Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Pourquoi ou comment devient-on terroriste en France?

Les étapes du « comment on devient terroriste » restent l'objectif central des pouvoirs publics. Certes, l'urgence immédiate est de déjouer de nouveaux attentats. Il faut bien sûr renforcer les structures antiterroristes, surveiller les vols internationaux, agir dans les prisons en ne livrant pas de très jeunes hommes, voire des adolescents, aux recruteurs potentiels; il faut identifier les imams autoproclamés sur Internet et dans la rue, développer l'information et les discussions autour d'une véritable instruction civique dans les établissements scolaires...
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

En mars 2012, à Toulouse et Montauban, Mohammed Merah assassine 7 personnes dont 3 enfants juifs. Né à Toulouse, élevé par un père violent et une mère incapable de faire face, il est placé à l'âge de 6 ans dans une famille d'accueil. Trois ans plus tard, il est admis dans une maison d'enfants et il en connaîtra cinq au cours des années qui suivent. Durant sa minorité, il est condamné à quatorze reprises par le tribunal pour enfants pour diverses affaires de dégradations, de manquements à l'autorité ou de vols. Il dit s'être radicalisé seul en prison, en lisant le Coran.

Le 24 mai 2014, au Musée juif de Bruxelles, Mehdi Nemmouche assassine 4 personnes. Né de père inconnu à Roubaix, abandonné par sa mère, il est en partie élevé par sa grand-mère avant d'être placé en famille d'accueil. Entre 13 et 22 ans, il est l'auteur de vingt-deux délits (vols de véhicule, violences volontaires, dégradations, vols à main armée). Il se radicalise en prison où il aura passé cinq années.

Le 7 janvier 2015, à Paris, Chérif et Saïd Kouachi assassinent 12 personnes dans les locaux ou à proximité du Journal satirique Charlie Hebdo pour « venger le prophète ». Nés à Paris, orphelins à 12 et 14 ans, ils sont placés dans une maison d'enfants à caractère social. Chérif Kouachi a eu affaire aux services de police pour des faits de petite délinquance (vols, drogue, petits trafics). Il se radicalise en prison : lors de l'année et demie qu'il passe, en 2005-2006, à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, il fait la connaissance de son nouveau mentor : Djamel Beghal (Abou Hamza) qui purge une peine pour un projet d'attentat contre l'ambassade des États-Unis à Paris.

Entre le 7 et le 9 janvier 2015, Amedy Coulibaly assassine 5 personnes (une policière municipale et 4 clients d'une supérette cacher). Né à Juvisy-sur-Orge, il a un très lourd passé de délinquance qui lui a valu des condamnations pour vols aggravés, trafic de stupéfiants, recel, et surtout une peine de six ans de prison prononcée par la cour d'assises des mineurs du Loiret pour un braquage. Lors de son dernier passage en détention (à Fleury-Mérogis), il est incarcéré dans le même bâtiment que Djamel Beghal et se radicalise. Il est également spirituellement guidé par sa compagne, Hayat Boumeddiene, née dans le Val de Marne, placée par l'Aide sociale à l'enfance après le décès de sa mère qui survient alors qu'elle a 6 ans, et partie, sans doute pour la Syrie, quelques jours avant l'attentat antisémite.

Ces cinq jeunes hommes et cette jeune femme sont nés en France. Tous (à l'exception d'Amedy Coulibaly) ont connu dans leur enfance le deuil ou l'abandon et la prise en charge par des services sociaux. Le terrorisme fait suite à la délinquance et la radicalisation s'opère en prison.

Il se dégage de la juxtaposition de ces histoires et de ces portraits un sentiment de fatalité, une impression de trajectoires inéluctables. Il n'est bien sûr pas question d'excuser les crimes atroces perpétrés par ces terroristes, mais il est important d'en rechercher les causes. Il faut bien faire la différence entre l'excusable et l'explicable. Comme le dit Alice Miller dans « C'est pour ton bien » : « La véritable compréhension sur le mode émotionnel n'a rien à voir avec une pitié ni un sentimentalisme de bas étage ». C'est cette compréhension qui est indispensable pour développer une véritable prévention. Et la question importante est bien : pourquoi devient-on terroriste et non comment, ce qu'on commence à relativement bien connaître (le rôle de la délinquance et de la radicalisation en prison, celui des recruteurs et d'Internet...).

