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Bafouer les droits de la personne: le grand paradoxe de l'Arabie saoudite

Que cache ce choix d'une plus grande implication de l'Arabie saoudite sur la scène internationale?
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Nombreuses sont les ONG qui prônent sa suspension du Conseil des droits de l'homme, trouvant aberrant que le régime de Mohammed Ben Salmane puisse y jouer un rôle alors qu'il n'en respecte pas les règles.
Dennis Van Tine/Canadian Press
Nombreuses sont les ONG qui prônent sa suspension du Conseil des droits de l'homme, trouvant aberrant que le régime de Mohammed Ben Salmane puisse y jouer un rôle alors qu'il n'en respecte pas les règles.

Le meurtre sordide du journaliste Jamal Khashoggi rend tristement compte de la situation dramatique qui prévaut en Arabie saoudite sur le plan du respect des droits de la personne. Peine de mort, torture, détentions arbitraires, coups de fouet. Le régime du prince héritier Mohammed ben Salmane est particulièrement répressif envers ses opposants.

Pourtant, depuis 2013, l'Arabie saoudite ne cesse de renforcer sa présence au sein des institutions internationales et plus spécifiquement celles responsables des questions des droits de la personne. La participation du pays dans plusieurs commissions ou comités importants suscite moult polémiques au regard du bilan fort médiocre qu'il défend en matière de droits de la personne.

À la lumière des violations des droits de la personne, flagrantes et généralisées, commises par les autorités saoudiennes, plusieurs observateurs (États, chercheurs, ONG) expriment cependant des doutes sérieux quant aux réelles intentions de l'Arabie saoudite.

Que cache ce choix d'une plus grande implication de l'Arabie saoudite sur la scène internationale? Surtout, les États membres d'organes de protection des droits de l'homme doivent-ils accepter la présence d'un pays qui ne respecte pas la vaste majorité des libertés fondamentales universellement reconnues?

Une ouverture de façade

L'élection de la monarchie islamique au Conseil des droits de l'homme de l'ONU en 2013 est la première étape d'une stratégie ambitieuse visant, selon la diplomatie saoudienne, à «refléter sa quête inlassable pour la mise en œuvre des droits de la personne sur le terrain». La nomination d'un représentant de Riyad à la présidence d'un panel d'experts de ce Conseil en 2015, la désignation du pays en 2017 comme membre de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies (CSW) et, plus récemment, le dépôt d'une demande – retirée temporairement après l'onde de choc de l'affaire Khashoggi – pour devenir membre observateur de l'Organisation internationale de la Francophonie, sont autant d'exemples qui viennent assouvir cette ambition.

À la lumière des violations des droits de la personne flagrantes et généralisées commises par les autorités saoudiennes, plusieurs observateurs (États, chercheurs, ONG) expriment cependant des doutes sérieux quant aux réelles intentions de l'Arabie saoudite. Ils reprochent à Mohammed Ben Salmane de ne chercher uniquement qu'à soigner son image de réformateur.

Quand on jette un œil aux actions de la monarchie en tant que membre actif d'organes onusiens, force est de constater en effet que l'Arabie saoudite cherche non pas à donner effet aux principes consacrés par l'ONU dans son droit interne, mais avant tout à interférer dans tous les débats qui la gêne.

Au sein des instances onusiennes, la plus grande puissance économique du Golfe persique multiplie les résolutions visant à réduire la portée de certains droits (liberté d'opinion et d'expression, droits liés à l'orientation sexuelle et à l'identité de genre, droits des minorités) et repousser toute tentative d'enquête sur la crise humanitaire au Yémen où elle est impliquée. De plus, l'Arabie saoudite pose des réserves significatives à presque tous les traités internationaux qu'elles ratifient.

En 2008, elle a notamment indiqué qu'en cas de conflit entre la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) et les dispositions du droit islamique, c'est la Charia qui a le dernier mot. Le Comité CEDAW s'est par la suite dit «fortement préoccupé par la réserve générale que l'État parti a formulée lorsqu'il a ratifié la Convention et dont la portée est si large qu'elle est contraire à l'objet et au but de la Convention».

En outre, l'Arabie saoudite n'a toujours pas ratifié un nombre considérable de conventions clés du système international de protection des droits de la personne, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Or, ces Pactes constituent le socle de l'activité normative des droits de la personne; ils précisent les droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et définissent les obligations des États parties, premiers responsables de leur application. Comme un écho à l'affaire Khashoggi, l'une des obligations de l'article 19 du PIDCP (droit à la liberté d'opinion et d'expression) s'énonce comme suit: «les journalistes ne doivent pas être pénalisés pour avoir mené leurs activités légitimes».

Exclure l'Arabie saoudite?

Après l'éclatement du scandale Khashoggi, la place occupée par l'Arabie saoudite au sein des instances internationales chargées de la protection des droits de la personne apparaît plus contestée que jamais. Nombreuses sont les ONG – Amnistie internationale et Human Rights Watch au premier chef – qui prônent sa suspension du Conseil des droits de l'homme, trouvant aberrant que le régime de Mohammed Ben Salmane puisse y jouer un rôle alors qu'il n'en respecte pas les règles. Certaines comme UN Watch vont même jusqu'à demander son expulsion définitive, car il en va de la légitimité même de l'action du Conseil en matière de droits de la personne qui ne doit souffrir d'aucune incohérence et ambiguïté.

À l'inverse, d'autres, notamment des juristes et des diplomates, rappellent que plus de la moitié des 47 membres du Conseil des droits de l'homme ne répondent pas aux critères de base d'une société libre et démocratique. Ils font valoir que l'élection d'un État comme membre d'un tel conseil ou comité n'a pas pour objectif de légitimer sa protection des droits de l'homme, mais d'évaluer la situation sur son territoire et de l'aider à identifier les défis à relever.

Les acteurs étatiques semblent davantage protéger l'Arabie saoudite des critiques que braquer leurs projecteurs sur le comportement inacceptable et honteux de la monarchie islamique.

La participation accrue de l'Arabie saoudite sur la scène internationale des droits de la personne pourrait ainsi avoir des effets positifs, en raison de la possibilité pour les acteurs étatiques et non étatiques impliqués d'entretenir un dialogue constructif avec les autorités saoudiennes sur l'importance de remplir leurs engagements et de pouvoir les rappeler à l'ordre lorsque nécessaire.

Cela reste toutefois à établir du côté des acteurs étatiques, qui, pour l'heure, semblent davantage protéger l'Arabie saoudite des critiques que braquer leurs projecteurs sur le comportement inacceptable et honteux de la monarchie islamique. À preuve, tous les États membres du Conseil des droits de l'homme et du Conseil de sécurité sont jusqu'à maintenant restés muets face aux demandes répétées du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d'expression, David Kaye, d'ouvrir une enquête internationale indépendante sur l'«assassinat manifeste» de Jamal Khashoggi.

Les rassemblements à la mémoire de Jamal Khashoggi, en images:

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