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Marche républicaine: l'espace d'un matin?

Mais que se passera-t-il demain ? Craignons les célébrations sans suite et les désillusions après l'euphorie. Dans un autre registre, celui de la joie partagée et non celui du deuil, la foule des Champs Elysées en juillet 1998, glorifiant sa jeunesse Black-blanc-beur lors de la victoire de la Coupe du Monde de football, devait aussi annoncer des lendemains qui chantent.
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C'est très impressionnant, une marée humaine presque silencieuse, sans slogans. La rue qui mène Boulevard Voltaire est bloquée par des barrières métalliques, le temps que passent les officiels étrangers. Une heure durant où la foule reste paisible, se réchauffe comme elle peut, chante la Marseillaise et sort ses portables pour tenter de joindre des proches coincés 100 mètres plus loin. La police est ovationnée, du jamais vu. Des pancartes proclament "Je suis Charlie, je suis juif, je suis musulman, je suis policier". Quand sur l'écran muet de la télé du café devant lequel nous sommes arrêtés, un sous-titre annonce la présence des représentants de l'Émir du Qatar, dont le pays est soupçonné d'être lié au financement des mouvements terroristes, une légère protestation s'élève, et encore: l'ampleur de l'événement dépasse tout.

On sait déjà que l'affluence est inouïe. Près de 4 millions dans toute la France, 300 000 à Lyon, 140 000 à Bordeaux, 80 000 à Marseille, un million et demi à Paris. Paris, qui a connu les foules de la Fête de la Fédération de 1790, des journées de février de 1848, de l'enterrement de Victor Hugo le 1er juin 1885, celles de mai 1936, d'août 1945, de mai 1968 a dépassé son meilleur. De la « soumission » houellebecquienne, je n'ai rien vu, et au contraire du climat de décadence ou de résignation qu'on nous sert, une foule fraternelle a depuis mercredi, répété que la division, l'intolérance, le racisme, l'antisémitisme, ce n'était pas elle. Not in my name...

C'est en fait à une catharsis que nous avons assisté, une libération par notre inconscient de nos terreurs et de nos traumatismes. « Nous n'avons pas peur », disaient les pancartes que portaient jeunes et moins jeunes, comme pour conjurer les peurs qui, au contraire, les assaillent: peur du déclin, peur du racisme, peur de la désunion, peur de l'insécurité, peur d'une société lézardée. Le peuple français, qui s'est levé en masse a choisi d'exorciser ses effrois en communiant dans ses contraires, la ferveur, la générosité, la résistance.

Mais que se passera-t-il demain ? Craignons les célébrations sans suite et les désillusions après l'euphorie. Dans un autre registre, celui de la joie partagée et non celui du deuil, la foule des Champs-Élysées en juillet 1998, glorifiant sa jeunesse Black-blanc-beur lors de la victoire de la Coupe du Monde de football, devait aussi annoncer des lendemains qui chantent. On a vu ce qu'il en était: d'élections en faits divers, de haines proclamées en attentats antisémites, de vexations contre les minorités en racisme anti-arabe, la France s'est endormie, chacun barricadé dans sa crainte de la différence, dans sa crainte de l'avenir, dans sa méfiance, dans ses rancœurs. Et tous les fondamentaux de la société française ont commencé de se fissurer : l'école dénigrée, les quartiers abandonnés, l'État méprisé, le travail raréfié, la solidarité entamée, la politique dégradée. Le chanteur et réalisateur français, Abd al malik, disait dimanche soir sur France 2 qu'il aimerait que la fraternité soit enfin, « pour de vrai » disait-il, une de nos valeurs-drapeau, et qu'on ne parle plus, « juste pour parler ».

Ajoutons qu'il faut que la France se pose enfin les vraies questions: pourquoi produisons-nous des djihadistes, qu'avons-nous fait ou pas fait de nos cités, allons-nous fabriquer de l'inclusion après tant d'années d'exclusions? Et mille autres questions. Pour que nous honorions vraiment les dix-sept morts tombés cette semaine il faut que le sursaut magnifique de tous les Charlie ne vive pas seulement ce que vivent les roses, l'espace d'un matin.

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