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Miser sur la féminité, un argument à double tranchant?

Tout se passe comme si les qualités féminines jadis stigmatisées étaient aujourd’hui érigées en qualités politiques absolues.
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En contexte paritaire, les candidates n’ont pas de meilleur choix que de s’appuyer sur leur «féminité» pour s’imposer dans un univers (encore) largement dominé par les hommes.
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En contexte paritaire, les candidates n’ont pas de meilleur choix que de s’appuyer sur leur «féminité» pour s’imposer dans un univers (encore) largement dominé par les hommes.

Alors que la question de la parité est sur toutes les lèvres depuis le début de la campagne électorale, et que se consolide chez les Québécois la volonté de se débarrasser de toutes les tares attribuées au corps politique (langue de bois, agressivité, corruption, mensonge, inefficacité, etc.), nombreuses sont les candidates qui insistent sur leur appartenance au sexe féminin et qui revendiquent leurs différences par rapport aux hommes pour légitimer leur entrée en politique.

«Comme femme, j'ai le goût d'être énergique, pétillante et je veux mettre de l'avant tout ce qui est éducation et services de proximité», rapportait récemment à Radio-Canada au sujet de la candidate caquiste dans Charlevoix-Côte-de-Beaupré, Émilie Foster, estimant que les femmes politiques sont moins axées sur «la game politique» que les hommes et qu'elles préfèrent miser sur des préoccupations plus «humaines».

Reprenant les topoï de la politique autrement, les aspirantes députées mettent de l'avant leur genre au service de leur stratégie électorale.

Dans un autre reportage diffusé par la société d'État, la candidate solidaire, qui brigue les suffrages dans Laporte, faisait valoir qu'en tant que femme, «on apporte des points de vue différents, des manières de travailler différentes». Reprenant les topoï de la politique autrement, les aspirantes députées mettent de l'avant leur genre au service de leur stratégie électorale.

Les candidates s'empressent aussi de souligner, dans leurs discours rapportés par la presse écrite et audiovisuelle, qu'elles disposent des qualités «typiquement féminines» que sont la sensibilité, l'écoute, la sincérité, la collégialité, l'amour.

Tout se passe comme si les qualités féminines jadis stigmatisées étaient aujourd'hui érigées en qualités politiques absolues.

Comme l'ont montré les travaux de Mariette Sineau, ces qualités étaient pourtant perçues dans les années 1980 et 1990 comme des handicaps vis-à-vis de celles attribuées aux hommes (virilité, agressivité, ambition, combativité). Or, dans le contexte politique des dernières années, favorable à la parité, ces handicaps sont devenus des avantages. Autrement dit, tout se passe comme si les qualités féminines jadis stigmatisées étaient aujourd'hui érigées en qualités politiques absolues.

La campagne féminine de François Legault

Dans la présente campagne, il n'y a pas que les candidates qui jouent sur les registres de la féminité. Les chefs de partis eux-mêmes s'empressent de brandir et vanter les qualités dites «féminines» de leurs candidates. «Tout ça et elle n'a pas quarante ans! Joëlle Boutin, c'est une véritable femme forte, une dynamo, enthousiaste, déterminée et positive. Elle incarne parfaitement le changement positif que les Québécois veulent en politique. Elle se joint à une équipe de plus en plus impressionnante, qui compte un nombre sans précédent de femmes fortes et compétentes. Joëlle est non seulement une femme de cœur, mais aussi une femme de tête», s'est exclamé François Legault aux côtés de sa candidate dans Jean-Talon qui, à 38 ans, dirige une entreprise d'import-export, promeut l'entrepreneuriat féminin et est maman deux fois.

Le vocabulaire employé par le chef de la CAQ (forte, dynamo, déterminée, compétente, cœur, etc.) renvoie à une image de la candidate moderne de type superwoman, pour reprendre l'expression de Simone Bonnafous (2003), qui sait conjuguer à la fois famille, réussite professionnelle et engagement social. Cette stratégie de «féminisation» de la politique est d'ailleurs un élément-clé de la campagne caquiste.

