que lorsqu'il aura sur la table un programme plausible, et que son contour définitif aura été accepté par les 27 autres États de l'UE. Le dilemme central qu'il implique est bien connu, mais pourrait bien être impossible à résoudre. Quasiment la moitié des exportations britanniques se font à destination du reste de l'UE. La plupart étant des services plutôt que des biens. Le «mécanisme de passeport» -l'absence de barrières réglementaires pour les entreprises- est la condition indispensable pour réussir, dans le cas des services.

Mais le cas du secteur manufacturier est analogue, dans la mesure où les réglementations communes en matière de production et de packaging permettent un niveau d'intégration et de coopération qui serait sinon impossible à atteindre. Comme le professeur Michael Dougan de l'Université de Liverpool l'a souligné, la principale question n'est pas celle de la présence ou de l'absence de droits de douane, mais celle d'un autre niveau de collaboration. Pour reprendre ses mots, «il n'existe rien de comparable sur cette planète».

boris johnson brexit

L'ancien maire de Londres Boris Johnson, figure de proue du camp du Brexit, donne une conférence de presse à Londres le 30 juin

Sortir du marché unique même à moyen terme serait extrêmement problématique. Mais y rester implique avec une quasi-certitude d'accepter la liberté de circulation. S'il existe une voie pour sortir de ce dilemme, personne ne l'a encore trouvée. D'autres États qui disposent d'une sorte de statut d' État associé, comme la Norvège et la Suisse, ont dû accepter des compromis peu satisfaisants -- et ces deux pays connaissent des niveaux d'immigration rapportés à la population bien plus élevés que le Royaume-Uni. Je le répète, nous parlons ici de 27 États, dont certains vont résister avec férocité à tout compromis qui serait proposé.

Puisqu'il n'existe aucun programme ou stratégie sur lequel nous soyons d'accord, le gouvernement -quelle que soit la forme qu'il prenne en septembre- ferait une grosse bêtise en invoquant l'article 50 dans un avenir proche, même si un ou deux candidats au poste de premier ministre vont inévitablement promettre de le faire. Mais par ailleurs, les autres États membres de l'UE ne négocieront pas avant que ça ne se produise. Il s'agit là d'un second dilemme fondamental. Le Royaume-Uni n'a pas de bonnes cartes en main pour négocier, surtout si l'économie commence à plonger ou à entrer en franche récession, les investisseurs retardant leurs projets ou transférant leurs fonds sous d'autres cieux. Un dessin largement repris dans le monde entier montre un homme en chapeau melon sauter d'un avion, un drapeau britannique à la main -mais sans parachute.

- Pardon Monsieur, puis-je vous suggérer d'emporter un parachute ?- Merci, le drapeau fera l'affaire !Texte du tweet : La passion des Brexiters, dessin de Marian Kemensky (Slovaquie/Autriche) #Brexit #LeaveEU #Remain

Justement parce qu'aucun programme n'existe, il faut tout bonnement, sous une forme ou une autre, un nouveau et vaste rendez-vous populaire si -et quand- un accord est conclu avec le reste de l'UE. Une possibilité serait d'organiser un deuxième référendum lorsque nous saurons ce que «sortir» veut vraiment dire. Les électeurs pourront décider en fonction de l'offre concrète qui leur sera faite. La pression pour procéder ainsi pourrait devenir irrésistible. L'autre manière d'avancer, qui est peut-être plus probable, serait d'organiser des législatives anticipées.

Malgré les évidents dangers de ces options, si nous les rejetions toutes les deux, le désordre qui s'est déjà fait jour suite au référendum pourrait être bien peu de chose comparé à ce qui nous attendrait.

Cet article, initialement publié sur le WorldPost, a été traduit de l'anglais par Mathieu Bouquet.

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