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Les deux habits de François Hollande

Dans le conte d'Andersen, le roi est nu et seul un enfant ose le dire. L'image fut reprise de multiples fois, (notamment par Simon Leys dans) et figure dans le langage courant pour signifier une imposture que personne n'ose énoncer, mais que l'évidence finit par faire éclater. Il en va tout au contraire pour le président François Hollande qui est aujourd'hui revêtu de deux habits différents, visibles par tous, mais regardés différemment.
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Dans le conte d'Andersen, le roi est nu et seul un enfant ose le dire. L'image fut reprise de multiples fois, (notamment par Simon Leys dans Les Habits neufs du Président Mao) et figure dans le langage courant pour signifier une imposture que personne n'ose énoncer, mais que l'évidence finit par faire éclater.

Il en va tout au contraire pour le président François Hollande qui est aujourd'hui revêtu de deux habits différents, visibles par tous, mais regardés différemment. Celui qui ne souffre pas discussion, celui du "Commander in Chief" comme aiment à dire les Américains, c'est le chef de guerre, chef des armées, défini dans l'article 15 de la Constitution de 1958.

Le second, qui lui est dévolu par la pratique de la Ve République, est celui de l'homme engagé, élu depuis 1962 au suffrage universel pour faire appliquer le programme pour lequel la majorité des citoyens l'a désigné. Et cet habit-là est à bon droit examiné à la loupe, et si possible déchiré par l'opposition.

La concordance dans le temps entre le port des deux habits n'est pas si fréquente. Cependant, c'est le cas depuis trois jours.

Depuis vendredi, François Hollande s'est paré de la tunique militaire en intervenant avec succès au Mali, au secours du gouvernement de ce pays, et avec mauvaise fortune en Somalie, échouant à faire libérer un otage, ce qui a coûté la vie de ce dernier, retenu en captivité depuis trois ans, ainsi que celle de deux soldats disparus.

Personne ou presque, parmi les chefs de partis, ne conteste encore cette entrée en guerre. Sinon Jean-Luc Mélenchon, qui aurait aimé que ces actions soient débattues auparavant à l'Assemblée, alors qu'elles ne pouvaient aboutir que dans le secret de leur organisation, et qu'elles sont du privilège absolu du chef de l'Exécutif. D 'ailleurs les dirigeants de l'opposition, qui connaissent les responsabilités d'Etat, lui ont apporté en chœur leur soutien. Celui-ci durera tant que l'opinion publique, indifférente ou solidaire, confortera l'action des forces armées françaises contre les terroristes qui, au Mali, minaient l'intégrité d'un Etat ami. Quelques morts plus tard, ou à quelques semaines d'ici, à l'instar de Dominique de Villepin qui rejoue sa posture de la guerre d'Irak, on lui reprochera sans doute d'intervenir trop longuement dans un conflit de guerre civile qui concerne peu la France. Mais ce n'est pas encore le cas.

Depuis quelques semaines en revanche -et surtout depuis hier où des centaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues de Paris- c'est la pertinence du programme du président, sa vision de la société française qui est contestée. La "manif pour tous", appelée ainsi par dérision du projet de loi gouvernemental du "mariage pour tous", est un succès, et une source d'inquiétude.

Succès, par son ampleur d'abord. Ce n'est pas à la hauteur de la manif de 1984 pour l'Ecole Libre, mais pas loin, et c'est en tout cas la mobilisation des "anti", la plus importante depuis l'élection de François Hollande.

Ensuite, parce que ce projet de loi a su fédérer des contraires (catholiques intégristes aussi bien qu'athées attachés à une conception traditionnelle de la famille), en faisant oublier les divergences au sein de chaque camp. Divisions au FN, tiraillé entre son aile moderniste et son aile ultra-conservatrice. Divisions à l'UMP où certains -comme Jean-François Copé- ont défilé avec les manifestants, alors que d'autres plus modérés -comme François Fillon- soutenaient sans participation comme on disait jadis des communistes, alliés en retrait des socialistes au Parlement. Divisions enfin au PS, qui a dû renoncer à la PMA pour faire adopter le projet de loi avec le minimum de réserves. Mais je pense aussi aux réelles réserves de ceux qui, comme Lionel Jospin ou sa femme, la philosophe Sylviane Agacinski, ne voient pas la nécessité d'aller au-delà du PACS, et qui sont hostiles à ce droit nouveau.

Au-delà des divisions, le mot "mariage" et surtout son corollaire, l'adoption, ont cristallisé les oppositions pour faire une réussite de cette journée, bien que la future loi ne soit pas remise en cause, au risque, pour le gouvernement de reculer, une fois encore. Succès donc, mais source d'inquiétude pour ceux qui voient le religieux revenir au grand galop, chrétiens, juifs et musulmans unis dans la réprobation de ces droits nouveaux ouverts aux homosexuels. Source d'inquiétude aussi pour qui peut craindre que les Français ne deviennent frileux vis à vis des évolutions de la société. A rebours de huit pays d'Europe qui ont sauté le pas, mettant sur un même pied d'égalité face au mariage civil - et pour la plupart aussi face à l'adoption - couples hétérosexuels et couples homosexuels : Pays-Bas, Belgique, Espagne, Suède, Norvège, Portugal, Islande et Danemark. Source d'inquiétude enfin devant l'occultation par tous, des grands problèmes que la France doit affronter dans les mois qui viennent: la combinaison de la réduction de sa dette et de la décrue du chômage.

Il serait dommage toutefois de faire de ce projet de loi l'ennemi numéro un du moment. Il n'oblige personne, n'enlève rien à quiconque, même si ses plus farouches partisans doivent entendre les réserves respectables qui agitent une opinion inquiète. Dans un pays démocratique, même si la parole est d'abord à la représentation nationale, on ne peut pas ignorer l'émoi de la rue.

Laurent Wauquiez, ancien ministre de Nicolas Sarkozy, qui défilait comme Claude Guéant, Christine Boutin, Bruno Gollnisch et Frigide Barjot, curieuse égérie du mouvement, disait à BFM, ceint de son écharpe tricolore de député, que c'était la première fois en tant qu'élu, qu'il participait à une manifestation. Il a de la chance, et on lui souhaite dans l'avenir de nombreux autres combats à mener.

Quant à François Hollande, il a pu espérer pendant deux jours que ses habits de chef militaire protègeraient son costume de chef politique. S'il avait des illusions, elles ont fondu à la pluie glacée de ce dimanche. Peut-être aurait-il dû faire une pédagogie plus active de ce projet de loi, car ceux qui sont en faveur du "mariage pour tous" ont moins de ferveur que ceux qui le contestent. Peut-être aurait-il dû organiser davantage de débats dans le pays pour convaincre, et laisser les arguments s'échanger autrement qu'à coups de manifestations. Tout légitime que soit son engagement, validé par l'élection, il n'est jamais bon de prendre à rebrousse-poil une société hérissée.

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