Érigées en ressources symboliques, les candidates participent à la construction de l'image renouvelée que ce parti souhaite inspirer à la population: les femmes sont mises à l'honneur - elles représentent un peu plus de 50% des candidatures - et elles contribuent à moderniser la vie politique – François Legault a répété à maintes reprises dans les médias que les «femmes sont plus consensuelles» et qu'elles «vont changer le climat au Salon bleu».

Représentations médiatiques des candidates: les stéréotypes persistent

La place de premier plan dont jouit la question paritaire dans la présente élection est le résultat des efforts d'une pluralité d'acteurs - femmes et partis politiques, certes, mais surtout médias, sondeurs, groupes de défense des droits des femmes - qui ont modifié le répertoire de ce qu'il est possible de dire et de faire et qui sont devenus vecteurs d'une valorisation des qualités dites féminines.

Parmi ces acteurs, les médias, forts de leur capacité à influencer le programme politique, ont largement contribué, par de nombreux articles et des initiatives louables telles que Vigie parité lancée par Le Devoir, à imposer la question de l'égalité femmes-hommes à l'Assemblée nationale comme un des principaux enjeux de cette élection.

Force est de constater que l'attention est parfois encore portée à ce que Pierre Bourdieu appelait l'hexis corporel: taille, coiffure, vêtements, élégance... les représentations stéréotypées demeurent.

Mais si le traitement médiatique des candidates, généralement adéquat, évite les schèmes traditionnels de la domination masculine, force est de constater que l'attention est parfois encore portée à ce que Pierre Bourdieu appelait l'hexis corporel: taille, coiffure, vêtements, élégance... les représentations stéréotypées demeurent.

«Svetlana Solomykina a toujours une paire de chaussures un peu plus chic dans son sac, étant donné qu'elle passe le plus clair de ses journées en espadrilles à sillonner à pied la circonscription», peut-on lire dans Le Soleil à propos de la candidate caquiste qui brigue les suffrages dans Taschereau.

«Rien ne laisse présager que derrière cette femme ricaneuse à la longue chevelure noire se cache une fiscaliste très rationnelle dont les ambitions économiques pour le pays sont planifiées au quart de tour», nous explique-t-on – comme si tempérament joyeux et cheveux en bas des épaules étaient incompatibles avec le monde des finances – dans un portrait de Marwah Rizqy (PLQ/Saint-Laurent) sur le site web de QuartierHochelaga. Rarement, voire jamais, dresse-t-on ce genre de portrait quand il s'agit d'un candidat.

Féminin, masculin: deux pôles à équilibrer

Les exemples précédents montrent que, dans l'ordre des discours et des représentations, les femmes politiques sont constamment, consciemment ou non, activement et passivement, ramenées à leur corps et à leur identité sexuée.

En contexte paritaire, les candidates n'ont pas de meilleur choix que de s'appuyer sur leur «féminité» pour s'imposer dans un univers (encore) largement dominé par les hommes.

Au niveau des construits genrés, cela signifie que les aspirantes députées doivent montrer qu'elles possèdent à la fois les qualités nécessaires pour exercer une fonction de représentation politique – traditionnellement associées au genre masculin – ainsi que les «qualités féminines» qui servent à les tempérer et à les rendre meilleures.

Transformer la féminité en valeur ajoutée est une opération qui honore, construit et renforce simultanément les différences de genre.

Enfin, le discours politique fondé sur le genre a des conséquences insoupçonnées sur notre façon de concevoir la société. Car transformer la féminité en valeur ajoutée est une opération qui honore, construit et renforce simultanément les différences de genre. Ce qui peut avoir pour effet immédiat d'enfermer non seulement les candidates, mais aussi les candidats, dans leur identité sexuée respective, ou à l'inverse, de brouiller les rôles de genre en incitant les candidats masculins à mettre de l'avant leur féminité, ce qui pourrait modifier durablement les règles de l'exercice du pouvoir – exactement ce qui est visé par l'objectif paritaire.

Ce texte a été coécrit par Arnaud Montreuil, doctorant en histoire à l'Université d'Ottawa/Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

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