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Son plateau est rempli de femmes: outre les actrices, sa première assistante est une femme, son bras droit et sa productrice aussi; il a deset des directrices photo.
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Clara Palardy

Xavier Dolan commande une vodka double, straight up, sans glace, au bar du Manoir Saint-Sauveur. Stressé? Un peu. Ces temps-ci, Dolan vit et revit constamment les scènes de Laurence Anyways, puisqu'après un tournage étalé sur près d'un an, le jeune réalisateur a décidé de monter seul son prochain film, le troisième et dernier opus de sa trilogie sur les amours impossibles.

« C'était le plus gros, le plus ambitieux. Le défi était d'une dimension importante, à tous les niveaux, du sujet autant que du budget. C'est une autre ligue, carrément », affirme le réalisateur.

Doté d'un budget de près de 9 millions de dollars, Laurence Anyways raconte l'histoire d'un homme (le français Melvil Poupaud) qui décide, le jour de ses 30 ans, de changer de sexe. On le suivra toute une décennie, durant laquelle sa relation avec sa fiancée (Suzanne Clément) se transformera, et s'effritera inévitablement.

En attendant son achèvement (j'ai pu voir une bande-annonce très prometteuse, mais aucune date de sortie n'a été annoncée), on sait que Laurence réunit trois des muses de Dolan : Suzanne Clément, qu'on a vu dans J'ai tué ma mère, ainsi que Monia Chokri et Magalie Lépine-Blondeau, des Amours Imaginaires.

Entretien avec les Femmes de Dolan.

« J'écris pour les femmes »

« Il a été élevé par des femmes, il s'est toujours tenu avec des femmes, c'est un univers dans lequel il est vraiment plus à l'aise », déclare Suzanne Clément. « Son plateau est rempli de femmes: outre les actrices, sa première assistante est une femme, son bras droit et sa productrice aussi; il a des caméra-women et des directrices photo. Même le personnage de Laurence: c'est un homme...mais vraiment, c'est une femme.»

« Je pense que c'est assez clair que j'écris pour les femmes! C'est un classique des réalisateurs de mon orientation sexuelle, non?», refute Dolan en avalant une gorgée de vodka. « Gus Van Sant a jeté son dévolu sur la portion prépubère du botin de la Screen Actors Guild (SAG). Moi, comme j'ai grandi avec une mère monoparentale, ça me vient instinctivement de raconter mes histoires d'un point de vue féminin! »

Blagues à part, pour Magalie Lepine-Blondeau, « c'est un don.» Monia Chokri en rajoute: « Il écrit toujours de beaux personnages de mère dans ses films. Dans celui-ci, Nathalie Baye interprète la mère de Laurence, et elle est magnifique. Et nous, il nous a accolé le terme de 'muse', et je trouve ça un peu drôle. C'est comme si on était tout le temps ensemble, en groupe, qu'il nous regardait une après l'autre et écrivait pour nous! Mais il ne nous dirige pas dans la vie, quand il n'y a pas de caméra. Quoique... il pourrait en être capable! »

Une évolution fulgurante

Suzanne Clément a été témoin de l'évolution fulgurante du jeune prodige, de 17 à 22 ans. « J'ai fait J'ai tué ma mère, et ensuite quand je l'ai retrouvé sur le plateau de Laurence, j'ai été abasourdie! Il a vraiment beaucoup évolué. Mais il est comme ça, Xavier. C'est le fun d'être à ses côtés, mais en même temps c'est déstabilisant. Il assimile à une vitesse incroyable, c'est une bibitte sans bon sens."

Je sens une réelle admiration de la part de Clément: « Même en amitié, il dépasse des limites. En retour, j'ai pu me dévoiler à lui comme rarement dans ma vie. Il m'a permis d'aller à des endroits dans ma vie, où comme femme, et ensuite comme actrice, je n'étais jamais allée. »

Ces confrontations, et cette soif constante de création, c'est intimidant?

« Oui, évidemment, parce que tu te dis: " Hey, ce gars là a 22 ans! », confirme Clément.

Chokri, de son côté, préfère parler de motivation: « Ça me permet d'en faire beaucoup plus. Quand je temporise, que je suis paresseuse, je pense souvent à Xavier et je me dis que c'est possible de tout faire.» Elle ajoute prudemment: « C'est une tonne de sacrifices. On n'est pas Xavier dans la vie sans sacrifier autre chose. C'est un isolement majeur que de faire ce qu'il fait. Il consacre toute sa vie à son travail, c'est pour ça qu'il est où il est. »

À preuve, lors d'un souper à l'automne dans le cadre d'un enregistrement du Guide Restos Voir, Dolan me confie qu'il écrit présentement deux autres longs métrages, dont son premier en anglais, Letters to a Young Actor, ainsi qu'un projet télé pour sa muse parmi les muses, Anne Dorval. « Je vois en elle une amie, une confidente, et oui, une muse.» Dorval, à table avec nous, y voit plutôt un rapport maternel : « Moi, je suis un peu comme sa mère! Il oublie de manger, il vient chez moi, je le nourris. Lui, il m'apporte des surprises, il me fait toujours des cadeaux. C'est quelqu'un d'extrêmement généreux, qui ne calcule pas. Mais c'est vraiment un enfant, un irresponsable, mêlé à un adulte de grand talent. »

À Saint-Sauveur, Dolan ira même jusqu'à me dire qu'à présent, il souhaite presque éliminer les premiers rôles masculins de ses prochains films. « Mais ce n'est pas du tout sexiste, comme souhait », défend-il. « Ça vient du fait que je sois aussi acteur. Vient un moment où ça peut devenir malsain de vouloir jouer plus que diriger. Dans la perversion de ces rapports-là, je préfère épargner les égos masculins et me concentrer sur la gent féminine. »

Il vise Cannes 2012

Maintenant, on espère une sélection officielle au Festival de Cannes en mai. Celui qui est déjà cadet de la Croisette souhaite évidemment un retour sur la Côte d'Azur. « J'ai Tué ma Mère y a gagné le Prix Regards jeunes, Les Amours Imaginaires y fût présenté dans la sélection Un certain regard. Mais pour l'instant, il songe à terminer son montage sonore, sa post-production, sa bande-annonce.

« J'ai le sentiment du devoir accompli. Je l'ai en moi depuis tellement longtemps que je pense que j'ai voulu l'évacuer encore plus rapidement. Mais je suis déjà un peu las de Laurence Ayways... et je sais que j'ai beaucoup de service après-vente à faire!" Il en rajoute: « Je suis déjà prêt à passer à un autre appel, et rapidement. J'ai reçu plein de scénarios des États-Unis... mais je n'ai pas fait dix films, j'en ai fait que trois. J'ai besoin de m'exprimer à travers les films que je réalise et de découvrir qui je suis, et on ne découvre pas qui on est en faisant un film d'action. Mais je suis très attiré par les gros, gros films: un Batman, par exemple. L'aisance de ces films-là m'attire énormément. Mais en attendant, si c'est trop long, je vais prendre une caméra de secours et je vais tourner quelque chose à l'arraché.»

Avec des femmes. Pour les femmes.

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