Les étapes du « comment on devient terroriste » restent l'objectif central des pouvoirs publics. Certes, l'urgence immédiate est de déjouer de nouveaux attentats. Il faut bien sûr renforcer les structures antiterroristes, surveiller les vols internationaux, agir dans les prisons en ne livrant pas de très jeunes hommes, voire des adolescents, aux recruteurs potentiels; il faut identifier les imams autoproclamés sur Internet et dans la rue, développer l'information et les discussions autour d'une véritable instruction civique dans les établissements scolaires... Par ailleurs, les biographies rapidement esquissées ci-dessus montrent bien l'importance du suivi des enfants placés et de la bonne organisation des placements qui doit privilégier la recherche de la stabilité affective de l'enfant.

Mais surtout, on ne saurait faire l'économie d'une réflexion sur les causes profondes de la radicalisation, qui commence le plus souvent à l'adolescence, et donc sur la promotion d'une prévention très précoce auprès des familles et des très petits enfants. Mais la France est un pays qui manque cruellement de culture de prévention et de connaissances suffisamment répandues dans le public sur les besoins fondamentaux des enfants. Et les médias ne jouent aucun rôle pédagogique dans ce domaine, préférant l'information brûlante au recul et à la réflexion. Une première version de cet article, soumise aux pages débat d'un grand quotidien national le 13 janvier 2015, a suscité la réponse suivante :

« Nous vous remercions de l'intérêt que vous portez à nos pages Débats. Cependant, il est encore trop tôt pour que nous puissions nous prononcer, pour des raisons d'actualité. »

De nombreux travaux en psychologie ont montré que les jeunes enfants ne peuvent grandir, s'épanouir et devenir des adultes heureux, socialisés et responsables que si leurs besoins physiques, affectifs et éducatifs sont pleinement satisfaits, dès leur naissance, par les personnes qui s'en occupent, très généralement leurs parents, dans un cadre stable, aimant et sécurisant. On sait aussi que les carences affectives sévères, qu'elles soient le fait de familles naturelles défaillantes ou de discontinuités dans les placements, sont souvent associées à la survenue ultérieure d'une délinquance. Le terrorisme est-il une étape de plus pour exprimer sa colère dans des sociétés qui n'ont pas réussi leur politique d'intégration, comme c'est le cas pour la France selon le Comité des droits de l'enfant des Nations Unies? En 2009, à l'occasion du 20e anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant, ce comité insistait en effet beaucoup sur les pratiques discriminatoires de la France, recommandant « de nouveau à l'État partie de revoir sa position à l'égard des enfants appartenant à des groupes minoritaires ». Il se disait « préoccupé par la stigmatisation dont sont victimes, y compris dans les médias et à l'école, certains groupes d'enfants, en particulier [...] les enfants appartenant à des minorités et les enfants vivant dans les banlieues, ce qui conduit à un climat général d'intolérance et à une attitude négative du public envers ces enfants ».

L'humiliation dans l'enfance, source de dévalorisation de soi, ne peut pas rester sans conséquence; il suffit de penser aux Intifadas pour s'en convaincre. Il est probable que certains réagissent par le besoin compulsif d'acquérir, si nécessaire par le vol, ces biens de luxe qui leur sont interdits; d'autres, habités à la fois par un besoin de spiritualité et une rage vengeresse, sont devenus la proie des recruteurs du terrorisme. Une chose est sûre, il s'agit là d'un échec grave de la politique d'intégration et la France, comme d'autres pays (l'Angleterre notamment, qui a élevé en son sein des égorgeurs d'otages) sont responsable de ces failles.

Cette rage vengeresse contre la discrimination est particulièrement bien exprimée par Khaled Kelkal qui fit de nombreuses victimes en posant des bombes dans des trains en 1995. Dans un long entretien réalisé en 1992 par un sociologue allemand (Dietmar Loch) et publié dans Le Monde, il exprime le malaise qu'il ressent dans ce lycée où il est « le seul arabe ».

« Ma fierté, elle descendait, ma personnalité, il fallait que je la mette de côté... je trouvais pas ma place... Alors il fallait que je compte sur moi-même, obligé d'aller voler. Mais c'était surtout une question de vengeance. Vous voulez de la violence, alors on va vous donner de la violence. On parle de nous seulement quand il y a de la violence, alors on fait de la violence. » Et il appuie son sentiment d'exclusion sur une anecdote douloureuse : « à la fin de la troisième, en sciences, premier de la classe en sciences! Je fais mon dossier en biologie à la Martinière, à la Duchère [établissements scolaires lyonnais]. Ils ont vu mon dossier. Il y avait une fille qui était dans ma classe et qui avait pris la même chose. Elle était moins bonne que moi, c'était une Française. Ils l'ont prise, moi ils ne m'ont pas pris. Déjà, à partir de là, ça m'a cassé ».

L'action menée au niveau des phases finales du processus du terrorisme, quoique nécessaire, ne peut pas prétendre à l'éradiquer complètement. Le Patriot Act n'a pas empêché l'attentat du marathon de Boston. Ce qui est indispensable, c'est de retrouver les germes du terrorisme et de promouvoir ce qui peut rendre les enfants imperméables à sa tentation : le respect de leurs droits et de leurs besoins à travers l'éducation par les parents et l'instruction par l'école.

On ne peut donc qu'être extrêmement déçu par la « proposition de loi relative à la protection de l'enfant» adoptée par le sénat le 11 mars 2015, dans l'indifférence la plus totale, notamment quant à la couverture médiatique. Le texte, examiné préalablement les 11 décembre 2014 et 28 janvier 2015, réaffirmait initialement la pertinence de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance et se proposait de « compléter la loi précitée et rappeler que, dans tous les cas, l'intérêt de l'enfant doit être la préoccupation centrale du dispositif de protection de l'enfance ». La loi de 2007 avait introduit la notion de danger, ouvrant ainsi la voie à la prévention et on aurait donc aimé que soient rappelées et fortement appuyées toutes ses propositions préventives, principalement les divers bilans permettant de repérer les familles vulnérables et les enfants en danger : entretien prénatal précoce, bilans de santé réguliers effectués par la PMI et la médecine scolaire.

Le texte adopté le 11 mars 2015 constitue une véritable dérive par rapport à la loi de 2007. Il donne la pénible sensation que l'enfant, en tant que personne ayant des droits, a été totalement évacué des préoccupations des législateurs pour laisser la place à une institution : la Protection de l'enfance. Il n'est plus question de prévention, il n'est fait référence qu'aux enfants déjà placés et l'intitulé du titre 1er donne bien le ton : « améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l'enfance ». L'enfant en danger (pas encore maltraité, pas encore placé) a si bien disparu que les objectifs de la loi semblent confus, voire détournés, comme l'atteste le titre du seul article d'un grand quotidien (le Figaro), paru le 11 décembre 2014 : « Le Sénat examine une proposition de loi pour faciliter l'adoption des enfants placés ».

La PMI et la médecine scolaire, deux institutions préventives dédiées à l'enfance et créées par les ordonnances de 1945, ont fait l'objet d'un savant détricotage depuis plus de 10 ans maintenant et leur redonner toute leur vigueur est aussi important que de surveiller les aéroports!

Il est vrai qu'il faut beaucoup de courage politique pour mettre en place des mesures dont on ne connaîtra pas les résultats au terme d'un mandat, voire de deux. C'est probablement l'une des grandes raisons du délaissement des enfants en tant que priorité politique. Le temps politique et le temps de la prévention, tout particulièrement dans la petite enfance, sont pratiquement antinomiques. On l'a vu lors de l'application de la réforme des rythmes scolaires, fondée sur des réalités biologiques, les résistances sont venues de tous les côtés.

Les enfants sont des adultes en devenir. C'est une évidence, on l'oublie souvent. Ayons toujours présent à l'esprit que de petites enfances gâchées ne peut sortir qu'une société malade.

Miller A. C'est pour ton bien. Racines de la violence dans l'éducation de l'enfant. Aubier Éditions, 1984, réédition 2008.

Comité des droits de l'enfant. Nations Unies. Convention relative aux droits de l'enfant. CRC/C/FRA/CO/4. 22 juin 2009. Cinquante et unième session. Examen des rapports soumis par les états parties en application de l'article 44 de la convention. Observations finales du Comité des droits de l'enfant : France. Genève, 2009.

Moi Khaled Kelkal. Le Monde du 7 octobre 1995

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

"Les signataires par le sang" de Mokhtar Belmokhtar

Les mouvements islamistes en Afrique

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.